L’homme qui aimait les femmes

Le 13/05/2015

Depuis Freud, qui avait fini par avouer que pour en apprendre davantage sur la sexualité feminine il fallait « interroger votre propre expérience, adressez-vous aux poètes ou attendez que la science soit en état de vous donner des renseignements plus approfondis et mieux coordonnées », le sentiment général autour de la sexualité féminine tourne fréquemment autour du manque et de l’oubli : manque de certitudes autour de la définition de l’orgasme féminin, manque de désir, manque de mémoire lorsque le rôle de l’homme est remis en cause …

Si tout le monde (ou presque) a entendu parler du point G, on sait peu de choses sur le travail de l’étonnant docteur Gräfenberg, si ce n’est sa découverte du fameux point. Gynécologue allemand, il fut officier sanitaire pendant la première guerre mondiale, et espérait se spécialiser dans les métastases, comme il voulait aussi mieux comprendre la reproduction, et en particulier l’ovulation. Mais en découvrant de quelle façon tragique les femmes avortaient, il a changé d’orientation et cherché sans relâche des moyens pour elles de choisir librement d’être mères ou non. Son premier apport majeur dans la vie des femmes, avant le Point G, fut d’avoir inventé l’ancêtre du stérilet. La seconde guerre mondiale arrivant, le gouvernement allemand, avec et ses idées aryenne, avait des idées très éloignées sur la reproduction et le contrôle des naissances ne rentrait pas dans l’idéologie de l’époque.
En 1933, le gynécologue juif fut contraint de quitter son poste à l’hôpital de Berlin-Britz. Il fut arrêté en 1937 et resta dans les camps nazis jusqu’en 1940. Il fut libéré par la très exceptionnelle infirmière américaine Margaret Sanger, dont la volonté de fer. Grâce à elle, il migra à New-York, l’anneau contraceptif dans ses bagages. L’Amérique puritaine n’était pas mieux disposée que l’Allemagne, au nom d’un souci démographique et de la toute relative liberté accordées aux femmes. Le gynécologue hors norme ouvrit un cabinet et continua inlassablement à être à leur l’écoute, y compris sur les insuffisances orgasmiques dont elles se plaignaient. Un jour qu’une patiente ne cessait de se lamenter, il lui conseilla - sans s’embarrasser de plus de forme - d’essayer avec un autre partenaire que le sien. Elle claqua la porte, choquée et le rappela quelques jours plus tard pour pour le remercier : c’était effectivement la solution. Dès 1950, il notait que 80% des femmes n’arrivaient pas à atteindre l’orgasme avec leur partenaire, mais que « le manque d’orgasme et la frigidité sont deux choses séparées. (…) Une femme qui ressent uniquement l’orgasme clitoridien, n’est pas frigide et elle est parfois même plus active sexuellement parce qu’elle est en chasse d’un partenaire masculin qui l’aidera à remplir ses rêves et désirs les plus érotiques ».
Au bout de quarante ans d’exercice, les propos du gynécologue arrivaient à des conclusions diamétralement opposées à celles de Freud : pour lui, l’orgasme clitoridien n’est pas un orgasme infantile, le sexe féminin n’est pas un continent noir, la femme est au contraire toute de voluptés et son corps entier est érogène. « D’innombrables points hétérogènes sont répartis sur tout le corps, d’où la satisfaction peut éclore, il y en a tellement que nous pourrions presque dire qu’il n’y a aucune partie du corps féminin qui ne donne pas de réponse sexuelle. A une condition seulement : si le partenaire sait trouver ces zones érogènes ».
L’histoire -qui est écrite par les hommes - a préféré se souvenir de Freud.

De lui, il reste donc le vacillant souvenir du point G, régulièrement remis en cause par le corps médical. Hélas, tout ce qui glorifie la femme ou affaiblit l’homme est étouffé, oublié. Les études qui régulièrement dissèquent et morcèlent la femme comme pour mieux la diminuer, les enquêtes qui montrent que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à jouir, participent à maintenir des clichés de genre.
Le travail de Gräfenberg semble avoir été effacé.