Sex addict

Le 21/04/2009

Aujourd’hui, on n’est plus atteint de nymphomanie ou de satyriasis, mais d’hypersexualité. Le préfixe hyper suffisant à éloigner du langage péjoratif cette réelle pathologie. Car nous parlons là non pas de la saine grande amoureuse ou du simple chaud lapin, mais du vrai malade du sexe, insatiable et tourmenté. Le sexoolique est un toxicomane comme un autre, prêt à tout pour avoir sa dose. Sauf que sa drogue est un plaisir a priori inoffensif, un acte de communion et de partage qui finit par isoler le sex addict dans une quête éperdue.

C’est quoi, un dépendant sexuel ?

Pour François-Xavier Poudat (1), on ne commence à parler de dépendance sexuelle que lorsqu’il s’agit d’une « vraie boulimie de fantasmes, de comportements masturbatoires ou de rapports sexuels, autocentrés sur soi dans un isolement affectif parfois total. » Comme Yann, le personnage principal du roman de Guillaume Perrotte (2), récit presque suffocant de la chute en quelques jours d’un homme, puis de sa femme, dans une dévorante obsession. A en croire le docteur Poudat, qui distingue deux formes cliniques d’addiction sexuelle, Yann est atteint d’une addiction « non paraphilique ». Les paraphilies sont des déviances sexuelles, des impulsions sexuelles et des débordements imaginatifs envahissants, qui isolent de toute intimité sexuelle et de toute réciprocité affective. Les exemples les plus classiques sont : l’addiction au sexe-objet (fétichisme) et le voyeurisme ou l’exhibitionnisme. A contrario, les addictions non paraphiliques, les plus communes, regroupent des intérêts et des comportements acceptés par notre culture, mais accentués en intensité et en fréquence. Masturbation excessive, dépendance à des formats anonymes de sexualité (pornographie, téléphone rose, internet), ou sexualité compulsive dans les rapports à deux. C’est aussi le cas de Victor dans le roman et film Choke (3), un sexoolique qui sèche sa thérapie de groupe - « meilleur plan cul qui soit », où toutes les légendes urbaines, ces gens qui débarquent aux urgences en « racontant qu’ils ont trébuché et sont tombés sur une courgette, une ampoule électrique, une poupée Barbie, une gerbille qui se débat encore » se retrouvent, en chair et en os -, qui s’échappe donc de ces séances de désintoxication pour s’adonner à son plaisir favori avec une autre dépendante.

Un plaisir toxique

Philippe Sollers, parlant de son essai sur Casanova (publié en 1998), nous met en garde contre les excès de pudibonderie qui émasculeraient les héritiers du célèbre Vénitien, qui « aujourd’hui, serait soigné pour addiction sexuelle. Enfermé à la clinique des Plombs, soumis à un régime chimique strict, on l’amènerait à demander lui-même sa castration. » Mais n’est pas hypersexuel qui veut… On parle d’anomalie « quand le sentiment d’angoisse et d’insécurité amène à rechercher un apaisement immédiat, en remplissant son corps et sa tête, quand cela entraîne un enfermement, estime Poudat. Dans ces cas, une dépendance en remplacera toujours une autre : le travail sinon le sport, sinon le bricolage, sinon les amis, sinon le sexe, sinon… souffrir ! » En tous cas, chez les dépendants l’addiction est toujours perçue comme un mal nécessaire pour vivre ou survivre, pour se calmer, exister, s’intégrer au monde, faire comme les autres. Telle la cigarette dont on augmente la dose pour se calmer, le sport dont on attend des performances de plus en plus excessives, la nourriture pour calmer l’ennui plus que pour le plaisir convivial des sens, l’acte sexuel sert plus à se défouler qu’à communiquer avec l’autre. Hormis la honte et la culpabilité devant l’impuissance à se contrôler, les conséquences de cette addiction ne sont pas minces : négligence du partenaire, divorce, accumulation de dettes (liées à des dépenses démesurées en prostituées, téléphone et web roses, etc.), contraction de maladies transmises sexuellement, perte d’emploi, dépression, suicide. Sans compter les risques encourus par les personnes engagées dans des relations sexuelles qui ne sont pas tolérées ou même interdites par la société. « J’ai laissé tomber tous mes amis, mis mon travail en péril, raconte Joanne, une ancienne cyber-dépendante sexuelle qui vient de terminer une cure de désintoxication dans un centre de Longueuil. Je ne pensais plus qu’à ça. Je partais tôt de mon travail pour discuter en direct avec mon cyber-amant. Je me couchais vers 3 heures du matin et je ne mangeais presque plus. J’ai fini par faire une surdose. Un soir de novembre, j’ai perdu connaissance dans mon appartement. Je n’avais plus mangé depuis deux jours. »

La mécanique de l’addiction

L’addiction est un vieux terme français issu du latin addictus, abandonné à. Il désigne à l’origine la contrainte par le corps de celui qui, ne pouvant s’acquitter d’une dette, était mis à disposition du plaignant. Cette acception a glissé vers la désignation d’actes répétés, susceptibles de provoquer du plaisir, mais marqués par la dépendance à l’objet ou à la situation, et consommés avec avidité. La plupart des études menées montrent que l’objet de la dépendance peut avoir des vertus sédatives, apaisant la douleur morale ou physique, ce qui justifie un temps le retour perpétuel à la conduite addictive. Mais après, la culpabilité et le dégoût de soi sont invariablement au rendez-vous, charriant leur lot d’idées dépressives, de conflits au sein du couple ; autant de troubles qui accentuent le malaise nourrissant un peu plus le passage à l’acte par dépit ou anxiété. D’autres études ont montré que l’addiction sexuelle coexiste souvent avec une dépendance chimique et serait souvent la cause fréquente et non reconnue de rechute. Dans l’une, 70 % des utilisateurs de cocaïne venant se faire soigner étaient aussi des dépendants sexuels. Beaucoup d’entre eux se trouvaient dans une situation de rechute réciproque, où le comportement sexuel précipitait la rechute vers la prise de cocaïne et vice versa. Dans un autre document anonymement rempli par 75 dépendants sexuels en voie de guérison, il est apparu que 39 % d’entre eux prenaient de la drogue, 38% étaient des travailleurs invétérés, 32% souffraient de troubles de l’alimentation, 13% dépensaient trop et 5% étaient des joueurs. Seuls 17 % ont déclaré n’avoir aucune autre dépendance.

L’autre face au sex addict

Dans la relation de dépendance, il y a toujours une recherche de réassurance, une quête affective, avec mise en place d’un contrôle de soi et de l’autre, la séduction, l’envie de faire plaisir étant utilisées pour attacher l’autre à soi. C’est un système relationnel quantitatif plus que qualitatif, mais où l’autre peut posséder un tel pouvoir qu’on en vient à lui confier sa liberté. Or c’est sans aucun doute la place faite à l’autre qui détermine la pathologie. Soit l’autre est rêvé, fantasmé, donc absent (par peur, évitement ou désintérêt), soit il est présent mais réduit à l’objet qu’il représente. Chez le Yann de Guillaume Perrotte, sa femme est quasiment mythifiée. Celle-ci, d’abord dégoûtée et apeurée par ce que son mari projette sur elle, finira par se noyer dans la même névrose. François-Xavier Poudat indique ainsi qu’il n’est pas rare de voir des associations de dépendants, dans une problématique d’addiction commune. Dans les autres cas, le conjoint du dépendant est souvent issu de familles dysfonctionnelles, ou a été victime d’abus sexuels dans l’enfance : des expériences qui ont diminué l’estime de ces personnes prêtes à accepter tout de l’autre. Mais il va sans dire que vivre avec un ou une sex addict n’est pas égal. Au mieux l’homme est valorisé par cet appétit qui signe sa virilité alors que dans plus de 80% des cas, les hommes ayant des compulsions sexuelles ont aussi des difficultés sexuelles ; au pire il est pris pour un pervers lubrique. Et s’il est volage, on accusera sa conjointe de ne pas le satisfaire. La femme hypersexuelle est rapidement rangée du côté des salopes, des écervelées, des filles faciles.

Une circuiterie chimique

« Les drogués du sexe sont en fait drogués aux endorphines, pas au sexe », clame Victor dans Choke. Le Pr Michel Reynaud ne lui donne pas tort : « drogue et sexe agissent sur le même circuit du cerveau, celui de la récompense et du plaisir, dont ils sont la première source après la nourriture. L’acte sexuel est excellent contre la douleur, car les hormones qui sont alors stimulées sont nos opiacés internes. » Quel mal y aurait-il à en abuser, alors ? Ce qui rend accro avec la drogue et le sexe, c’est le plaisir, poursuit le Pr Reynaud. « Plus on jouit plus on a envie de jouir, plus on risque de souffrir du manque. (…) En fait, le sex addict ressemble à vous et moi au début d’une relation forte et passionnelle. Cette hyperactivité sexuelle est naturelle, elle est liée à l’autre. Chez le sex addict, elle est permanente. Il y a déconnexion entre sexe et sentiments. » Comme le raconte Anna, 20 ans, qui ne peut se passer de sexe. « Cela fait plusieurs mois que ça dure et je n’arrive plus à aller en cours, je suis épuisée, je ne dors plus. Je le fais parfois avec des hommes qui ne me font même pas envie, juste pour me calmer. »

Les dessous d’une dépendance

Le contexte social actuel, favorisant l’individualisme et l’isolement et par là même les fragilités, est un terrain favorable à la naissance des dépendances. Pour Poudat, « la dynamique humaine nous oblige, en permanence, à nous adapter à notre environnement.(…) Cette exigence d’adaptation oblige à trouver des réponses (…), des ajustements. Parmi les réponses possibles, il y a les dépendances, moyens plus ou moins artificiels de s’accrocher à la vie ou de jouer avec le risque. » Cette prise de risque lie ces pathologies au problème du contrôle, comme le dit une de ses patientes : « Je n’existe que si je contrôle le plaisir et la sexualité de l’autre. » Or, « le contrôle n’est efficace que s’il est total ; autrement le risque est grand que l’effondrement soit brutal. » Une autre femme dépendante raconte : « Si je n’ai pas d’histoire d’amour intense, je deviens malheureuse, agressive. Il me faut toujours des émotions fortes pour penser que la vie vaut la peine. Le problème est que je ne supporte pas les conséquences de ce genre de vie, car cela se termine toujours mal. Qui dit sensation forte dit chute brutale et rupture douloureuse. »

Sexe placebo

Dans les dépendances sexuelles, le sexe est utilisé comme la nourriture chez les boulimiques, pour autre chose que ce à quoi il sert d’ordinaire. Le remplissage boulimique est d’ailleurs une image qui revient très souvent dans le discours des personnes dépendantes. Se remplir d’une façon ou d’une autre, c’est éviter le rien, le manque, l’absence. Le roman Choke le dit ainsi : « On fourre sa bite, on fourre ses sentiments. Quand on est sexoolique, il est sûr que c’est la même chose. (…) Ce sont là des gens qui cherchent moins l’orgasme que l’oubli, tout simplement. (…) Quand vous êtes sexoolique, vous pouvez vous abstenir de ressentir quoi que ce soit, hormis l’ivresse, la défonce ou la faim. Malgré tout, quand vous comparez ça à d’autres sentiments, à la tristesse, la colère, la peur, le souci, le désespoir, eh bien, l’addiction se prend à ressembler à une option tout à fait viable. » Sauf qu’il s’agit d’un médicament illusoire, un soulagement toujours insatisfaisant car l’apaisement ne dure pas.

Cure de désintox

Aux Etats-Unis, où le concept de sex addict est apparu dans les années 80, il existe des cliniques spécialisées, qui traitent ces patients comme des toxicomanes. En France, le DASA (Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes (5)) propose une thérapie en 12 réunions de rétablissement. A la différence des alcooliques ou des héroïnomanes, il n’existe pas de produits de substitution pour le sexe. Le traitement est d’autant plus délicat que l’objectif est de faire cesser le comportement inapproprié sans toutefois supprimer complètement la sexualité. Après avoir dénoué le nœud psychologique de la dépendance – que comble le sexe en définitive ?-, on réapprend donc au patient à mesurer et poser ses limites, puisque le dépendant n’a d’autre issue que de franchir les limites les unes après les autres, jusqu’à sa perte. Et pourtant, « qu’est-ce qui pourrait être meilleur que le sexe ? » comme se le demande Victor à la fin du roman Choke. Ce plaisir inégalable et fugace, que l’on voudrait reproduire à l’infini est sans doute le point de départ de cette addiction particulière. Le normal ou l’anormal concernent moins la sexualité que la charge symbolique qu’on lui fait porter. Le pathologique résiderait plus dans une dichotomie se référant à la loi du tout ou rien, qui n’offre qu’une seule manière d’être satisfait. Si je crois que, pour être normale, je dois contenter tous mes besoins, je risque fort de borner l’espace de ma jouissance et m’enfermer dans un cercle vicieux. Le sexe est plaisir et épanouissement seulement s’il représente un acte libre. S’il conditionne plus qu’il n’enrichit l’existence, le sexe devient un tyran dangereux.

Aurélie Galois

Notes :

(1) Auteur de La dépendance amoureuse, édition Odile Jacob, 2005. (2) Sex Addict de Guillaume Perrotte, éditions Blanche, 2008 (3) Choke, roman drolatique de Chuck Palahniuk, Ed Delanoël 2001, bientôt sur nos écrans dans une adaptation de Clark Gregg avec Sam Rockwell et Anjelica Huston, récompensée par le Prix du Jury au dernier festival de Sundance. (4) Responsable du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, auteur de L’Amour est une drogue douce, édition Robert Laffont, 2005. (5) http://dasafrance.free.fr

Commentaires (1)

  • hRNuXoGAvJ

    Rhalala ! tu m’as davnecé ! figures toi que c mon projet de ce soir ! Bien décidée que je suis à allée le voir ! Alors c noté : guetter la porte de bus vitrée et le reflet de ce cher Pedro ! ;)POur les autres, Almodovar est un cinéaste avec lequel on ne s’ennuie jamais et avec lequel on n’est jamais au bout de ses surprises !!