Le bas dans tous ses états

Le 22/04/2009

Ils auront connu la vénération, puis la relégation avant de réapparaître dans les garde-robes il y a trente ans. Un nouvel âge de raison pour se retrouver aujourd’hui aux avant-postes de la féminité. Mais que se passe-t-il exactement sous les jupes des femmes ?

Les dessous de l’Arlésienne

Podiums, magazines, films, livres, abribus, forums, blogs… les bas sont partout. Pas un seul jour sans qu’ils ne s’imposent, en douceur mais avec constance, dans l’environnement et les médias. Les bas ne sont plus l’apanage des cocottes, ni même celui des coquettes. Ils sont sur toutes les lèvres, dans tous les regards, dans tous les désirs et devraient donc habiller toutes les femmes…devraient. Car en réalité leur éclat soyeux n’illumine qu’une minorité de jambes. Un étrange paradoxe confirmé par le déficit des jupes sur la place publique au profit des pantalons, et par les projections des professionnels du chaussant pour 2008 en France. 50 millions de collants pour 9 millions de paires de bas ! Parmi ces derniers 7, 5 millions de paires de bas-jarretières « stay up » et 1,5 millions de paires de bas classiques, nécessitant l’emploi d’un porte-jarretelles, dont 20.000 en nylon pur et à coutures, fabriqués selon la tradition du « fully fashion » (1).

Moins que nue, plus que nue

Guêpière et porte-jarretelles mis à part car ils lui sont liés, pourquoi le bas est-il la seule pièce de lingerie qui ne soit pas portée aussi naturellement que le sont le soutien-gorge, le string, la culotte, et autres body ? Peu pratique ? Certaines font alors remarquer qu’un soutien-gorge « push-up » n’est pas moins inconfortable qu’un bas-jarretière ou même qu’un porte-jarretelles adapté. Impudique ? Les mêmes avancent que l’exhibition d’un string au creux des reins ou d’un balconnet au creux des seins est aussi révélateur que l’exposition de la lisière d’un bas sur une cuisse. La vie trépidante des femmes actives, la mode unisexe ou baggy sont en partie responsable de ce désintérêt mais pas seulement.

L’histoire du costume occidental montre que pantalons et robes font depuis des siècles la distinction des sexes, morphologie et physiologie obligent. La femme est restée « ouverte », accessible, jusqu’à l’arrivée des collants au milieu des années soixante. Le collant opère un vrai changement dans les mentalités qui va au-delà du féminisme et des mouvements de mode : la femme est pour la première fois « fermée » par ses dessous (2). Porter des bas aujourd’hui c’est en quelque sorte rétablir la dualité homme / femme, c’est affirmer de manière plus ou moins consciente son identité sexuelle par quelques centimètres carrés d’une peau secrète mais toujours libre. Pour une femme c’est faire l’aveu d’une intimité accessible, par le regard ou le toucher : c’est le degré zéro de la nudité : moins que nue parce que parée, plus que nue parce que révélée. Quelles soient épouses ou amantes, les bas leur permettent de se projeter délibérément dans le désir des hommes et de s’en approprier les fantasmes. L’allusion explicite par l’apparence.

Tous les garçons et les filles de mon âge

Les jeunes grands-mères se souviennent de leur passage de l’adolescence à l’âge adulte, marqué par le troc des socquettes pour les bas nylon. Elles devenaient femmes jusqu’au bout des jarretelles, selon un savoir-faire transmis de mère en fille depuis des lustres(3). Portant le bas naturellement elles ont ensuite adopté le collant pour sa simplicité.

« Ma mère ne portait que des bas coutures et c’est à l’âge de quatorze ans que j’ai reçu les miens. Quand je les ai mis la première fois pour aller au lycée, les garçons ont mimé devant moi le geste de les fixer. Ils avaient deviné : en un clin d’œil nous étions devenus complice et ça m’a fait rougir. ». Dany, 63 ans.

Les féministes des années 70 ont pris des positions parfois virulentes contre le bas : n’étant plus utilitaire, il devenait à la fois contraignant pour les femmes actives et signe d’une pression machiste. Il disparaît quasiment du paysage, mais après une décennie de clandestinité, réhabilité par des stylistes comme Chantal Thomass, ou Poupie Cadolle, il est plébiscité par des femmes, plus consensuelles et sensuelles. Elles retrouvent des gestes anciens mais avec de nouvelles motivations : se sentir féminines et séduire.

Les femmes nées dans les années quatre-vingt, n’ont donc pas pu se référer à l’expérience directe de leurs aînées. Mais en revanche elles n’ont pas eu à revendiquer une émancipation déjà acquise, ni à juger un accessoire devenu banal parmi d’autres. Elles restent influencées par la mode et le show-business (4) mais portent les bas avant tout par conviction, en assumant leur pouvoir érotique et ludique. Ce sont ces femmes de la génération « Dim up » (1986), ces « filles aux bas nylons » chères à Julien Clerc (1984) qui ont désacralisé le bas en mettant à portée des regards et des caresses. Jusqu’aux années soixante une femme portait des bas par devoir plus que par désir. Aujourd’hui l’intention a succédé à la fonction, pour le bonheur des élégant(e)s et des amant(e)s, afin que perdurent les « jeux textiles de la séduction intime » (5).

« J’ai découvert les bas récemment (des stay up), car je suis le plus souvent en pantalons. Ca me donne des idées et pourquoi pas avec des porte-jarretelles. C’est d’abord pour moi, car j’ai toujours aimé la lingerie, mais ça pourrait devenir le prolongement de tout un jeu de séduction que j’ai avec les garçons. Ceux de mon âge sont plutôt indifférents alors que les trentenaires y sont très sensibles ». Emilie, 23 ans.

Un bas peut en cacher un autre

Chez Gerbe, une des références sur le marché français pour le produit d’exception, on se réjouit du retour du glamour. Pour Annick Desamy, responsable commerciale mais femme avant tout, une révolution sensuelle est en marche, inéluctablement. A l’horizon de la production 2008 : 65 % de collants et 35 % de bas, le bas traditionnel tendant à égaler le bas-jarretière. Pour répondre à la demande, la gamme s’est enrichie récemment de porte-jarretelles très simples, mais aux noms évocateurs de « Tentation » et de « Sensation » destinés à se faire oublier sous les jupes des néophytes. Car ces femmes, souvent très jeunes, et c’est une nouveauté, veulent porter de vrais bas dans d’autres circonstances que des soirées ou des rendez-vous amoureux. Elles veulent se sentir féminines au quotidien, sur les bancs de l’amphi ou au bureau. La marque propose d’ailleurs des bas plus épais qu’à son habitude, en Lycra ou en coton, pour favoriser ce retour au fonctionnel. (6) Ainsi parée la femme ne sera pas trahie par sa lingerie. Car le porte-jarretelles n’est pas anodin.

« J’ai comme une impression de liberté au bas du ventre qui s’accentue avec l’« emprisonnement » du reste de mon corps. A l’inverse des bas-jarretières qui peuvent parfois se faire oublier, le porte-jarretelles me rappelle constamment sa présence, il me fait marcher d’une certaine façon, m’asseoir d’une certaine façon. Il induit le mouvement. Je ne me force pas, je change systématiquement et naturellement de maintien. Je pense qu’il en était de même avec les corsets. Certaines tenues intimes créent ma façon d’être physiquement et me font sentir que je suis sexy, plus que femme, parce que je le suis déjà sans ça " Florence 35 ans.

Parce qu’il nécessite un savoir-porter particulier, le porte-jarretelles signe une volonté plus manifeste encore de se positionner en séductrice pour celle qui l’adopte (7). Pour cette raison il est aussi récurrent dans le désir des hommes : pour la plupart d’entre eux la vision de bas tendus par un porte-jarretelles (noirs de préférence) reste un symbole érotique absolu. Ayant été détrôné par le collant il est devenu « un étendard, une oriflamme, une déclaration d’intention …un lien secret puissant entre l’homme et la femme, un signe de reconnaissance d’une confrérie d’initiés » (8)

La tendance du sexy-chic est aussi confirmée par les producteurs. L’Arsoie, entreprise centenaire dont la marque est Cervin mais qui fabrique aussi pour de nombreuses enseignes française ou étrangères telles Agent Provocateur ou Secrets in Lace , voit en elle le remède à l’érosion qui touche le marché du chaussant dans son ensemble. Serge Massal son directeur, avance même que la multiplication des sites de rencontre via internet est en train de redéfinir l’art de la séduction. L’anonymat du premier contact permet à certaines femmes de se révéler fatales et de l’assumer lors de la rencontre. Les dessous, les bas en particulier entrent alors en jeu pour composer les nouveaux rôles.

A plate couture

« Il y a tout un rituel de gestes pour bien porter les bas, surtout ceux à coutures, les plus beaux, mais il y a ensuite une sorte de rituel mental à jouir d’un secret que personne ne peut imaginer. Quand je me rends à une réunion en tailleur avec des bas coutures, j’ai comme un ascendant sur mes interlocuteurs, je me sens plus en confiance… Garder des bas pour faire l’amour est une évidence. Et même ses chaussures, à talons aiguilles bien sûr. Sentir le voile qui frôle les jambes, le crissement, c’est aussi agréable pour l’homme que pour la femme. Je ne peux imaginer qu’on ne vibre pas au toucher d’un bas nylon… » France, 45 ans

Judas ayant renié le Christ pour 30 deniers (9), certains vont jusqu’à 7 pour abjurer définitivement le collant, « ces bas sans issue », idoles de la consommation de masse enfin renversées. Dans ce cénacle, les adorateurs et adoratrices ont fondé le culte du denier sur la pratique et le prosélytisme. Les bas, certes objets de fantasme, suspendus à leurs rubans mythiques doivent avant tout parer les jambes des vraies élégantes. Un postulat de nylon, une révélation du voile, une mystique de la couture, pour la célébration d’une féminité - fétiche. « Lord de la Jarretelle et Prince des Galbes », Yves Riquet a contribué à maintenir la flamme du savoir-faire français en revitalisant la production des vrais bas coutures à diminutions, en nylon cristal (10). A la fin des années quatre-vingt-dix il a permis la sauvegarde de l’un des deux derniers à tricoter à plat en France (11).

Identifiables au premier coup d’œil, les bas à coutures révèlent sans équivoque l’état d’esprit de celle qui les porte : l’expression d’une féminité sublimée qui se réfère aussi bien à l’âge d’or du glamour – les années quarante et cinquante – qu’à un nouvel art de vivre aussi fragile que raffiné. Il faut croire que ce ne sera pas le dernier.

[argent][argent]Claude Vittiglio

(1) Source Arsoie / Cervin : Salon International de la Lingerie (SIL) 2008. Hormis les produits d’exception, 90% de la production est distribuée en grandes et moyennes surfaces.

(2) Jacques Laurent / Le nu vêtu et dévêtu

(3) La génération précédente se souvient de l’hystérie causée par les premiers bas nylon (brevet 1938) apportés par le libérateur américain en 1944. Elles évoquent aussi la teinture pour jambes et la couture apposée au crayon pour contourner les effets de la pénurie.

(4) Esprit vintage dans le prêt-à-porter, tendance rétro-chic au dernier SIL, vogue du strip-tease et des spectacles « burlesque » avec leurs néo-pin-up gainées de nylon.

(5) Jacques Laurent / Histoire imprévue des dessous féminins

(6) Source Gerbe : SIL 2008

(7) Le b.a bas du bas pour que l’exception puisse devenir une règle de confort :
- longueur adéquate (gare aux variations de tailles en fonction des marques) un bas trop long plissera ou tournera de manière inesthétique, un bas trop court cisaillera les cuisses et tirera sur les hanches en risquant la déchirure au revers.
- porte-jarretelles de maintien, large et bien appuyé sur les hanches (la tendance est au serre-taille encore plus enveloppant) et non de décoration (les méfaits de l’image véhiculée par les magazines de charme et le cinéma X),
- répartition équitable des jarretelles (en métal et non en plastique) sur le devant et l’arrière des cuisses
- slip porté au-dessus et non au-dessous du porte-jarretelles (pour une raison évidente en cas de besoin naturel), bien que la mode ne s’y conforme pas elle-même, pour des raisons de lisibilité des modèles.

(8) Lili Sztajn / Histoires du porte-jarretelles

(9) Denier : 30 deniers correspondent à un poids de 5 cgr pour 450 mètres de fil de nylon. Un bas de 10 deniers sera donc trois fois plus fin

(10) Sodibas

(11) A la différence des métiers circulaires qui à partir de 1956 produiront les bas sans coutures, le métier à plat tricote une pièce selon un patron comportant des diminutions, destinées à épouser les formes de la jambe, mais qu’il est ensuite nécessaire de raccorder manuellement par une couture partant de la pointe du pied jusqu’au renfort. Deux métiers sont encore en fonction en Grande-Bretagne, deux autres aux Etats-Unis

- Bibliographie annexe : Eloge du bas / Paolo Lombardi - Mariarosa Schiaffino [[/argent]/argent]

Commentaires (7)

  • Anonyme

    portez des bas mesdammes et messieurs mais en nylon tresfin quel plaisir les bas nylon c est une magie et quel plaisir de les caresser et les faire crisser croyez moi je suis un fervent specialiste
    jj

  • Léo le chat

    Bravo pour cet article bien documenté.
    Pour celles qui ont envie de prolonger la réflexion, une visite sur le blog de Léo le Chat, consacré aux bas et aux dessous vintage, s’impose !

    http://leolechat.over-blog.fr/

  • Sandrine Raimbaut

    Un article superbe, réalisé par un fin connaisseur, lui aussi au service de l’élégance, du raffinement et du glamour ;)

    Merci Claude
    Sandrine
    http://www.cervinleblog.com

  • Caroline

    bravo cher ami
    cela fait quelques temps que nous n’avons communiqués tous les deux, mais votre article est parfait. Puisse-t’il donner envie à celles qui ne connaissent pas l’indicible bonheur ultime de la féminité qui est celui de porter des vrais bas...
    Jarretellement vôtre

  • Jill

    Merci pour cet article très enrichissant. Ravie de voir les bas nylon réapparaitre dans les bacs (des marchands de lingerie) car ce sont ceux que je préfère porter... un intemporel féminin.

    http://www.imajill.com

  • LyjxaOtaKHeldPoY

    Le bas dans tous ses etats.. Nice :)

  • iSBhMTETtvbsPwbpK

    Well macamdaia nuts, how about that.