Les poils au purgatoire

Le 21/04/2009

Comment le poil est-il devenu notre ennemi ? Nous sommes entrées de plain-pied dans l’ère de la « chasse aux poils ». Aisselles, jambes, pubis, chaque partie de notre corps doit être parfaitement vierge de toute démonstration pileuse. Dans un pays où cela ne fait qu’une dizaine d’années que les femmes qui s’épilent ou se rasent les poils des aisselles sont devenues majoritaires, comment se fait-il que l ‘épilation intégrale se soit propagée aussi vite ? On hésite entre le phénomène de mode, la dictature des marchands du poil, la liberté sexuelle, la désertion de la religion, l’influence des films porno… Et si tout simplement, domestiquer son système pileux, c’était une manière d’affirmer la supériorité de la culture sur la nature ? Car après tout, traquer le poil, c’est tenter d’oublier l’animalité qui est en nous et refuser d’associer la féminité à la bestialité.

L’histoire de la chasse aux poils

Les exemples au cours de l’Histoire ne manquent pas pour montrer que la chasse aux poils est ancienne. Il semble que l’épilation soit d’origine égyptienne. En 1150 avant notre ère, les femmes du harem de Ramsès III étaient toutes épilées particulièrement au niveau des aisselles. Bien avant notre ère, les Chinoises s’arrachaient les sourcils pour les remplacer par un trait de crayon noir jugé plus gracieux. Les jeunes hommes de la bourgeoisie romaine aimaient avoir les jambes glabres, certains s’épilaient toutes les parties du corps. Les techniques en usage étaient la coquille de noix incandescente, pour que les poils repoussent plus doux ou l’utilisation de la résine. Ces techniques ont évolué au cours du temps et, au Moyen-Age, les croisés ont rapporté d’Afrique une cire naturelle qui bouleversa les pratiques et fit naître d’autres techniques. Les concoctions à base de sulfure naturel d’arsenic et de chaux vive, le sang de grenouilles ou de chauve-souris, la pince de bronze ou de la cendre mouillée de vinaigre font partie des moyens utilisés au cours de l’Histoire pour empêcher la repousse.

Le poil aujourd’hui

Au début des années 70, les poils prennent une place plus « valorisante ». Le mouvement hippie n’encourage pas l’épilation et revendique le retour aux valeurs vraies ! Le poil accompagne la libéralisation de la femme dans sa sexualité.Depuis les années 90, l’épilation est à la mode. Qu’elle soit d’ordre religieux, esthétique, érotique ou hygiénique, l’épilation, pratique universelle, est devenue une coutume courante. Salma Karoui, spécialiste de l’épilation orientale, constate les changements de comportement des femmes durant ces 10 dernières années :« Depuis la fin des années 90, les demandes des femmes se sont enhardies progressivement en matière d’épilation intime. On est passé d’un maillot classique, c’est-à-dire qu’on enlevait ce qui dépassait de la culotte, au brésilien, beaucoup plus échancré, puis au ticket de métro, pour enfin descendre sur des parties plus intimes comme les lèvres, le périnée puis autour de l’anus. Cette demande, qui était rare il y a quelques années, s’est généralisée à quasiment toutes mes clientes.Elles me demandaient au départ cette épilation pour faire plaisir à leurs partenaires car l’idée les excitait, eux, terriblement. La première fois, elles venaient donc pour lui, aujourd’hui elles reviennent pour elles.Car comme elles disent toutes « L’essayer, c’est l’adopter ! ». Elles se sentent plus douces, plus propres (image persistante du poil, c’est sale).Elles constatent aussi, pour leur plus grand plaisir, que leur sexe épilé attire les caresses et la langue. Car leurs partenaires se livrent à beaucoup plus de cunnilingus qu’auparavant.Cette année, on me demande de plus en plus de maillot intégral, c’est-à-dire sans un seul poil. »

Le poil et la sexualité

Claude Gudin, spécialiste ès poil en France et auteur d’ Une histoire naturelle du Poil (ED. Panama), nous rappelle que si le sexe de la femme est aujourd’hui familièrement appelée une chatte, c’est surtout à cause de ses poils : « En effet, le sexe était tout d’abord surnommé le conyle, qui est l’ancien nom du lapin, de par sa similitude avec la fourrure. Puis le clergé remplace le mot conyle par le mot lapin. Les croisés rapportent ensuite le chat de leurs voyages exotiques. Et par phénomène de mode, le chat supplante le lapin et la femme hérite d’une chatte. » Si on devait choisir une image aujourd’hui, ce ne serait certainement pas un animal à fourrure. Peut-être serpent ou limace ? Claude Gudin souligne tout le paradoxe de ce rapport au poil : « Le toucher du poil rassure. C’est pourquoi les chiens, les chats et même les peluches ont un succès croissant, adultes compris. Passer les doigts dans une fourrure est réconfortant pour un homme… mais les cheveux mis à part, les femmes se débarrassent de cet attrait en s’épilant le pubis. » Le poil est également vecteur des sensations, c’est le capteur sensoriel qui relie au système nerveux. Une peau sans poil ou duvet a moins de chance de ressentir les caresses à leur juste valeur...Mais ce qu’on perd de plus important en se débarrassant de ses poils, ce sont les phéromones. A la base des poils il y a des glandes qui fabriquent des bonnes odeurs (par opposition à celles que l’on a si on ne se lave pas) et qui jouent un rôle capital dans la séduction et l’attraction sexuelle. Quand on est amoureux en général on adore l’odeur de son partenaire. Quand on s’épile ou se rase, on perd la composante olfactive de l’érotisme. Catherine Blanc, sexologue, donne son point de vue sur cette traque du poil :« Les poils sont le symbole de la maturité sexuelle. Ils nous renvoient à quelque chose de très animal. Dans les années 70, la sexualité était dans la rue. On manifestait dans la rue, on faisait presque l’amour dans le rue et on était « toutes touffes dehors » : c’était la révolution sexuelle. Or on n’est plus dans la révolution mais dans la liberté sexuelle. Le problème de la sexualité n’est pas réglé, on en a toujours peur, mais il est maîtrisé.La chasse au poil, c’est une maîtrise de son image, de sa sexualité. C’est une façon de s’approprier sa propre sexualité. Chez la femme, c’est aussi le symbole de l’éternelle jeunesse. On a peur de vieillir, donc ce retour à un sexe de petite fille rassure sur son propre chemin vers la Mort.Mais je pense que c’est une mode jusqu’à la prochaine lubie pour avoir l’impression de maîtriser sa sexualité. »

Marketing

Les marchands du poil se frottent les mains : rasoir féminin, épilateur électrique, crème dépilatoire, cire, les Françaises consomment abondamment.Les cabines d’esthétique ne désemplissent pas et l’épilation définitive (électrique, au laser ou à la lumière pulsée), malgré son coût, fait de plus en plus d’adeptes. Les industriels encouragent donc cette mode du « sans poil » au nom de l’esthétique et de l’hygiène et grâce à leur pouvoir d’annonceurs, la presse féminine, relaie cette image lisse, douce, et sans aspérités de cette femme-zéro imperfections sur papier glacé. Car on ne choisit pas vraiment d’avoir du poil ou de ne pas en avoir. C’est la règle. C’est comme manger avec une fourchette et non avec ses doigts. On est civilisé ou on ne l’est pas.Les femmes qui portent le poil sont montrées du doigt par les autres, celles qui n’en n’ont plus, qui sont rentrées dans la norme.

Hommes

Les hommes eux aussi se mettent à l’épilation du corps, subissant la dictature du marketing. L’épilation masculine a été initiée par les acteurs américains des années 50. Dans cette société connue pour son puritanisme, le poil était lié à la sexualité, il fallait donc être imberbe. En France, la tendance a été initiée par la communauté homosexuelle puis s’est étendue à beaucoup d’hommes soucieux de leur image. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus à oser franchir le seuil des instituts de beauté.

Chez nos voisins

L’épilation est bien moins une affaire d’hygiène que de mode, et de conditionnement culturel.Au Japon, pendant longtemps les poils ont été censurés dans les médias, et au cinéma, comme un symbole péjoratif des sociétés occidentales.Dans les pays arabes et musulmans, l’Islam enseigne des règles d’hygiène comme l’épilation du pubis et des aisselles. L’épilation corporelle intégrale de la femme est un rituel chez les jeunes mariées avant la nuit de noces. L’épilation intégrale est par ailleurs une tradition ancienne, transmise de mères en filles (hors obligations religieuses). En Inde et dans certains pays d’Afrique, les poils ont un aspect érotique et sont considérés comme un attribut de séduction. En Inde ils font partie de l’intimité et on ne les montre pas en public. En revanche lors du mariage d’une femme avec un aristocrate, il est demandé à l’épouse, en signe de soumission, de s’épiler intégralement le corps. En Afrique Centrale, les femmes poilues sont très attirantes aux yeux des hommes et font des envieuses. Certaines femmes cherchent même à augmenter leur pilosité pour être plus séduisantes ! Mettre ses poils en valeur est de rigueur ! En Afrique de l’Ouest, au contraire, l’influence du monde de la mode prend de l’ampleur et les jeunes femmes veulent ressembler aux occidentales.

Poil et pornographie

Coïncidence frappante, l’explosion des épilations quasi intégrales correspond à l’entrée de l’ADSL dans les foyers, et avec elle, l’accès à de nombreux bouquets de charme diffusant des films porno à gogo. Or, les actrices de porno sont quasiment toutes intégralement épilées, du moins les lèvres, le périnée et l’anus pour permettre une visibilité optimum lors des gros plans. Il est tentant de penser qu’il peut y avoir un lien de corrélation entre cette culture du porno et le nouveau comportement des femmes en ce qui concerne leur épilation intime. Eh bien, apparemment il semble n’y en avoir aucun. Les femmes interrogées, entre 30 et 45 ans, ne sont pas ou peu consommatrices de films porno et leurs partenaires n’en regardent apparemment ni plus ni moins qu’il y a 10 ans (même plutôt moins). Sexologues et spécialistes s’accordent à dire que le lien n’est absolument pas démontré entre les deux et que ce serait une déduction facile à faire.

En Occident, l’histoire des poils a toujours été étroitement liée à la religion. Les puritains allaient même jusqu’à qualifier l’épilation de péché, car la toison pubienne avait l’avantage de cacher les organes génitaux.Aujourd’hui, la religion a perdu de son pouvoir et enlever ses poils n’a plus rien d’amoral. Les femmes ne se cachent plus derrière leurs poils et veulent en montrer un peu plus. Cela tombe bien, l’évolution de la société de consommation les y pousse.Il y a 15 ans, rares étaient les femmes qui portaient des string. Aujourd’hui, rares sont celles qui n’en portent pas. Pourquoi ce changement ? Parce que les grandes marques n’en proposaient pas. Devant le succès du string aux Etats-Unis, les marques de lingerie ont misé sur ce produit et elles ont gagné.Pour l’épilation, même combat. L’offre crée la demande.On entre dans un institut de beauté comme on entre au supermarché. On ne sait que choisir au rayon épilation : maillot classique, maillot brésilien (échancré), maillot japonais (petit triangle allongé de poils), ticket de métro (comme son nom l’indique), maillot italien ou demi-complet (pubis classique mais lèvres, sillon, périnéal et anus épilés), maillot américain (italien mais juste une toute petite touffe sur le pubis) maillot complet (zéro poil),…Entre libre-arbitre et manipulation, il n’y a parfois qu’un pas.

Constance de Médina

Commentaires (7)

  • josé Grisel

    Sans poils, c’est mieux, surtout pour le cunilingus....

  • Lola

    Avec poils c’est mieux, pour garder l’excitation, l’odeur et notre côté animal.

  • Sarah

    Et puis ca crée des complexes , maintenant les jeunes croient serieusement que les femmes sont imberbes , et si elles ne le sont pas alors elles sont "anormales" , ce sont des "singes" ( donc encore ce renvoie a la bestialité )

  • bouchette

    EHHHHhh, ni l’article ni les commentaires ne stipulent que le problème majeur de l’épilation, surtout le pubis intégral, ou même les aisselles, à la cire, c’est la douleur !!!
    La douleur se démocratise ;)
    La véritable aliénation ne consiste-t-elle pas à se dire qu’on va "se faire plaisir" en payant cher une esthéticienne pour regarder une partie censée être "intime" de soi ...tout en pleurant de douleur ! Je vous rappelle qu’en institut il faut payer une assurance en plus pour l’épilation du maillot intégral au cas où l’esthéticienne arracherait la peau des lèvres avec la cire !!!
    Personnellement, tout cela ne me laisse pas un goût de liberté sexuelle sur la langue...

  • momo

    Lola dit que c’est mieux avec les poils. Combien vous pariez que ce n’est que du bleuf, qu’elle est épilée ?
    http://poilagratter.over-blog.net

  • momo

    idem pour Sarah. Marre de ces filles qui parlent de Résistance... mais se garde bien de la rejoindre : http://poilagratter.over-blog.net

  • Victoria

    Dommage que l’article ne parle pas de ces hommes qui n’aiment pas l’épilation total parce qu’ils ont l’impression de faire l’amour avec une petite fille !!
    L’épilation intégral ? Quand les poils repoussent, ça fait des boutons parce que la peau est très fine à cet endroit là et ça gratte et il faut attendre de nouveau une période où ça pique pour s’épiler de nouveau et ça fait super mal avec la cire. Faites moi rire quand on dit que les femmes le font "pour elle" !! D’ailleurs, elles le disent ci-dessus, à la base elle l’ont fait pour faire plaisir au mec avec qui elles étaient. Les femmes se sont laissées piégées par le désir des hommes !!
    Je serais curieuse de voir momo qui est donc un homme, s’épiler avec de la cire au dessus et entre les jambes. A un moment donné il dirait STOP.
    Certains hommes le font ? Perso je n’aime pas avoir dans mon lit un homme qui ressemble à un petit garçon.
    Je suis d’accord avec Brouchette, ça me laisse un gout amer cette nouvelle mode. Maintenant les femmes avec des poils deviennent complexées. Même sans être dans les année 70, juste un joli petit triangle, les hommes rient des femmes qui ont des poils. On fini par avoir peur quand on est dans un lit avec un mec qu’il nous dise (ou qu’il ne le dise pas mais le pense) "Je n’aime pas les filles avec des poils" Parce qu’on fini par l’entendre de plus en plus dans des conversations de bar entre les mecs. Je trouve ça nul et immature. Qu’est-ce qu’on est en train de devenir avec ces règles de mode à la con ? Où est la découverte de l’autre en tant qu’être humain et non en tant qu’image" ?
    Le cunnilingus ? Ca ne change rien ! Pour information, il n’y a pas de poil sur le clitoris donc les mecs vous me faites bien marrer. Heureusement qu’il existe encore des hommes qui aiment les filles qui ont des poils parce qu’ils ont l’impression d’avoir une vrai femme dans leur lit et non un objet sexuel. Heureusement qu’il existe encore des hommes qui aiment coucher avec une femme, non pas parce qu’elle a des poils ou pas mais juste parce qu’il l’aime...