Connaissez-vous l’Osunalité ?

Le 02/03/2018

L’approche africaine à la féminité, à la sexualité, est très éloignée de l’approche judéo-chrétienne de l’Occident. Dans certains pays d’Afrique, la déesse de la Féminité Osun (ou Oshun) à même donné lieu à l’ «  Osunalité », un nouveau courant féministe Afro-Américain qui cherche à se « dé-colonialiser ». Il est devenu assez populaire pour que Beyoncé la mentionne dans son album « Lemonade » et se pare de ses atouts sur scène.

Pour les Yoruba (Nigeria et Benin), cette déesse est la déesse de la sexualité et du plaisir sensuel. Selon Nikiru Nzegwu, auteur de l’essai « Osunality : Or the African Erotic  » (Osunalité : ou l’érotique Africaine, pas encore traduit en France), « l’osunalité est une ontologie sexuelle africaine progressive, bastion du pouvoir féminin  ». Pour elle, la vision occidentale est phallocentrée et par conséquent erronée : « « La hiérarchie sexualisée des genres en l’Occident érotise la domination masculine et la subjugation féminine », ce qui limite autant le plaisir de l’homme que celui de la femme. Elle reprend par ailleurs la pensée traditionnelle de plusieurs cultures africaines : le pouvoir n’est pas dans le pénis, mais dans le vagin, c’est lui qui avale le pénis et le fait disparaitre dans le rapport hétérosexuel (une théorie à rapprocher de celle de Naomi Wolf.)
Nikiru Nzwegu centre une large partie de son travail autour de ce qu’elle appelle « l’Osunalité » et du «  Miel de Osun » pour parler du plaisir féminin ancestral : “La force d’Osun montre un flux séquentiel qui va du désir, à l’éveil, la copulation, l’accomplissement de plaisir, la conception, la naissance et la croissance ». En résumé, la sexualité inclut de nombreuses étapes sensuelles et les femmes qui incarnent cette force d’Osun présentent leur sexualité d’une façon puissante et visible, mais cette force a été corrompue par le colonialisme. C’est également l’avis de Sylvia Tamale, qui a publié un ouvrage détaillant les sexualités africaines et l’enseignement qui est fait aux femmes.
Quelques exemples viennent étayer son sujet : il existe toujours en Afrique de nombreuses écoles de sexualité pour que les jeunes femmes sachent tout du coït avant de passer à l’acte.
Au Kenya, ce sont les « tantes » qui vont dans les soirées d’enterrements de vies de jeunes filles donner trucs et astuces. Il y a même à Nairobi une femme, Najad, dont la réputation dépasse les frontières, qui apprend aux femmes à éjaculer.
En Zambie, on pratique « la danse du lit » pour apprendre la sexualité. Pendant que des tambours jouent, des femmes pratiquent des danses qui simulent le rapport sexuel afin que celles qui regardent puissent visualiser et comprendre.
En Ouganda, les femmes apprennent à agrandir leurs grandes lèvres pour à la fois augmenter l’excitation de leur partenaire, faciliter la pénétration et accroître leur plaisir. Cela aiderait également l’éjaculation féminine et l’orgasme, car le frottement du pénis sur ces lèvres allongées enverraient certaines directement à l’orgasme. Les tribus Baganda ont des femmes dédiées à l’apprentissage sexuel des jeunes filles, les « Ssengas  ». Elles enseignent à prendre soin de son corps, à tout savoir de la procréation, l’usage des aphrodisiaques, l’ensemble des zones érogènes et tout l’art de l’érotisme. Elles portent sur les hanches, à même la peau, des colliers de perles qui font une musique érotique au gré des mouvements.
Au Sénégal, les femmes ont ces mêmes colliers de hanche, et sous leurs pagnes, un autre pagne couvert de dessins érotiques et/ou pornographiques. Même si une partie de cette éducation sert aussi à faire plaisir au futur époux, il donne conscience aux femmes des bienfaits et des pouvoirs de la sexualité. Au Nigéria, chez les Nnobi, il fut un temps - avant le colonialisme - où, les notions de genres n’étaient pas binaires, la tribu n’étaient pas scindée entre hommes et femmes, mais elle évoluait de façon flexible. Les femmes pouvaient épouser d’autres femmes et adopter des comportements masculins, les filles pouvaient devenir des fils*. Chez les Yorubas, on n’accordait pas non plus tant d’importance au genre, jusqu’à l’arrivée des Européens**.

L’Osunalité sert aujourd’hui à cela : désapprendre la vision patriarcale de l’Occident et avoir une approche post-coloniale qui reprend les bases de la culture africaine et redonne une place centrale à la sexualité et aux pouvoirs qui l’accompagne. Dans cette approche, ni le pénis ni la pénétration ne sont nécessairement centraux. L’osunalité se retrouve également dans les Caraïbes où le docteur Hepworth Clarke (sexologue jamaïcaine et épistémologiste qui étudie cette approche au Brésil), appelle cela l’éco-sexualité. Elle s’engage dans toutes les voies de la pleine conscience, des discours contre-oppressants, de la décolonisation et de tout ce qui peut enrichir et diversifier la vie sexuelle.

Ces nouvelles féministes afro-américaines suivent en cela le mouvement initié par Audre Lordre, écrivaine américaine féministe et activiste, dont le livre paru en 1981 « Uses of the Erotic : The Erotic as Power  » (usages de l’érotisme : l’érotisme comme pouvoir) expliquait de quelle façon ce qu’elle nomme «  l’érotique » est un pouvoir dans la sphère privée autant qu’en politique. Selon elle, le terme est mal interprété dans nos sociétés patriarcales, « Eros  » en grec signifie l’amour dans un sens très vaste qui inclus le pouvoir.
De cela toutes les femmes, et pas uniquement celles originaires d’Afrique, devraient avoir conscience.

* Ifi Amadiume « Male Daughters Female Husbands » (Filles mâles, femmes mari) 
**Oyeronke Oyewumi « The invention of Women : Making an African Sense of Wester Gender Discourses » (L’invention des femmes : donner un sens africain au discours occidental sur le genre)