Les films X seront-ils un jour à l’écoute des désirs féminins ?

Le 22/04/2009

La pornographie boucherie : un constat. Si dans le cochon tout est bon, force est de constater que sur les étalages du commerce ne sont présentées que certaines parties de la bête, en quantité industrielle, souvent les mêmes, grossièrement accommodées, autant d’orgasmes vite emballés, vite consommés. En effet, le temps de visionnage d’un porno aujourd’hui serait à peu près égal au maximum à celui à la cuisson d’une pizza au four (12 min*), et au minimum —avec la Junk-video sur Internet et depuis que YOUTUBE a des équivalents pornographiques tel que REDTUBE— égal au temps de formation du pop-corn dans le micro-ondes (1 min 30). Certains n’hésitent pas à parler de la pornographie comme boucherie mondiale, employée à acheter-vendre des corps, à les démembrer pour livrer leurs morceaux (visages, culs, sexes, seins…) au consommateur, un morceau pour une scène (fellation, sodomie, double pénétration, éjaculation faciale…). Ce qui différencierait ces « pièces de viandes » entre elles seraient des qualités (jeunes, matures), des origines (asian, indian, russian), des races (black, blancs, beur et beurette), des modes de dressage (amateur, pros). Enfin, il semble y avoir des recettes à succès pour mélanger ces corps, pour lesquelles chacun ses goûts (straight, gay, plans à trois, orgies), ainsi qu’un choix standard d’assaisonnement (soft, hardcore, extreme)…

Pour le plaisir… De qui ?

Vu comme cela le porno paraît horrible. Bien plus que le fait d’opérer par typologies de préférences pornographiques (pourquoi pas), c’est la nature et le discours des images majoritaires en circulation qui est souvent pire que moche. Il suffit de visionner sur Internet de jeunes femmes se faire huiler puis taper les flancs avant de se faire embrocher pendant que d’autres gémissent de douleur en attendant la fin pour en avoir des hauts le coeur. Qui a joui et/ou fait jouir sait différencier, même à l’écran, une crispation de douleur d’un rugissement de plaisir. Des litres de lubrifiants, un peu d’anesthésiant dans les fesses, le tour est joué : souriez les filles, vous êtes filmées ! De plaisir dans cette sexploitation, « démolition », « bagne sexuel » (dénoncée par Frédéric Joignot dans son livre Gang Bang), très peu pour la femme. Car qui est l’exploité(e) de la farce ? Et à qui, avec ce genre de réalisation, sert t’on le plaisir sous vide d’émotions ? Aux messieurs uniquement ? De fait, le plaisir féminin (et plus largement, de celui ou celle qui donne du plaisir au protagoniste masculin en question) semble annexe dans ce genre de productions, voire bonus. Les maigres filets de scénarios, les titres décomplexés, ne trompent pas sur la façon dont sont représentés ces serviteurs du mâle en puissance. Il y a peu de jouisseuses (à l’exception, peut-être, des incroyables femmes fontaines qui semblent avoir un certain respect), juste des « cocksuckers », « des salopes qui aiment ça », ce qui est différent en terme de polarité (i.e. positive ou négative). Car c’est cela, l’étrange discours qui se fait jour de « film de boules » en « film de boules », celui de la nature profondément vicieuse, perverse, damnée de la femme, dans laquelle l’équivalence entre toutes, girl next door ou porn star, finit par se faire : toutes des putes au fond, qui n’auraient que ce qu’elles méritent et non pas vraiment ce qu’elles désirent. Cela, elles n’ont d’ailleurs pas le temps de l’exprimer. À moins de… ?

Vous avez dit porno « de femmes » ?

Au regard de ce constat, et en prenant l’idée d’une définition d’une autre (s’il vous plaît) pornographie en négatif de cette boucherie, nous pourrions commencer par dire que ce que l’on commence à peine à appeler la pornographie « de femmes », « pour femmes », pourrait être tout, mais pas cela. Quand on voit la triste monotonie dominante, il est évident que beaucoup de choses sont possibles. Spécifiquement, puisqu’il y a néanmoins des genres et des goûts, il est généralement admis que le porno « de femmes » ou « pour femmes » est un cinéma à vocation excitante mais pas seulement, qui met en scène le plaisir féminin sous toutes ses formes physiques et fantasmatiques dans le respect de la femme et de sa/son/ses partenaires, et qui réintègre dans la matière visuelle ce qui lui a été trop souvent omis… de cinéma, justement : qualités esthétiques, scénario, acteurs et direction d’acteurs généreuses et enthousiastes — il existe évidemment des productions féminines aussi pauvres que certaines productions masculines et inversement, étant bien entendu que ce n’est pas le genre/sexe associé à la réalisation d’un film qui est le gage de sa qualité, mais plutôt son engagement et son intelligence, nécessité que l’on retrouve de fait, chez des réalisatrices ET des réalisateurs soucieux de décrire une image riche et belle de la sexualité, particulièrement féminine, par ailleurs malmenée dans l’industrie. Ainsi, Linda Williams, Professeur à Berkeley, dit à propos d’Erika Lust, réalisatrice Américaine vivant en Espagne, primée pour Five Hot Stories for Her, qu’elle sait « respecter les codes du hardcore, tout en établissant une tension réelle autour des actes sexuels, et construire des scènes de sexe autour des désirs, points de vue et sens du jeu des femmes. Elle donne une variété et de l’intérêt au sexe hardcore bien trop souvent mécanique ». Ceci étant dit, la réponse à la question « que peut être la pornographie de femmes ? » est ouverte et/ou procède, en tant que telle, d’une ouverture. Ces idées (scénarios, qualités esthétiques, plaisir de la femme) mises en avant sont un exemple de premières « guidelines » possibles parmi d’autres, pour une autre pornographie. En effet il ne s’agit peut-être pas tant de délimiter le porno « de femme » selon des critères précis qui feraient du genre un enclos érotico artistique où les femmes seraient (une fois de plus) bien gardées (à l’écart de débordements sexuels et autres monstruosités pulsionnelles qu’on ne leur reconnaîtrait pas), que de faire exister dans le porno la belle substance autrement malmenée par la marchandisation, la domination masculine persistante, l’exploitation généralisée, les législations moralisatrices retorses. Et cela procède d’une ambition générale, née dans le creuset des luttes pour les émancipations de tout poil amorcées au vingtième siècle.

Fellations féministes

Le porno « de femmes » s’élabore en filiation directe avec le féminisme dit « pro sexe », particulièrement américain, des années 70, 80, porté entre autres par figures emblématiques et toujours actives telles que Annie Sprinkle, sex-performeuse délurée qui n’hésite pas à filmer la masturbation (quand elle ne se masturbe pas en public) dans une perspective d’éducation et d’émancipation de la jouissance féminine. Dans un contexte de libération sexuelle (la donne socio-politique change petit à petit, concrètement, pour les femmes) accompagnée par un déploiement marchand qui ne rate pas le coche, le mouvement se généralise (avec le développement des structures marchandes ciblées pour les femmes, boutiques et Internet, le film trouve sa place et son public malgré les difficultés du porno à circuler dans le circuit cinématographique classique). Le cinéma porno féminin doit également beaucoup aux artistes et militantes lesbiennes, et plus largement à la mouvance « queer » incluant tous les sexualités hors-normes, engagés à mettre en scène la beauté des rapports, des corps libres aimés et aimants dans des films destinés au plaisir. Parmi les réalisations au cachet esthétique particulier fort abouti, se trouvent notamment les films de la New-Yorkaise Maria Beatty. Si la sexualité SM et fétichiste mise en scène par Maria Beatty ne relève certes pas du monde fantasmatique ni de la vie intime de chacune (contrairement à la réalisatrice, qui est « soumise » dans la vie), la qualité de ses films à la photographie léchée procure des frissons au delà de sa sphère originaire. De quoi se réjouir donc, que de telles productions existent, et avoir envie de les découvrir, puisque la sexualité ne peut que s’épanouir de ces ouvertures à d’autres univers. Le film porno de femmes « hétérosexuelles » trouve aussi sa voie et ses figures, notamment quand des actrices du X passent derrière la caméra (Ovidie en France). Aujourd’hui elles sont nombreuses, actrices, réalisatrices, artistes, féministes, femmes, à mettre en scène le plaisir comme elles l’entendent et à rencontrer un certain succès. On assiste néanmoins à un débat entre les féministes « radicales » opposées à la possibilité de retrouver dans des films de femmes des « clichés masculins ». Ainsi du débat autour de la fellation : une fellation, selon certaines, ne pourrait pas être « féministe », car elle est encore soumission. Une femme ne pourrait donc pas avoir de plaisir à sucer ?! Balivernes et censure d’ « Église Fondamentaliste Féministe Porno », répond Erika Lust qui en profite pour réaffirmer son engagement de tous les possibles : « Pour moi le porno féministe devrait mettre en scène tous les fantasmes et désirs des femmes —tous ! ». Fellations et éjaculations faciales en font partie, remarque-t-elle. Elle clôt le débat en se présentant comme un « être vivant » cherchant l’égalité avec les autres, pas « juste » une « féministe » bornée.

Que font les hommes ?

À propos d’égalité : et les hommes dans l’histoire ? Nul doutes que la dominante vulgaire et machiste du porno de masse est associée d’une façon ou d’une autre au fait que le masculin l’emporte tristement sur le féminin et pas seulement en orthographe. Mais penser que l’homme n’est homme que de la pornographie bouchère serait se méprendre. Il est bien sûr des hommes qui entretiennent un rapport « heureux » avec le cinéma porno et les femmes, qui en attendent autre chose que la consommation mécanique d’images douteuses, voire œuvrent dans ce sens. Témoin le réalisateur Lars Von Trier, qui a monté une entreprise de production cinématographique Zentropa, dont une partie des fonds ont été orientés vers des films pornographiques bâtis autour d’un ensemble de règles (comme le Dogme l’était) établies par des femmes et rassemblées sous le nom de « Puzzy Power Manifesto » (avec des critères tels que un scénario crédible, une montée progressive du désir, pas de violence sauf pour assouvir un fantasme féminin). Cela a débouché sur une structure de production, Innocent Pictures, dirigée par Nicolas Barbano, productrice de films écrits et/ou réalisés par des hommes et femmes de toutes sexualités, alliant exigence de qualité cinématographique et codes hardcore, parmi lesquels All about Anna ou Pink Prison. Au delà d’une ambition purement « féministe », la charte esthétique et éthique d’Innocent Pictures vise à séduire et respecter les sensibilités de toutes les audiences. Et puis, Frédéric Joignot, se dressant dans son essai contre le « bagne sexuel » qu’est pour la femme le cinéma pornographique de masse, est bien un homme.. Interrogé à propos de son essai Pornostars, fragments d’une métaphysique du X, Laurent de Sutter décrit quant à lui encore un autre rapport au porno que le consumérisme froid, parle de « rêverie abstraite », d’univers subjectif traversé de starlettes magiques, adorées et remerciées… Comme quoi, il y a plus d’une façon d’envisager les choses, et qu’elles n’excluent pas toutes d’y être en bonne compagnie.

De la pornographie en devenir perpétuel

Certes, les femmes, sont des chefs de file, porteuses de changements, mais elles le sont parmi d’autres, hommes compris. Le porno, un peu du fait de son statut imposé d’enfant illégitime du cinéma (alors qu’en réalité, on pourrait argumenter que c’est l’image pornographique, sa tentation, qui est et fût la mère de ce média, de même qu’en photographie et autres arts visuels) est le lieu de toutes les bâtardises, financières, artistiques, identitaires. Dans cet esprit d’ouverture, le renouvellement créatif ne saurait s’arrêter. La belle époque du porno n’est pas passée comme semblent dire certains nostalgiques du sexe slow-motion sur fond psychédélique seventies (se souvenant de films comme Deep Throat ou Derrière la porte verte) il nous semble au contraire qu’elle ne cesse d’arriver, de rencontrer de nouveaux moyens, de nouveaux supports, de s’incarner dans de nouveaux corps. Ainsi Katrien Jacobs, chercheuse en médias numériques et sexualité croit au beau futur du porno, notamment via le fort potentiel d’Internet en terme d’imagination, d’éducation, d’ouverture et de rassemblement : « Le public se rassemble aujourd’hui autour du porno mais, à la différence du public des vieux cinés porno d’autrefois, il est maintenant mixte, avec des hétéros et des gays, des hommes et des femmes, des artistes et des activistes ou simplement des curieux du sexe ». La pornographie serait, à l’image de toutes ces identités, de tous ces corps qui se cherchent une place parmi les autres et des expressions en accord avec leurs désirs, une dynamique plutôt qu’une fin en soi. Nous pourrions même avancer que son devenir est un devenir qui reste minoritaire, non pas dans le sens où cette pornographie resterait nécessairement absente ou sous représentée, mais dans le sens où sont objectif ne serait jamais d’imposer une majorité au plaisir, de remplacer une majorité par une autre. Nous pourrions parler d’une pornographie accessible, possible, présente, qui ne participerait pas à écraser la multiplicité des jouissances possibles et existantes sous la lourdeur vide d’une dominante sexuelle en particulier. Pas de « bonnes » ou de « mauvaises » réponses à imposer en sexe, tant que les corps évoluent dans le respect mutuel. Dans ce mouvement, toutes les créations d’où qu’elles viennent, les propositions qui émergent sont bienvenues. Bien qu’il faille encore un peu d’efforts et de perspicacité pour les rencontrer elles sont là, elles arrivent.

[argent]Maxine Lerret[/argent]

[argent]Sources :[/argent]

[argent]Article de Richard Corliss dans le Time, That Old feeling : When Porno was chic[/argent]

[argent]Interview avec Katrien Jacobs sur le site Écrans de Libération, http://www.ecrans.fr/spip.php?article107[/argent]

[argent]Interview avec Laurent de Sutter sur Fluctuat.net : http://sexe.fluctuat.net/5914-Porno...[/argent]

[argent] http://erikalust.blogspot.com/ http://www.innocentpictures.com [/argent]

Commentaires (2)

  • dpg

    candida royale, playgirl, sweet sinner... ça existe, mais pas en version "courte" du type redtube !

  • ikDCBNIaintv

    HHIS I should have thhogut of that !