Interview de Blanca Li

Le 04/05/2009

Blanca Li est une artiste espagnole complète. Danseuse, chorégraphe, metteur en scène, et réalisatrice. Établie en France depuis 1992, Blanca Li conçoit pièces, spectacles, opéras ou ballets, gère son centre chorégraphique, fait quelques incursions remarquées au cinéma (actuellement à l’affiche dans Le code a changé de Danièle Thompson) dans la publicité, et dans des vidéo-clips. Son premier court-métrage, Angoisse en 1998, est couronné de quatre prix. En 2001, elle réalise son premier long-métrage, Le défi, une comédie musicale hip-hop. Elle s’est enthousiasmée pour notre série X-Femmes et a réalisé son premier X-Plicit Film pour la saison 2. Elle raconte.

Pourquoi avez-vous accepté de réaliser cet X-plicit film ?

Je trouve le fait de proposer à des femmes de mettre en scène pour le cinéma leur vision du sexe très intéressant. On ne voit en gros que des films de sexe faits par des hommes (ou du moins mettant en scène le point de vue masculin habituel) et ça ne correspond jamais à ce que nous les femmes aimerions voir. C’est en général une vision du sexe assez brutale et trop mécanique, les films X ne correspondent absolument pas a ce que les femmes aiment du sexe en général. On est beaucoup plus romantiques que ça. On aime bien être excitées, mais ce n’est pas avec des détails gynécologiques que ça marche !

Êtes-vous une consommatrice de films pornos ?

Pas du tout, je me sens agressée comme femme quand je les vois, l’image de la femme est en général humiliante, nous ne faisons pas l’amour comme dans ces films et notre plaisir n’est pas non plus comme il est représenté en général. En plus l’esthétique de ces films est souvent très moche et les scènes de sexe ont systématiquement le même déroulement immuable et codifié : pipe, pénétration vaginale puis anale, finissant par des éjaculations faciales. Je trouve en général ces images pas du tout excitantes. Ce qui me semble drôle, c’est que j’ai rencontré pour mon film des comédiennes de X qui sont super belles au naturel et qui à l’écran sont montrées beaucoup plus moches qu’elles sont en réalité. Peut-être que s’il y avait plus de films faits pour les femmes, je les aimerais.

Comment vous êtes vous sentie en dirigeant les acteurs durant ces scènes très particulières ? Est-ce que c’était facile ?

Je me suis sentie très bien, tout se passait très bien. J’avais une équipe de rêve. J’ai dirigé les acteurs comme dans un film normal et les scènes de sexe comme une chorégraphie. J’ai pris mon temps, pour créer une ambiance, une lumière où les acteurs étaient et se sentaient à l’aise comme je voulais les voir. On avait beaucoup répété les mouvements, rien n’est improvisé dans mon film. Sur un tournage de X, ils enchaînent très rapidement les scènes sur quelques indications, et c’est fini. Pour Karim, l’acteur, c’était un peu difficile de tourner si longtemps, de répéter autant, et de couper souvent entre les prises pour refaire des réglages. Il y avait beaucoup de détails qui devenaient importants, ce dont il n’avait pas l’habitude. Pour Victoria, par contre, c’était comme un film normal, c’est une super professionnelle qui te donne toujours plus, pendant des heures et des heures.

Que retiendrez-vous du tournage ?

L’envie de faire d’autre films, avec plus de temps.

Quelles sont les scènes de sexe cultes au cinéma qui vous ont marquée ?

Un des films que j’aime le plus pour sa façon de montrer le sexe, c’est L’Empire des sens, de Nagisa Oshima (1976). Le sexe y est très sensuel, esthétique, explicite et montre avec élégance le plaisir et le temps de l’amour, mais aussi la passion, avec beaucoup de respect et de naturel pour les deux sexes… Juste la fin est un peut forte ! Je trouve que c’est la référence absolue en terme de sexe explicite réussi. Je voudrais en profiter pour mentionner deux autres films qui font partie de mes références, où le sexe est le sujet principal et est traité d’un point de vue plutôt féminin. Je, tu, il, elle de Chantal Akerman (1974) et Une flamme dans mon coeur d’Alain Tanner (1987) avec Myriam Mézières. Ce sont deux films en noir et blanc, très beaux dans leur cinématographie des corps. Il n’y a pas de scène totalement explicite dans ces films. Par contre, on y voit les actrices faire l’amour comme en vrai et presque en temps réel, ce qui était ma ligne directrice pour mon film. Je pense qu’il faut aussi compter avec des films cultes qui ont eu un rôle fondamental aux USA dans la création d’un langage et d’une esthétique érotique comme Inauguration of the pleasure Dome de Kenneth Anger (1954), ou Pink Narcissus de James Bidgood (1971) et qui sont à la fois underground et novateurs. Ce genre de film a ouvert la voie à divers réalisateurs modernes qui se risquent dans un domaine plus hard, comme Larry Clark (Wassup Rockers), Harmony Korine (Gummo), James Cameron Mitchell (Shortbus) ou Gaspar Noé et Patrice Chéreau (Intimité), dans des styles très différents, et dont le travail sur l’intégration naturelle de scènes de sexe crues à un film me semble particulièrement intéressant sur ce terrain difficile.

Pensez-vous que les désirs et la sexualité des femmes sont vraiment montrés à l’écran ?

Comme je disais plus haut, je pense que non, sauf exception très rare. Notre désir n’est pas aussi mécanique que celui des hommes, on a besoin de préliminaires et de temps, or on ne montre jamais ça, même au cinéma normal, une scène de sexe, c’est le plus souvent comme ça : on saute dans un lit (ou ailleurs), on jette ses vêtements en deux secondes et on est tout de suite en train de baiser comme des lapins, alors que moi, comme femme, j’ai besoin d’être séduite et ce que j’aime le plus avant l’acte sexuel c’est les prémices : tout ce qui fait monter le désir et rend l’acte sexuel irrésistible. Quand les femmes parlent d’un homme qui baise bien, elles ne parlent ni de la taille de sa bite ni de la vitesse à laquelle il baise, elles parlent de la manière dont il amène le plaisir chez la femme et on mesure ça en quantité de plaisir reçu. Ce qui nous intéresse en général ce sont toutes les choses qu’un homme sait faire pour exciter une femme, et croyez moi, c’est beaucoup plus varié et cela n’a rien à voir avec que ce qu’on nous montre dans les films X que j’ai pu voir. Il faut que l’homme travaille un peu plus et soit plus inventif ! Même dans le cinéma d’auteur, je reste souvent sur ma faim, car la sexualité y est représentée trop fréquemment de façon schématique et conventionnelle. Il y a quelques exceptions, bien sûr, notamment dans le genre homo-érotique, ou parmi les réalisateurs que j’ai cités plus haut, mais pas assez à mon goût.

[gris]Propos recueillis par Constance de Médina[/gris]