Femmes, artistes et pornographes

Le 20/04/2009

Elles viennent de New York, Taiwan, Marseille et Paris, elles s’appellent Maria, Shu Lea, Catherine et Emilie… Il était une fois quatre femmes artistes de la pornographie.

Voici quelques années, un jour de soleil au printemps à Paris, en prenant le métro station La Chapelle, je me suis dit que je voulais être pornographe. Ce mot m’est tombé de nulle part au coin de l’oreille en tintant comme un grelot fou, une bonne nouvelle un peu saugrenue, une évidence amusante qui m’a fait sourire. Peut-être à cause de la chanson de Brassens que j’écoutais en boucle à l’adolescence.. ? Peut-être parce que je venais de participer à l’aventure One Night Stand (Emilie Jouvet, 2005), en tournant deux scènes pour ce premier film pornographique lesbien et transgenre réalisé en France par une femme ? Etre pornographe, ça veut dire représenter le sexe en images. N’étant pas vidéaste ou photographe, c’est avec mes mots et mon corps que j’ai donné à voir du sexe, d’abord devant la caméra d’Emilie, puis sur scène et dans des livres. Trois ans après que le petit grelot annonciateur m’ait glissé au creux de l’oreille ma passion d’artiste et d’écrivaine, j’ai eu envie d’offrir un espace de parole à quatre femmes qui ont donné au sexe des images belles, fortes, surprenantes et subversives : à celle qui la première m’a tendu la main pour m’emmener dans le monde de la pornographie faite par des femmes et à trois autres dont j’ai suivi le travail avec enthousiasme. Elles s’appellent Emilie Jouvet, Shu Lea Cheang, Maria Beatty et Catherine Corringer. Elles ont réalisé des films qui m’ont touchée, parfois émue et souvent excitée. Je les aime non seulement pour leur création mais aussi pour le message qu’elles font passer à travers leurs œuvres sur les femmes et la pornographie.

Comment vous présentez-vous ? Comme réalisatrices queer, pornographes, réalisatrices de films érotiques, artistes expérimentales… ?

Emilie Jouvet : Je suis une artiste photographe, vidéaste et notamment réalisatrice de films porno queer.

Catherine Corringer : Je me considère comme une vidéaste faisant des films sur le corps. Je reprends à ma façon la phrase chère à David Cronenberg : « qu’est-ce que peut un corps ? ». Je le fais à ma manière, en mêlant fantasme et performance.

Maria Beatty : Je suis auteure et réalisatrice de films noirs érotiques et fetish, pas pornographe. Mon œuvre se campe à la frontière de la pornographie, qui relève à mon sens du désir de tout montrer. Je préfère laisser libre cours à l’imagination en ne dévoilant pas toujours tout.

Shu Lea Cheang : Pornographe, réalisatrice queer, artiste expérimentale… Toutes ces appellations me conviennent !! Ce sont simplement des étiquettes, des façons de se nommer. C’est comme avoir en main un jeu de cartes de visites… Ces termes sont peut-être un peu traditionnels cependant pour décrire ce que je fais… c’est de la pornographie mais pas au sens classique du terme, de l’art expérimental mais qui repousse loin ses limites, du porn-art pas vraiment « arty »…

Pourquoi faire des films pornographiques ?

Emilie Jouvet : Parce que le sexe est un sujet passionnant, un grand thème humain ! (rires)

Shu Lea Cheang : Au début des années 80 à New York, je travaillais comme preneuse de son pour des productions de porno. C’étaient des marathons de trois jours et trois nuits, la perche en l’air, le micro près du vagin… J’étais aussi monteuse à Time Square où les cinémas pornos et les peep shows étaient légions dans les rues mal famées, à l’atmosphère trépidante… J’adorais le porno sur les écrans et le sexe public sur les sièges de cinéma, dans les toilettes, le besoin qui monte, pressant, l’orgasme collectif … En 1992, j’ai rassemblé des femmes à New York pour une installation (Those Fluttering Objects of Desire ). J’y ai mis en scène les questions du sexe et de la politique avec des corps féminins nus ou habillés se rebellant contre le statut d’objet du regard. En 1993-94, j’ai tourné mes premières vidéos de sexe lesbien avec mes amies, à New York et Tokyo. Dans ces vidéos intimes une main tient la camera tandis que l’autre main s’engage dans un acte sexuel… J’ai réalisé ces films parce que la pornographie existante m’ennuyait.

Emilie Jouvet : Quand j’étais étudiante en photo voici sept ans, je faisais des images de femmes sur le point de s’embrasser et certaines personnes homophobes ultra choquées me disaient que ce n’était pas de l’art mais du porno... Je me disais qu’un jour je leur montrerai la différence ! Dans mes premières vidéos, j’ai souvent abordé le porno mais de manière humoristique ou subversive, en détournant des objets (par exemple avec le court métrage BlancX dans lequel je me brosse les dents avec un vibromasseur !). Puis un jour j’en ai eu assez de ne pas trouver sur tout le territoire français un seul porno dans lequel me reconnaître, alors j’ai réalisé One Night Stand, un film queer (lesbien et transgenre) fait pour et par des lesbiennes et transgenres. J’avais besoin de le faire parce que les pornos soi-disant lesbiens sont en fait réalisés par des hommes hétéros, parce que les actrices font souvent semblant d’être lesbiennes, et que tout ça est rarement excitant à regarder. Pour moi le porno queer c’est se faire plaisir tout en faisant acte de visibilité pour nos sexualités passées sous silence.

Catherine Corringer : Pour ma part je ne me considère pas comme une réalisatrice de films X. J’essaie, par l’image, de faire passer une émotion du corps. Ce qui m’intéresse, en dehors de l’excitation purement sexuelle, c’est la puissance que peut dégager une personne devant la caméra. Je cherche à ce que les spectateurs ressentent le film plus qu’ils ne le voient. Pour cela, je crois à la « véracité » de longs plans performatifs, qui mettent la personne filmée dans une émotion et un défi face à elle-même.

Maria Beatty : Je différencie mon art, le cinéma noir érotique, de la pornographie mais mes films sont explicites. L’envie de les tourner m’est venue dans les années 90 à New York. J’étais alors attirée par des femmes qui s’exprimaient fort, politiquement et socialement, en utilisant leurs corps dans des performances de rue, des lieux publics, des vidéos et des expos. Il y avait un important « mouvement du corps » dans lequel je me suis lancée à fond. Je voulais explorer mon propre univers sexuel, me concentrer sur les plaisirs et l’extase de la position soumise dans les jeux SM, qui est à l’opposé des clichés de la personne dominante. Je voulais vivre cette expérience érotique en allant aussi loin que possible, la montrer de façon aussi belle et esthétique que je la percevais.

Vous souvenez-vous de votre premier film porno ?

Catherine Corringer : Je ne me souviens pas de mon premier porno mais de ma première masturbation devant un film. Il y a une efficacité et finalement quelque chose de très direct, le fantasme, on n’a même pas besoin de l’inventer, il est là sous vos yeux et ça fonctionne tout seul.

Emilie Jouvet : Je devais avoir dix ans, c’était chez la voisine dont le grand frère de treize ans avait trouvé une cassette et réuni tous les gosses du quartier pour regarder ça en mangeant des crêpes… Mes copines et moi avions détesté ça ! On en est sorties avec un sentiment d’avilissement, d’injustice, en tant que futures femmes, je crois... Mais j’avoue que ça nous avait quand même fascinées !

Shu Lea Cheang : Le premier film porno que j’ai vu est un grand classique : Behind the Green Door (Artie & Jim Mitchell, 1972). C’est le premier film que j’ai vu en arrivant aux Etats-Unis ! J’étais entrée dans le cinéma d’art d’une petite ville sans savoir qu’ “art cinema” voulait dire “cinéma porno”. Peut-être que c’était un signe annonciateur de ce que serait mon parcours en tant que pornographe ?

Maria Beatty : Je n’ai jamais vraiment aimé regarder de films pornos. A mes yeux le porno est anti-érotique et pas excitant du tout. La plupart des films porno sur le marché sont insipides et les enchaînements de scènes très prévisibles. Les femmes y sont représentées avec des seins artificiellement gonflés, des regards vides, des gestes mécaniques et les orgasmes sont simulés. Tout cela manque de beauté, d’originalité, d’esthétique. Pour moi, la « bonne » pornographie s’est développée dans les années 70 et 80 : les scénarii étaient originaux, les acteurs et actrices étaient des personnalités avec une vraie présence. Ils et elles portaient leurs extases à un autre niveau, c’était une forme d’art, avec de l’humour.

Etre une femme, est-ce important pour vous en tant qu’artistes ?

Emilie Jouvet : Très important, ça me nourrit. Ma citation favorite dit : « Osez être monstrueuses. Le monstre est féminin, fou, dangereux, héroïque et criminel dans la même terrifiante chair. Souvenez-vous, l’organe central chez la femme qui nous rend différentes, fortes et fait de nous des artistes n’est pas l’utérus mais le cerveau. Vous pouvez plus. Ne vous résolvez pas à être ce qu’ils vous croient être. Trouvez ce que vous pouvez être, et écrivez-le. » (Bertha Harris).

Catherine Corringer : Il s’avère que peu de femmes ont, pour l’instant, mis en scène leurs fantasmes érotiques, que ce soit en littérature ou en images. Je ne crois pas qu’il existe un imaginaire érotique féminin, je crois que l’imaginaire érotique est archaïquement phallocratique et que les femmes ont intégré cet imaginaire-là, elles ne peuvent en avoir d’autres. Kathy Acker a magnifiquement parlé de cela. Avec rage, colère, ludisme et humour en même temps. Et je partage cette rage et cet humour. Il faut faire avec quelque chose qui ne nous appartient pas, que nous n’avons pas construit.

Maria Beatty : Je soutiens les femmes dans leur combat pour la liberté de montrer nos corps et d’en user de la façon qui nous plaît. Ainsi, je suis continuellement amenée à aller à contre-courant, provoquer, essayer de faire changer les choses à travers ma création artistique.

Shu Lea Cheang : J’aime l’idée que les femmes fassent du porno, qu’elles soient devant ou derrière la caméra, que ce soit pour faire de bons ou de mauvais films. J’aime que les femmes prennent les choses en main, et leur sexe par la même occasion !

Quel type de femmes mettez-vous généralement en scène ?

Catherine Corringer : Je me mets en scène moi-même, je mets en jeu mon corps. Je tourne aussi avec des acteurs et actrices de la scène SM, avec qui je joue. Et récemment, j’ai mis en scène la femme que j’aime. Moi qui suis actrice, je ne suis pas intéressée par les acteurs et actrices professionnelles. Mes films sont des voyages autobiographiques, des sortes d’autofictions.

Maria Beatty : Je mets en scène des femmes à qui j’ai envie de rendre hommage pour leur beauté et leur pouvoir. Il m’importe de montrer l’extase, la passion, des dynamiques sexuelles fortes et excitantes, des expériences nouvelles, originales, l’esthétique du SM, la psychologie érotique.

Emilie Jouvet : Il n’y a pas de critères de beauté pour jouer dans mes films car je ne tourne pas avec des actrices porno professionnelles, mais avec des personnes dont ce n’est pas le métier. Chaque personne m’explique sa conception du sexe, parle de ses pratiques sexuelles perso et on détermine ensemble la scène X avec la ou le partenaire de son choix.

Shu Lea Cheang : Je montre des femmes de différents types, une multiplicité de visages féminins. Lorsque j’étais à Tokyo pour tourner I.K.U. (2000), nous cherchions désespérément la femme qui incarnerait idéalement le personnage principal. Il nous fallait une actrice belle, sensuelle qui pourrait jouer une grande diversité de scènes de sexe. Peut-être qu’il était trop difficile de trouver UNE actrice pour jouer ce rôle et que cette femme idéale à la sexualité multiple n’existait pas. Nous avons fini par donner sept visages à ce personnage en tournant avec sept actrices, divisant les scènes en attribuant à chacune un acte sexuel différent… C’était comme se passer le relai d’un marathon mais au final elles ont composé ensemble un personnage formidable !

Et pour finir, quels sont vos projets en cours ?

Emilie Jouvet : Ahahahaha !! un super horror comic porn show in Berlin ! (rires… car nous revenons d’une semaine de tournage épique à Berlin...)

Catherine Corringer : Je suis en train de monter mon quatrième film, et j’ai le projet d’en faire un plus long l’année prochaine, avec uniquement des femmes.

Maria Beatty : Je viens de terminer un court métrage érotique pour France 2, Belle de Nature, qui sera diffusé en octobre, ainsi qu’un long métrage avec Lydia Lunch qui sort en septembre. En ce moment je réalise mon second long métrage à Berlin, une histoire d’amour lesbienne, un film noir à l’atmosphère gothique, avec une touche de fétichisme et de surréalisme, qui sort à l’automne (production : Jürgen Brüning).

Shu Lea Cheang : J’aimerais tourner la suite de mon long métrage porno cyber-punk, I.K.U. ! Je l’intitulerais U.K.I. et le sous-titre serait inversé. I.K.U sous-titrait : « Ceci est du sexe, pas de l’amour » ; là ce serait « Ceci est de l’amour, pas du sexe ». Je souhaite aussi réaliser un film à partir du scénario Fluid, que j’avais écrit pour la compagnie de porno de Lars Van Trier (PuzzyPower production) et qui n’a pas vu le jour.

Merci à vous quatre ! Nous attendons avec impatience la suite en images...

[gris]Wendy Delorme[/gris]

Commentaires (2)

  • ReDXGtdCbYgRp

    Je penrds moi aussi un pari : dans 15 ans l’Euro sera encore là ! « Effet de manche »

  • PTIsxmuLwtGIu

    Lindsay-Dora Germain dit :Le sujet est très intéressant ! Je sais que la séduction n’est pas déclinée de la même façon poartut. Au Québec, séduire c’est traiter la femme en égal, elle ne sait plus comment accepter de se faire charmer. On ne voit pas la galanterie de la même manière, elle crée même un malaise chez plusieures de mes consoeurs qui trouvent que c’est rabaissant… Dommage !