Hommes à louer : Episode 16

Le 28/08/2009

Héléna avait tout de suite reconnu en Edouard Dupont-Douglas un être d’exception. Fils d’un diplomate français et d’une espionne britannique celui-ci synthétisait toutes les qualités et les défauts de sa double ascendance. De la France il tenait un goût prononcé par le sarcasme et les plaisirs terrestres ; de l’Angleterre un flegme imperturbable et un humour sceptique.

Quant au physique, l’homme incarnait assez bien le type hollywoodien du baroudeur de charme : vêtu le plus souvent d’un costume de bonne facture mais froissé ou élimé, vieilli par une barbe de trois jours, les cheveux dépeignés, le teint hâlé, ses yeux verts brillant de malice, toujours dans des positions décontractées qu’il fût assis ou debout, il s’avérait tout aussi séduisant qu’exaspérant. Héléna l’avait détesté d’emblée.

Ainsi le soir de leur première rencontre, couchée dans son lit, ne cessait-elle de le maudire. Le visage du ténébreux aventurier ne pouvait lui sortir de l’esprit, comme si son image avait été tatouée dans son cerveau. Elle se tournait et se retournait entre ses draps tirebouchonnés en grognant dans ses coussins. En vain. En elle la tension était trop forte pour qu’elle pût obtenir le sommeil. Ses nerfs la torturaient atrocement. Des bouffées de chaleur la forçaient à retirer sa couette ; des frissons l’obligeaient à s’y pelotonner de nouveau. Elle n’arrêtait pas de rallumer et d’éteindre sa lampe de chevet, de prendre un livre puis de le reposer, de boire et reboire de l’eau. Que lui arrivait-il ? Elle ne le savait pas. Bien sûr, il y avait un moyen de s’apaiser et ce moyen n’était pas des plus déplaisants. Mais, bizarrement, alors même qu’habituellement elle y recourait plutôt deux fois qu’une, elle répugnait cette fois-ci à s’y résoudre. Que craignait-elle ? Finalement trois heures d’insomnie la forcèrent à céder. Et à cet instant qui se serait trouvé dans sa chambre aurait vu ceci : une femme blonde, dotée malgré ces quarante-cinq ans d’un corps parfait, bronzé et musclé, aux seins triomphants, au sexe épilé, et qui se caressait en regardant un X-femmes sur l’écran plat situé face à son lit. En observant les formes de l’acteur dont l’attrayante nudité se dévoilait lascivement sous un éclairage savamment étudié ses yeux bleus s’écarquillaient. Ses narines frémissaient de convoitise et s’imaginant à la place de l’actrice que gougnottait ce beau mâle elle mouillait torrentiellement. Le tiroir de sa table de chevet s’ouvrit. Elle en sortit un vibromasseur, se mit à en passer le galbe frétillant sur son clitoris. Des halètements signalaient qu’elle approchait de l’orgasme. Alors l’image fatale d’Edouard Dupont-Douglas se superposa à celle qui émanait de la télévision. Elle hurla son nom, s’effondra comme une femme foudroyée et juste avant de s’endormir, se fit cette remarque terrifiante : « Bon sang, mais me voilà amoureuse de ce goujat ! »

Le lendemain, en prenant son petit déjeuner, Héléna examina son cœur. Celui-ci battait un peu plus vite que la normale. Bon. N’avait-elle pas déjà connu ça ? Y avait-il de quoi s’inquiéter ? Bien loin d’être un coup de foudre il ne s’agissait probablement que d’un coup de désir. D’une banale pulsion libidinale. Mais à peine se mit-elle à penser à la figure qui avait hanté sa soirée et ses rêves qu’elle perdit pied. Son pouls s’emballait démesurément ; elle avait des vertiges ! « Ah, je le déteste ! » Et tout en protestant ainsi, elle se sentait tout entière broyée par l’amour. Impuissante, effrayée, sa passion, loin de n’être que cérébrale, se traduisait par une envie des plus physiques. Elle avait beau repousser cette exigence, tenter de la nier, une force implacable la contraignait à évoquer des scènes torrides où son corps et celui d’Edouard Dupont-Douglas se mêlaient furieusement. N’y tenant plus elle dut se réfugier dans sa chambre. Pleurant de joie et de rage elle s’y masturba longuement avec son Happy Duo. Comment pouvait-elle être aussi faible ? Et comment pouvait-ce être si bon ? Edouard Dupont-Douglas, quel nom ridicule ! Et quel horrible mufle ! Elle le revoyait la veille sur son canapé, tout fier de sa petite manigance…Sous le tissu fin de sa chemise d’été se devinaient les courbes d’un buste puissant, modelé par l’action, que scarifiaient sans doute quelques cicatrices. Les traits de son visage, impassible et buriné, composaient un ensemble d’une virilité harmonieuse, indéniablement attirante. Là-dessus planait un immuable sourire aussi sensuel qu’horripilant, manifestation évidente d’un mépris condescendant. Dupont-Douglas, pensait-elle, se croyait supérieur, et c’était cette supériorité qu’il se prêtait qui l’avait disposée à le haïr. N’était-il pas l’archétype du mâle imbu de son sexe ? Du macho de cinquante ans, élevé aux SAS, qui considère que le fait de posséder un pénis lui donne tous les droits ? Eh bien, il allait voir…En attendant elle avait bien été obligée de se plier à ses exigences.

Voilà, en abrégé, le discours qu’il lui avait tenu : « Ma chère Héléna, je vous propose un partenariat. Votre aide contre la fin de vos embarras fiscaux. Sans compter l’argent que vous recevrez pour votre contribution… En ce moment, je travaille pour le gouvernement. Sans me mêler de politique (comme vous je suis plutôt libertaire) je lui permets de résoudre quelques difficultés, des difficultés de tous ordres. C’est pourquoi j’aurais besoin de votre concours, ou plutôt de celui de vos garçons. Il y a encore peu de temps nous n’utilisions en effet que des call-girls, n’ayant à manipuler que des hommes. Il nous faut désormais nous adapter à la nouvelle donne. Les femmes prennent le pouvoir et je n’ai pas encore de gigolo efficace sous la main ! Plutôt que d’en former, ce qui serait trop long, je vous ai donc dénoncé aux Ministère des Finances afin de vous rendre plus docile à mon offre. Vous avez pu éviter le redressement une première fois (voir épisode 9), la deuxième vous fera plonger. Moi j’ai juste à décrocher mon téléphone pour que tout s’arrête. Choisissez. »

Elle avait accepté. Mais elle l’attendait désormais au tournant ! Il lui avait annoncé qu’il reviendrait la voir le lendemain. Elle se préparait donc pour le recevoir. A quatorze heures il sonnait à sa porte. « Anita vous pouvez sortir. Revenez dans quatre ou cinq heures… » Elle s’était appliquée à gommer toute trace de passion de son visage. D’ailleurs n’avait-elle pas subi une sorte de délire ? Une illusion sensuelle qui l’avait mystifiée ? Elle allait en avoir le cœur net… Elle avait revêtu une robe marron. A ses oreilles pendaient deux boucles d’or. Ses cheveux blonds étaient noués en chignon. Un rouge subtil colorait ses lèvres. Ses yeux bleus scintillaient sous le noir de son eye-liner. Un nuage d’effluves fruités s’évaporait dans son sillage. En la voyant Edouard Dupont-Douglas marqua un mouvement de recul et resta comme statufié. Les mots sortant de sa bouche ne formaient qu’une bouillie incompréhensible. Que cherchait-il à lui dire ? Héléna l’ignorait qui demeurait elle-même dans un état de stupéfaction proche de l’extase. Le vague sentiment éprouvé lors de leur première entrevue, et qui, en se fortifiant dans la nuit s’était soudain révélé à elle, prenait des proportions ingérables ! Une aimantation incoercible attirait son corps vers celui du beau quinquagénaire. Il portait un élégant ensemble de chez Armani. Fine veste d’été et pantalon en lin. Il s’était rasé. Cela lui donnait un air plus jeune, presque poupin. Perçant à travers les rideaux des fenêtres, un rayon de soleil faisait miroiter l’émeraude de son regard. Elle ne put résister à l’envie de l’embrasser. Dès le premier contact de ses lèvres avec celles du maître chanteur elle fut transportée. Elle s’écrasa contre le corps puissant d’Edouard, lequel l’étreignait jusqu’à l’étouffer, et leurs langues se mêlèrent avec ardeur. Une rage immaîtrisable les poussait à se meurtrir de caresses.

Edouard déchira les vêtements d’Héléna ; Héléna éventra sauvagement les vêtements d’Edouard. Emportée par une faim furieuse la Parisienne mordait le cou de son partenaire, enfonçait ses ongles dans sa chair, humait son odeur. L’ayant plaqué contre un mur elle descendit jusqu’à son sexe en le couvrant de baisers. Puis, arrivée devant l’organe en érection, elle lui lança une oeillade en contre-plongée. Edouard, transfiguré, lui souriait tandis que ses yeux verts se pailletaient sous l’émotion. Elle le suça longuement, appréciant chaque frémissement, chaque souffle qu’engendrait sa bouche habile, en passant indéfiniment ses mains sur la poitrine et le ventre brûlants de son amant. Quand Edouard la mena sur le canapé pour la lécher elle se trouvait déjà tout inondée. Il la but à longs traits. Elle eut un premier orgasme. Elle le reçut en elle avec des larmes dans les yeux. Assise cuisses écartées sur le canapé elle caressait les hanches et le dos qui oscillaient sur son corps en embrassant les lèvres qui se posaient sur les siennes. Sa langue vorace fouillait la bouche de son amant pendant que la queue de ce dernier pénétrait inlassablement sa chatte. Leurs peaux en sueur se frôlaient. Au contact des tétons d’Edouard ses tétons durcissaient. Des frissons la parcouraient. Son cœur battait dans ses tempes avec une violence de tambour. Elle se surprit à pousser des gémissements, à hurler. Les orgasmes succédaient aux orgasmes. C’était comme un flux de plaisir intarissable, comme l’emportement d’une vague qui l’aurait tour à tour enlevée vers le large puis fracassée à toute vitesse contre la côte. Et c’était avant tout les yeux verts d’Edouard qui la faisaient jouir de cette façon. Elle s’y oubliait, s’y noyait. Parfois elle se croyait sur le point de mourir. Puis cela recommençait : la montée en tension, les spasmes, les cris, le relâchement. Un bonheur, une félicité diffuse et totale, la bouleversait. C’était ce qu’elle avait toujours espéré, c’était ce qu’elle ne croyait plus pouvoir connaître. C’était l’amour, le grand amour ! Enfin, vidés, exténués, ils s’effondrèrent l’un sur l’autre.

Pendant qu’Héléna jouait avec les cheveux de son amant, dont la tête reposait entre ses seins, celui-ci lui expliqua l’objet de la mission qu’il entendait confier le lendemain à Benoît (voir épisode 15). « Une fois que Benoît aura accompli son « devoir », la Chinoise sera à nous. Inutile de te dire que nous toucherons une substantielle commission… » conclut-il. Héléna ne répondit pas. Elle rêvassait. Alors Edouard, se redressa, l’embrassa et ajouta : « ce sera l’affaire de trois ou quatre « coups » (si tu me permets le jeu de mots !) en plus de celui-ci. Nous pourrons ensuite partir en voyage… ». Comme elle demeurait toujours muette, les yeux perdus dans le vague, il l’embrassa de nouveau. Après quoi, la serrant très fort dans ses bras, il susurra au creux de ses oreilles les trois mots magiques qu’elle attendait depuis la fin de leur étreinte. Emue aux larmes, Héléna se jeta sur lui avec une fougue d’exaltée. Ils refirent trois fois l’amour avant qu’Anita ne revienne.

Axelle Rose