Naomi Harris

Le 16/04/2009

Naomi Harris est un cas d’école. Les photos en Technicolor de cette Canadienne loufoque de 35 ans ne se départissent jamais d’un humour corrosif. Proches, si proches de l’esprit peu sérieux du british Martin Parr. Cette jeune femme " à l’allure innocente" a consacré cinq ans de son existence à photographier, souvent nue, des dizaines de clubs échangistes américains. Cinq ans pour témoigner des pratiques sexuelles extra-ordinaires de gens pour le moins ordinaires. Des photos de sexe sans fards, qui témoignent d’une approche plus sociologique que sensuelle. A mille lieux de l’univers léché version Eyes wide shut, ces images donnent à voir la réalité sociale d’un pays. 2008 semble lui tendre les bras avec la sortie de son livre, America Swings, chez Taschen, préfacé par l’un de ses fervents admirateurs, Richard Prince, suivie de sa première exposition à la galerie M+B à Los Angeles, dans les jours à venir. Devant la qualité de ses photos, sa démarche et son oeil curieux dénué de tous préjugés, Second Sexe se devait de l’inviter dans ses colonnes.

Comment avez-vous debuté la photographie ?

J’ ai tout d abord voulu étudier le tirage photo mais je me suis vite rendue compte que je devais avant apprendre à photographier pour pouvoir illustrer les idées que j’avais. Je me suis donc engagée en première année de photographie. Cet été-là, je suis allée en Europe et j’ai pris des photos de toutes sortes de personnes. Surtout dans le but de parler avec des gens avec lesquels je n’aurais pas osé parler d’habitude. Quand je suis rentrée chez moi et que j’ ai vu les épreuves, j ai su que c’ était ce que je voulais faire.

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Comment procédez-vous pour réaliser vos portraits ?

Cela dépend. Mes travaux de commande sont vraiment différents de mes travaux personnels, bien que je fasse en sorte que toutes mes photos se ressemblent. Je rajoute de la lumière dans pratiquement tous mes portraits.La différence, c’ est une question de temps et de demande spécifique du client. Lorsque j’ai le temps, je préfère commencer par connaître mes sujets. J’aime mieux photographier les gens chez eux car je pense que leurs intérieurs font aussi partie de leurs portraits.

Vous rattachez-vous à la grande tradition de la photographie couleur aux USA tel Eggleston ?

Merci, c’est gentil, mais je ne peux guère me comparer à Eggleston ! Je suis une grande fan de la couleur et de l’hyper couleur, c ’est la manière dont je vois les choses. J’admire également la photographie en noir et blanc, mais je ne peux guère réfléchir ainsi. Parfois je regrette de ne pouvoir apprécier la lumière naturelle, comme dans les travaux en noir et blanc. C’est la couleur qui me rend heureuse !

D’où vous vient cet humour, toujours très présent dans vos photos ?

Je suis Canadienne ! C’est peut être une des raisons… nous sommes une drôle de nation beaucoup plus proche de l’esprit anglais que nos voisins américains. L’humour a toujours joué un rôle très important dans mes photos, c’est pourquoi je ne photographie jamais des bébés élevés au crack ou des choses similaires, ce n’est juste pas drôle. Je pense qu’il y a suffisamment de photographes dans ce monde qui s’échinent à triturer nos sentiments. Je préfère chatouiller la part joyeuse de chacun. J’aime ce qui est fou et bizarre, et qui a échappé à la plupart des gens. Je crois que c’est ce que je regarde en premier.

Comment avez-vous débuté America Swings cette série sur les échangistes ?

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En vivant à Miami et en travaillant sur Haddon Hall, une série sur le dernier hôtel de retraités de South Beach, j ’avais pris l’habitude d’aller sur une plage nudiste. Beaucoup de ces nudistes étaient aussi des échangistes et un des mes amis m’a demandé de l’accompagner dans un club échangiste (les hommes n ’ont pas le droit d ’entrer dans la plupart de ces soirées s’ils ne sont pas accompagnés). Il savait que j ’étais photographe et pensait que ça pourrait m’intéresser. Nous y sommes allés sans attentes particulières. Il avait parfaitement raison, j ’ai trouvé cette ambiance et ces gens tellement hallucinants que j’ai consacré cinq années de ma vie à les photographier.

Quelle différence cela faisait-il d’être une femme pour ce projet ?

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Une énorme différence ! Je pense qu’être une femme met les gens à l’aise. Parce que j’ai l’air jeune et innocente, tout le monde a ressenti le besoin de me protéger et de me surveiller lors de ces soirées. Peut-être espéraient-ils que je laisse tomber mon appareil photo et que je me joigne à eux ! Ca a vraiment été un moment où j’ai pu me servir de mes atouts féminins pour avoir ce que je voulais. C’est un sujet tellement délicat. Ne pas être une menace m’a permis d’avoir accès à plus de choses qu’un homme. De plus, ça ne gâche rien d’avoir un corps plus sexy que les trois quarts des mecs.