Boyer d’Argens : Thérèse Philosophe (extrait)

Le 12/04/2009

En arrivant de notre exil volontaire, notre premier soin fut de changer de quartier ; et sans dire mot au président, nous nous transplantâmes dans le faubourg Saint-Germain. La première connaissance que j’y fis, fut celle d’une certaine baronne qui, après avoir pendant sa jeunesse travaillé utilement et de concert avec une comtesse, sa sœur, aux plaisirs de la jeunesse libertine, était devenue directrice de la maison d’un riche Américain, à qui elle prodiguait les débris de ses appâts surannés, qu’il payait bien au delà de leur juste valeur. Un autre Américain, ami de celui-ci, me vit et m’aima : nous nous arrangeâmes. La confidence que je lui fis du cas où j’étais, l’enchanta au lieu de le rebuter.

Le pauvre homme sortait d’entre les mains du célèbre Petit : il sentait qu’entre les miennes il était assuré de ne pas craindre de rechute. Mon nouvel amant d’outre-mer avait fait voeu de se borner aux plaisirs de la petite oie ; mais il mêlait dans l’exécution un tic singulier. Son goût était de me placer à côté de lui sur un sofa, découverte jusqu’au-dessus du nombril ; et tandis que j’empoignais et que je donnais de légères secousses au rejeton de la racine du genre humain, il fallait que j’eusse la complaisance de souffrir qu’une femme de chambre, qu’il m’avait donnée, s’occupât à couper quelques poils de ma toison. Sans ce bizarre appareil, je crois que la vigueur de dix bras comme le mien ne fût pas venue à bout de guinder la machine de mon homme, et encore moins d’en tirer une goutte d’élixir.

Du nombre de ces hommes à fantaisies était l’amant de Minette, troisième sœur de la baronne. Cette fille avait de beaux yeux ; elle était grande, assez bien faite, mais laide, noire, sèche, minaudière, jouant l’esprit et le sentiment sans avoir ni l’un ni l’autre. La beauté de sa voix lui avait procuré successivement nombre d’adorateurs. Celui qui était alors en fonction n’était ému que par ce talent, et les seuls accents de la voix mélodieuse de cet Orphée femelle avaient la vertu d’ébranler la machine de cet amant et de l’exciter au plus grand des plaisirs. Un jour, après avoir fait, entre nous trois, un ample dîner libertin, pendant lequel on avait chanté, on m’avait plaisantée sur la difformité de mon... : on avait dit et fait toutes les folies imaginables : nous nous culbutâmes sur un grand lit ; là, nos appats sont étalés, les miens sont trouvés admirables pour la perspective ; l’amant se met en train, il campe Minette sur le bord du lit, la trousse, l’enfile, et la prie de chanter. La docile Minette, après un petit prélude, entonne un air de mouvement à trois temps coupés ; l’amant part, pousse et repousse toujours en mesure : ses lèvres semblent battre les cadences, tandis que ses coups de fesses marquent les temps. Je regarde, j’écoute, en riant aux larmes, couchée sur le même lit. Tout allait bien jusque-là, lorsque la voluptueuse Minette, venant à prendre plaisir au cas, chante faux, détonne, perd la mesure : un bémol est substitué à un bécarre.
- Ah ! chienne ! s’écrie sur-le-champ notre zélateur de la bonne musique, tu as déchiré mon oreille ; ce faux ton a pénétré jusqu’à la cheville ouvrière, elle se détraque ; tiens, dit-il, en se retirant, regarde l’effet de ton maudit bémol ! Hélas ! le pauvre diable était devenu mol, le meuble qui battait la mesure n’était plus qu’un chiffon. Mon amie, désespérée, fit des efforts incroyables pour ranimer son acteur, mais les plus tendres baisers, les attouchements les plus lascifs furent employés en vain ; ils ne purent rendre l’élasticité à la partie languissante. - Ah ! mon cher ami, s’écria-t-elle, ne m’abandonne pas : c’est mon amour pour toi, c’est le plaisir qui a dérangé mon organe ; me quitteras-tu dans cet heureux moment ? Manon, ma chère Manon, secoure-moi : montre-lui ta petite moniche ; elle lui rendra la vie, elle me la rendra à moi-même ; car je meurs, s’il ne finit. Place-la, mon cher Bibi, dit-elle à son amant, dans l’attitude voluptueuse où tu mets quelquefois la comtesse ma sœur ; l’amitié de Manon pour moi me répond de sa complaisance.

Pendant toute cette singulière scène, je n’avais cessé de rire jusqu’à perdre la respiration. En effet, a-t-on jamais vu faire pareille besogne en chantant, et battre la mesure avec un pareil outil ? Et jamais a-t-on pu imaginer qu’un bémol au lieu d’un bécarre dût faire rater et rentrer aussi subitement un homme en lui-même ? Je concevais bien que la sœur de la baronne se prêtait à tout ce qui pouvait plaire à son amant, moins par volupté que pour le retenir dans ses liens par des complaisances qu’elle lui faisait payer chèrement ; mais j’ignorais encore quel avait été le rôle de la comtesse, que l’on me priait de doubler... Je fus bientôt éclaircie. Voici quel il fut. Les deux amants me couchent sur le ventre, sous lequel ils mettent trois ou quatre coussins qui tiennent mes fesses élevées ; puis ils me troussent jusqu’au-dessus des hanches, la tête appuyée sur le chevet du lit . Minette s’étend sur le dos, place sa tête entre mes cuisses, ma toison jointe à son front, auquel elle sert comme de toupet. Bibi lève les jupes et la chemise de Minette, se couche surelle, et se soutient sur les bras. Remarque, ma chère Thérèse, que dans cette attitude, M. Bibi avait pour perspective, à quatre doigts de son nez, le visage de son amante, ma toison, mes fesses et le reste. Pour cette fois il se passa de musique : il baisait indistinctement tout ce qui se présentait devant lui, visage, cul, bouche, et nulle préférence marquée : tout lui était égal ; son dard, guidé par la main de Minette, reprit bientôt son élasticité et rentra dans son premier gîte. Ce fut alors que les grands coups se donnèrent : l’amant poussait, Minette jurait, mordait, remuait la charnière avec une agilité sans égale ; pour moi, je continuais de rire aux larmes, en regardant de tous mes yeux la besogne qui se faisait derrière moi ; enfin, après un assez long travail, les deux amants se pâmèrent et nagèrent dans une mer de délices.

Boyer d’Argens

Cet extrait est publié avec l’aimable autorisation des Editions la Musardine.

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