Marie Nimier : La Nouvelle Pornographie (extrait 2)

Le 04/06/2009

La semence jaillit, dix doigts se posèrent sur mes hanches, je sursautai, tout s’enchaînait plus vite que prévu : c’était à mon tour de m’allonger sur la table, à mon tour d’être repassée. Ne t’inquiète pas, dit le directeur, c’est un technicien de chez nous, Frédéric Picaud. Comment était-il entré ? Le technicien glissa qu’on pouvait l’appeler Freddy tout court. Il devait posséder une clef spéciale pour les interventions d’urgence, les fers restés branchés après le départ de leur propriétaire ou les cocottes menaçant d’exploser. Il tira de sa mallette un appareil destiné au massage des épaules et des cous fatigués. L’objet me parut très long, mais peut-être n’était-ce qu’illusion car il rentra parfaitement à l’intérieur.

Le directeur plaça un tabouret de part et d’autre de la table pour que je puisse y poser les pieds. Son associé accroupi se mit à brosser mes cheveux qui tombaient en rideau autour de la planche. Il accompagnait ses gestes de mots très doux, et je me disais que si Aline avait assisté à la scène, elle aurait été épatée de voir comment un homme pouvait s’occuper de moi. Avec délicatesse, oui, malgré le truc qui vibrait entre mes cuisses, tu es belle, laisse-toi aller mon cœur, laisse-toi venir ; il devait être spécialisé dans le contact avec la clientèle car il savait exactement quoi dire et où appuyer. C’était sur mon front qu’il promenait maintenant la brosse, sur ma poitrine, et les dents en plastique dessinaient en passant des courbes de niveau. J’avais envie qu’il me prenne la bouche, qu’il m’aspire le bout des seins, ou qu’il enfonce sa langue entre mes jambes en donnant de grands coups de tête, mais la clef s’engagea dans la serrure de la porte d’entrée, comme un refrain. Caresse-moi, suppliai-je, j’aurais aimé jouir avant l’arrivée d’Aline, mon amie, j’étais au bord de la, en lisière de, et le directeur accéléra son geste, je me mis à crier, Aline dut me prendre pour une folle, pourquoi étais-je allongée sur la nouvelle planche, celle que nous venions d’acheter à crédit malgré nos difficultés financières, la cassette anticalcaire par terre, baignant dans son jus d’eau du robinet, et moi les cuisses écartées, bien pleine d’un instrument branché à la place du fer.

J’essayai de me composer une voix normale pour introduire nos invités, je me levai sur un coude, très femme du monde, Aline, permets-moi de te présenter le directeur de la société Jolicœur et son assistant, Freddy Picaud ; je me mis à rire, à glousser plutôt, tu sais, la société qui nous a fourgué les tasses (les mugs corrigea le directeur en enfonçant à fond le vibromasseur), je laissai échapper une plainte, je le sentais, s’il insistait un peu j’allais jouir une seconde fois. Aline se présenta à son tour, Aline Bertinazzi, je partage le studio avec Marie. Elle était parfaite, faisait mine de ne rien remarquer, je vais nous préparer du thé, dit-elle, ne vous occupez pas de moi, mais le directeur n’était pas de cet avis, il lui suggéra de venir le rejoindre pendant que l’eau chauffait, Aline est brune, elle sent très fort, une bonne odeur de chatte qui adore qu’on lui rende les hommages, son air de la campagne, ses joues rondes et sa poitrine charitable, son (...) oui, c’est cela, les hommes aiment sa générosité mise en valeur par ses vêtements qu’elle achète au rayon Junior. Aline ne sait rien refuser. Freddy descendit sa braguette au signal du directeur, il avait son joujou en l’air, un sacré morceau, ça fait du bien de temps à autre de voir une bonne grosse queue, à défaut d’avoir une grande belle vie.

Il poussa mon amie jusqu’à la table, la traditionnelle, sur laquelle nous mangions et roulions les pâtes à tartes, puis tira de sa poche son petit matériel : un préservatif assorti d’une crème lubrifiante en stick jetable. Je ne connaissais pas ce modèle, cette présentation, l’assistant me promit de me noter la marque sur un papier. Un peu cher, commenta-t-il, mais onctueux, quasi inodore, d’une utilisation ultra-simple, et en effet le tube s’enfonça ultrasimplement entre les cuisses d’Aline. Elle avait une très jolie minette je l’ai déjà dit n’est-ce pas, bien dodue, bien dessinée, avec des lèvres en pétales qui ne demandaient qu’à être maquillées. Son bouton jaillit au passage de la crème. Ça me rappelait l’Amérique, cette langue luisante qui pointait hors de sa gaine. Le directeur s’était approché de son employé, émoustillé par le spectacle, il se serait bien vu à la place du stick. Freddy rangea son matériel avec soin. Le directeur se travaillait, le buste légèrement penché en avant comme pour secouer la dernière goutte, après pisser, mais ça ne donnait pas grand-chose. Freddy introduisit son sexe dans le con d’Aline d’une façon un peu démonstrative, certes, mais qui le lui reprocherait, il prenait une petite revanche sur son supérieur hiérarchique. À moins que ce ne fût un arrangement entre les deux hommes, une complicité à la nipponne.

Toujours est-il qu’Aline, piquée au jeu, avait changé de position pour présenter le meilleur d’elle-même. Elle se tenait à croupetons maintenant, le dos creusé, son cul majestueux à la retrousse, comme chez le proctologue, décontractez-vous mademoiselle, décontractez, elle me regardait, tous les deux regardaient dans ma direction et le directeur solidaire se peignait la girafe en soufflant par le nez, lui seul me tournait le dos. Je dois avouer que ça m’excitait de percevoir ce petit souffle et d’imaginer l’indolence obstinée de son onzième doigt, il y avait son coude aussi qui bougeait très vite, mais les premières notes de l’Hymne à la joie vinrent mettre un terme à mes observations : le téléphone du directeur sonnait. Sa femme s’inquiétait (« Ma femme », chuchota-t-il en éloignant l’appareil de sa bouche). Oh la vache, quelle ascension ! Il était tout rigide soudain, jusqu’à l’expression de son visage. Voilà un homme heureux, pensai-je, qui bande dès qu’il entend la voix de son épouse. Puis je compris que ce qui l’excitait, ce n’était pas de l’entendre, mais de lui parler, la biroute à l’air, et mieux encore : de lui mentir devant témoins.

Oui, le mensonge avait sur sa queue un effet déclaratif, aussi déroulait-il une fable interminable, prétextant un rendez-vous difficile, un pépin technique qui avait entraîné la brûlure d’un enfant, non, pas le fer, la table, l’aspirante, et plus il s’enfonçait dans son récit, plus il s’excitait. N’y tenant plus, il pivota vers moi pour me donner sa bite à sucer, suce à fond dit-il en mettant sa main devant l’appareil — à ce stade de la conversation, éloigner le combiné se révélait insuffisant. Freddy Picaud quant à lui remontait sa braguette, c’était du genre BBQ (big but quick), commenterait Aline lorsque nous serions de nouveau seules, Aline qui pour l’heure n’affichait aucun signe de déception. Elle savait prendre le bon côté des choses, garder en mémoire ce qu’il y avait à garder, la beauté de cette verge, sa courbe magnifique, son allant. L’eau bouillait depuis un moment, non, Freddy n’aurait pas le temps de boire un thé, avec ou sans mug autour, il avait encore du travail, mais il nous promit de saisir le premier prétexte qui se présenterait pour nous rendre visite. Le matériel était garanti deux ans, un service après-vente exceptionnel, et patati et patata je vous laisse mon numéro personnel, au moindre pépin, vous n’hésitez pas à me téléphoner.

[gris]Marie Nimier

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