Reportage au Porn Film Festival de Berlin

Le porno, une affaire de femmes

Le 06/11/2009

Face au porno stéréotypé à la papa, une nouvelle génération de réalisatrices oppose des films décomplexés, queer, féministes, féminins, militants, artistiques, dérangeants. Cette année, 40% des 120 films du Porn Film festival de Berlin qui s’est tenu fin octobre ont été tournés par des femmes. Une proportion bien loin de la réalité du marché du porno, mais qui indique une tendance : les femmes ne veulent plus se plier à l’offre standardisée du marché.

Le gratin mondial du porno féminin avait fait le chemin jusqu’à Berlin : les anciennes Candida Royalle, Petra Joy, mais aussi les plus jeunes telles que Emilie Jouvet, Courtney Trouble, Anna Brownfield, Julie Simone. L’industrie du porno serait-elle en train de se renouveler ? “Nous croyons profondément qu’il est possible de créer une alternative à l’industrie traditionnelle du porno en faisant des films que nous aimons” clame le manifeste de Dirty Diaries, un projet suédois de douze courts métrages porno et féministes présentés pendant le festival. Faut-il y voir un tournant du marché ? Oui, crient les créateurs de Mailfemale.tv un site hollandais qui a décidé de ne diffuser que du porno alternatif pour femmes sur son site. “Nous avons fait une étude marketing et 80% des femmes ne sont pas satisfaites du contenu des films pornos actuels. Elles attendent quelque chose d’autre. Il y a un très grand marché. Nous sommes en train de le créer, et nous avons besoin de vos films pour ça. Ce sera le nouveau paysage du porno dans 20 ans” s’enthousiasme un des créateurs.
Pour l’heure ces réalisatrices sont des pionnières qui raclent les fonds de tiroir pour produire leurs films, loin d’une industrie lucrative, rappelle Jürgen Brüning, créateur du Porn Film Festival. Rencontre à Berlin avec trois réalisatrices femmes qui n’ont plus peur d’exciter les filles, et pourquoi pas les hommes.

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Anna Brownfield sur le tournage du film The Band
(c) poison apple productions

Anna Brownfield - la porn chic hétéro

Venue d’Australie Anna Brownfield se définit comme “une réalisatrice érotique féministe”. C’est elle qui a ouvert le festival avec son tout premier long métrage porno “The Band”. Rencontrée à la sortie du film, cette grande rousse pétillante, coiffure à la Betty Page, n’en revenait pas d’avoir projeté son film devant deux salles pleines à craquer. “En Australie, je ne peux pas montrer ce film dans un cinéma. Des lois me l’interdisent. C’est beaucoup plus puritain qu’en Europe”.
Son film a une histoire, des personnages, des dialogues, des scènes rock, hard, drôles, des rockeurs trans fétichistes, et des lesbiennes qui vivent une vraie histoire d’amour. Difficile dès lors de classer son ovni. "Ce n’est ni un film lesbien, ni un film hétéro, trop hard pour sortir en salles, trop soft pour être sur le marché du porno, on a du mal à le mettre dans des cases, et c’est plus difficile à lancer sur le marché. J’avais commencé à définir ça comme du porn chick (chick étant le diminutif de chicken, comme la chick litt, littérature pour poulette, ndlr), mais du coup tout le monde pensait que c’était forcément lesbien”.
A en juger la réaction du public berlinois après la séance, le film a eu l’air de plaire, et à tout le monde. Pour autant Anna Brownfield ne compte pas révolutionner l’industrie du porno. “Aujourd’hui il est encore tabou de dire qu’on en regarde. Du coup c’est un cinéma qui échappe à toute remise en question, et peu de gens se posent la question de qu’est-ce qu’ils regardent. Mais moi je sais que je veux quelque chose d’autre”. Fait-elle ses films pour les femmes ? “Non, pas vraiment, mais j’ai conscience que les femmes ont envie de montrer des choses différentes dans le porno. Elles ont gagné beaucoup de liberté, notamment au niveau des moeurs et de la vie sexuelle, et elles ont envie maintenant d’investir aussi l’industrie du porno. J’ai pensé aux femmes en faisant ce film, je voulais des choses qui soient plus du domaine de la sensation, qui fassent appel à l’imagination et la suggestion”.
Avec une photographie soignée, des prises de vue originales, et des scènes de sexe jamais trop longues, The Band a tout d’un vrai film d’auteur, le sexe en plus. En Allemagne, le film vient de sortir en DVD, dans une version soft, et doublée en allemand, ce qui fait se tordre de rire Anna.

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Louise Shine Houston

Shine Louise Houston - la queer porn queen

Un festival de film porno alternatif comme celui de Berlin ne s’imagine pas sans représentant(e) de la scène queer de San Francisco, mecque absolue du genre. Cette année c’est Shine Louise Houston qui a fait le voyage. Son nouveau film Champion a sans doute autant marqué les esprits berlinois que The Band. Le rock débridé de l’Australienne a laissé place à un gang de lesbiennes et transboys qui entourent la championne de boxe Jessie. Là encore on ne fait pas dans le politiquement correct, et le sexe lesbien est tout sauf doux, gentil. Drôle par contre, oui.
Shine Louise Houston refuse l’étiquette féministe ou porno alternatif, “je préfère utiliser le mot porno. Je me considère comme une “queerist”. Je veux utiliser mes films pour donner des réponses sexuelles de ma manière de voir les choses. Le cinéma lesbien existe depuis toujours, nous sommes juste en train de le transformer mais le monde du porno ne va pas s’écrouler pour ça.”
Aujourd’hui Shine Louise Houston est à la tête d’une société de production White and Pink, et d’un site internet pour vendre ses films et surtout ses clips, les fameux Pad Stories, qui marchent mieux auprès des femmes que les longs métrages.“J’ai essayé de passer par la branche porno classique, mais ça ne m’intéresse pas. Je veux être complètement autonome. Pendant cinq ans je n’ai pas eu assez d’argent pour avoir une assurance santé. Aujourd’hui je m’en sors. Et 90% des gens qui viennent sur mon site y arrivent directement, c’est à dire qu’ils me cherchent et qu’il y a un marché.”

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(c)Anna Span

Anna Span - la féministe à succès

De l’autre côté de l’Atlantique, une autre femme s’est créé un mini-empire en revendiquant une étiquette féministe : Anna Span. Cette réalisatrice de 36 ans est devenue un véritable phénomène en Angleterre. Dans sa jeunesse, elle s’est positionnée contre le porno, féminisme oblige. Depuis elle a écrit un mémoire intitulé “A propos d’une nouvelle pornographie” où elle décrit comment une perspective féministe peut changer le visage de la filmographie X et a surtout tourné plus de 250 scènes de sexe “hard”.
Si elle a définitivement pris pied dans l’industrie du porno, elle n’a pas pour autant renoncé au féminisme. “Je crois qu’il est possible de changer l’industrie avec un point de vue de femme. J’ai toujours voulu que les femmes achètent des pornos, et c’est en train de changer. En Angleterre, en trois ans, la proportion de femmes qui disent regarder des pornos est passée d’une fourchette de 3-5% à 30-40%.C’est énorme. Et on commence à trouver de la distribution.” Elle a montré son propre label de productions de DVD et pour l’heure un tiers des films est réalisé par des femmes. Réalisatrice mais aussi peintre, philosophe, Anna Span suit son instinct et son plaisir sans forcément chercher à cibler un public. D’ailleurs son court-métrage “Strut the Slut", présenté dans la série de courts-métrages lesbiens, a déconcerté une salle à 90% féminine. Le couple de femmes à l’écran apparaissait avec ongles vernis longs, une hérésie pour toute militante queer. Le genre de film à classer dans la case “film de lesbiennes pour hommes”. A la fin de la projection Anna Span se défend : “Je suis bisexuelle, c’est peut-être pour ça. Je ne fais pas des films pour un public particulier (comprenez les femmes), je les fais avant tout pour moi, parce qu’ils correspondent à mon désir. C’est ma propre vision du sexe lesbien”.
Une manière de dire aussi que la case “film porno pour femmes” n’existe sûrement pas. Autrement dit, il y aurait autant de films de femmes que de types de désirs, d’univers esthétiques, et de fantasmes. Reste cette envie commune d’en finir avec le sexisme et la dictature des beautés artificielles.

[gris]Stéphanie Pichon[/gris]

Commentaires (7)

  • franck

    bonjour a toute je suis un jeune homme qui a un de mal avec les filles et donc je me suis tourné naturellement vers le porno et je trouve qu’il y a trop de steérotypes dans les film surtout les films americains donc ouui une nouvelle vague porno fait par des femmes ca changerais surement la facon de voir la femme dans ce milieu je suis de tout coeur avec vous mesdames voila en espérant que vous accepter les commentaires masculins lol

  • Anonyme

    Excellent reportage, preuve que, les temps changent.

  • Caroline

    Oui, je suis plutôt consommatrice de films réalisés par des femmes et je trouve que plus elles arrivent à s’éeloigner du porno masculin plus ça marche pour moi.

  • DAVISA

    Bonjour

    nous sommes un couple et sommes en création d’un site de vente en ligne de lingerie et de gadgets érotiques haut de gamme couplé d’un téléchargement de films pornos, ce site se veux expressément réservé au femmes. LE sex-shop des femmes.Qualité de la lingerie et des toy’s ainsi que des productions de films.

    Si vous pouviez nous envoyer quelques liens de productrices de films cela nous aiderais à "révolutionner" un peu ce monde qui s’est voulu ultra masculin et réducteur pour les femmes jusqu’à ce jour.

    Cordialement

    Isa david

  • rulsbin

    « Nous avons fait une étude marketing et 80% des femmes ne sont pas satisfaites du contenu des films pornos actuels. Elles attendent quelque chose d’autre. »

    Je serais curieux de connaître le pourcentage d’hommes satisfaits de ce contenu actuel. Personnellement, je ne le suis pas, loin s’en faut — en dehors de certaines productions japonaises, dont je doute qu’elles soient comptabilisées comme « films pornos actuels » (les japonaises sont les seules actrices porno qu’on peut vraiment qualifier d’actrices, en tout cas quand on ne connais pas la langue…).

  • amandine

    En fait la majorité des productions féminines citées ici ne dépassent pas les clichés de la pseudo-puissance sexuelle véhiculée par le porn classique : toujours ces clichés du désir, de la fausse ludicité et complicité des partenaires, de la recherche maniaque de l’orgasme. Bref, productions capitalistes pour des moeurs formées par une société marchande, où l’amour et le sexe reste une affaire de consommateurs et non de créateurs de nouveaux rapports sociaux. On ne sort pas de l’individualisme bourgeois, cet individualisme qui a tout putréfié en choix de consommation. En fait, lesbos, gays, hétéros, même existence de porcs, même combat !
    Il faudrait des films pornos qui tordent le cou au prétendu sérieux de cette existence minable d’esclave dans la société marchande, que l’on cesse de véhiculer des images d’individus qui ont acceptés de se soumettre à la loi du plus fort mais que l’on présente comme adultes et responsables.

  • José Grisel

    Bravo pour cet article... Petite remarque étant réalisateur de sex-film, (mon nom figure sur pas mal de sites) sans argent il est très difficile de faire du film de qualité, car un tournage réussi demande un certain nombre de jours de tournage, incompatible avec les budgets ... Hélas, de ce fait les films sont tournés en un ou deux jours, et les scènes Hard représentent 90/100 de la durée de l’histoire, parce que c’est ce qu’il y a de plus simple à tourner, d’ailleurs pas plus de dix pour cent des " réalisateurs" ne viennent pas des métiers de l’image, pour l’ensemble ils y viennent contraint et forcé par leur libido détraquée, se sont des voyeurs et rien d’autre qui vivent leur sexualité par " acteurs ? " interposés....( c’est mon opinion )
    Quand à l’argent, le plus souvent les
    " Réalisateurs " gagnent moins que les
    " Hardeuses " j’en ai souvent fait l’expérience et les frais, comme le réalisateur gère l’argent de l’éditeur de DVD, souvent à la fin vu que les budgets sont ultra serrés, il ne reste pas grand chose à celui qui a pris le risque de faire une " merde " qui ne rapporte pas assez... A part Pierre Reinhart en France je ne connais aucun réalisateur de films X qui n’ai fait une très longue carrière, l’ensemble venant des métiers autre que du cinéma,ils retournent, au bout de quelques films dans leur métier d’origine... Je ne connais aucune des réalisatrices citées plus haut, mais j’ai pu apprécier les films de Maria Beatty dont je possède les 8 premiers DVDs édités par K-Films, pour moi c’est ce qui peut se faire de mieux dans le genre " sado-Maso " Hélas ce challenge n’est pas possible pour un français,d’autant qu’il faut passer les barrières routinières des éditeurs de DVDs ou des sélectionneurs et responsables des achats pour les sites en ligne... Voilà, tout cela reste à méditer... Si mon exposé vous a intéressé, vous pouvez me joindre par email : josgrisel@free.fr