Portrait d’artiste : Cindy Sherman

Le 27/04/2009

Dès l’année 1976, Cindy Sherman commence à se mettre en scène, et depuis elle ne s’est jamais arrêtée ! Nous sommes devant une œuvre constante, dense et rare. Une œuvre devenue un poids lourd du marché de l’art. En 1996, le MOMA a acheté la série complète des Film Stills plus d’un million de dollars.

Une enfance classique

Née en 1954, dans le New Jersey, à Hintington Beach, une banlieue de Long Island, elle est la plus jeune d’une famille de six enfants. Une enfance américaine banale pour une jeune fille qui aime se déguiser, passer des heures à se maquiller et regarder la télévision tout en dessinant. Elle rencontre Robert Longo à l’université de Buffalo dans l’état de New York, il deviendra lui aussi un artiste majeur de la scène américaine. En 1977, toujours à l’université, elle expose ses premières photos, la série Bus riders, où elle se grime, et joue, femmes et hommes, attendant l’autobus. A la même époque avec Murder mystery people, elle joue les 17 rôles d’un polar imaginaire.

Le cinéma et les femmes

Mais c’est avec les Film Still, une série où elle se met en scène et joue à chaque fois un rôle particulier, comme au cinéma, qu’elle acquerra une notoriété. Ces images sont techniquement frustres, et sont le reflet de l’amour propre et narcissique de la jeune artiste. L’essentiel, le formalisme, tout son art, son art subtil de se jouer de l’image de femme, est déjà en place dans cette série commencée en 1977 et terminée en 1980. La fantaisie avec laquelle elle incarne certains rôles qui sont des souvenirs de film se résume en une image-imaginée, un champ encadré. Bien que jouant à faire croire, les photos tentent d’évoquer le cadre du film comme signe d’un monde imaginaire. « Les photos en noir et blanc étaient amusantes à faire. En partie sans doute parce que pendant mon enfance j’avais accumulé beaucoup d’images. C’était facile de penser à un modèle. Différent pour chaque scène. Mais c’étaient de tels clichés qu’au bout de de trois ans je n’ai pas pu continuer. Je pensais vraiment cinéma car les personnages sont sortis tout droit du cinéma. Pour la femme debout devant mon atelier, je pensais à un film de Sophia Loren, Two Women. Elle joue ce rôle de cette femme italienne. Son mari a été tué. Elle et sa fille ont été violées. Elle est cette femme rude et forte mais abattue et sale. J’aimais la double présence de Sofia Loren très sale et très forte. C’est à cela que je pensais. Dès lors, me semble-t-il, plus je travaillais, plus je développais mes propres idées sur les femmes qui dépasseraient les stéréotypes… ».

Représentations de la femme et stéréotypes

Elle continuera dans la même veine, en couleur, avec comme fond un écran diffusant un décor. Et depuis, elle ne cessera de nous présenter, par intervalles plus ou moins longs, une galerie de figures empruntées, juste pour les interroger. Jouant les stéréotypes culturels et sociaux et surtout à la façon dont ils existent à travers différents modes de représentation de la femme : doubles pages centrales de magazines, publicités, cinéma, images du sexe, peinture classique, contes de fée pour jeune fille… Analyse subtile de l’identité individuelle, en particulier féminine, les fantasmes qu’elle produit et les forces qui s’exercent sur elle.

Radicalisme

En 1982, Cindy Sherman présente une série importante de grands autoportraits verticaux, sans maquillage, dans un peignoir en tissu éponge rouge, elle est proche de sa vraie image, comme pour sortir, juste un instant, de l’anonymat ! Puis petit à petit, au fil des années, l’atmosphère s’obscurcit, et elle s’efface, utilisant de plus en plus de mannequins et de masques, qui deviennent parfois les seuls protagonistes de la scène. Le propos s’est radicalisé : dans Fairy Tales, les contes de fées sont de purs cauchemars. Civil War est peuplé de morceaux de cadavres étalés sur la terre, image de l’horreur ! Avec Broken Dolls, elle noircit le monde de l’enfance à travers ses poupées obscènes, démembrées. Une exception dans ses séries où l’humour ne semblait plus avoir sa place : avec History Portraits, elle s’en prend à l’art et son côté sacré. Les photos reproduisent des portraits à la manière classique, parodiant explicitement des grands maîtres de la Renaissance.

Sexe sans visage ?

Et le sexe ? Il ne deviendra réellement présent dans son œuvre que dans les années 90, avec Sex Pictures (1992) (Il faut bien leur donner un nom, toutes les séries sont intitulées Untitled avec un numéro de tirage). Chez elle, le sexe est totalement déshumanisé dans des mises en scène pornographiques exclusivement jouées par des poupées de caoutchouc, ou de plastique rigide, le plus souvent désarticulées : le sexe est un combat, voire un massacre… Ces images violentes de désir brut, le plus souvent en très grand format, cristallisent les désirs équivoques. Le corps en est réduit au sexe sans visage : visions de vulves béantes ou poilues, plastron mammaire, le cul devient trou plastifié. Elle ne se met pas en scène, elle ne peut assumer ces fictions du moi. La force de ces images est terrifiante, jamais une artiste n’était allée aussi loin, à cette époque bien puritaine, bien avant la vague porno-chic !

Un clown féminin ?

Sa dernière série date de 2004, avec comme figure principale le clown, qui évoque à la fois le grotesque et la gravité, l’identité cachée sous le masque, son instabilité. Mais qui vient peut-être aussi réintroduire un peu de légèreté dans ce discours en images globalement sombre et désenchanté. C’est aussi la première fois qu’elle prend un personnage autre que féminin (Existe-t-il des clowns féminins ? Les clowns ont-ils un sexe ?) Après cette série, comme une libération de sa représentation et de ses diverses projections, elle se libère de son œuvre, redevient un être humain, presque comme une « people » : une apparition dans Pecker de John Waters après un film, Office Killer, qu’elle réalisa elle-même en 1997. On la voit également de plus en plus dans les défilés de mode, surtout ceux de Nicolas Ghesquiere pour Balenciaga, et en 2004 elle pose pour Juergen Teller pour les publicités Marc Jacobs endossant le rôle de rockeuse, midinette, femme au foyer, nurse, mondaine… Visions multiples, et drôles, de la femme d’aujourd’hui. Comme un clin d’œil à son œuvre !

[gris]Patrick Rémy
[/gris]

[gris]Cindy Sherman est représentée par la galerie Metro Pictures à New York :
http://www.metropicturesgallery.com
http://www.cindysherman.com[/gris]