Sexe : péril en la jeunesse ?

Le 21/04/2009

Influence de la pornographie, précocité des rapports sexuels, foisonnement des informations sur le sujet : l’éveil des jeunes d’aujourd’hui à la sexualité n’est plus la même qu’il y a vingt ans. La libération sexuelle n’a pas fini de produire ses effets, et la vision du sexe qu’ont les jeunes paraît plus décomplexée que naguère. Mais les choses sont-elles si simples ? En moins de quarante ans, la sexualité a connu en France une série de changements majeurs. Cette accélération de son évolution s’est notamment traduite par l’utilisation répandue de la contraception, la légalisation de l’avortement ou encore la possibilité pour les couples homosexuels d’être reconnus en tant que tels grâce au PACS. Plus sombre fut l’épidémie de sida au cours des années 1980. Ces transformations n’ont pas été sans effets sur la sexualité des adolescents et des jeunes adultes. Ce qu’a démontré la récente Enquête sur la sexualité en France (1).

Quelques chiffres

Le risque de contamination par le VIH et les campagnes de prévention à ce sujet ont conduit les jeunes à se protéger dès leur première relation sexuelle. Ainsi, en 2006, près de 90% des 18-24 ans avaient utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel. La capote semble bien avoir pénétré les habitudes. Parallèlement, l’âge médian (2) de cette initiation à la vie sexuelle en couple s’est réduit au fil des ans. Il a atteint 17,2 ans pour les hommes ayant eu 18 ans en 2004 ou 2005 et 17,6 ans pour les femmes de la même génération. Une plus nette différence entre les sexes persiste néanmoins quant au nombre de partenaires. Entre 18 et 24 ans, une femme sur cinq déclare avoir eu au moins deux partenaires sexuels au cours des douze derniers mois, contre près d’un homme sur trois.

Génération porno ?

Dans son court-métrage Impaled, le réalisateur américain Larry Clark s’intéresse à l’impact des films pornographiques sur les adolescents. Pour cela, il interroge plusieurs jeunes garçons sur le sujet. C’est avec un certain malaise que l’on découvre que tous se sont épilé le pubis et les testicules, et, surtout, que leurs fantasmes se calquent sur ceux présentés dans les films X. Cette situation fait-elle règle ? Contrairement à la génération de leurs parents, les adolescents et les jeunes adultes d’aujourd’hui sont particulièrement exposés aux images pornographiques. Internet, DVD, K7, télévision par câble ou satellite : les moyens pour y accéder ne manquent pas. Mais leurs effets ne sont pas tous clairs. S’il est parfois avancé que le visionnage d’un film pour adultes par un mineur engendre des conséquences similaires à une agression sexuelle, il est difficile de confirmer une telle hypothèse. C’est ce qu’explique le pédopsychiatre Laurent Le Vaguerèse. "Il y a un effet traumatique, c’est clair, mais la sexualité en soi est traumatique. On ne peut pas comparer les films pornographiques, qui sont de l’ordre de la représentation, avec une agression, qui est de l’ordre du contact physique et marque beaucoup plus dans le temps, dans le corps." Comme le rappelle Marcela Iacub dans son Antimanuel d’éducation sexuelle (3), aucune étude n’a jusqu’à présent montré "le moindre lien de causalité entre l’exposition des jeunes à ces films et des comportements dangereux, voire de simples « dommages psychiques »". Le CSA s’est toutefois intéressé, dans une étude, à la question de la pornographie chez les adolescents. Mais il se borne à constater l’association de certains facteurs avec le fait de regarder régulièrement des films pornographiques (4). La question n’a pour autant pas lieu d’être prise à la légère. Roland Coutanceau, expert psychiatre, s’est exprimé à ce propos à l’occasion d’un documentaire sur ce sujet diffusé par Arte (5). Pour lui, le film pornographique ne crée pas l’obsession sexuelle mais il peut la favoriser. C’est pourquoi il est important qu’un adulte explique à l’adolescent que les scènes qu’il présente ne correspondent pas à la réalité. Qu’il mette des mots sur ces images d’autant plus choquantes qu’elles sont généralement découvertes sans que le contexte de leur production soit compris.

Le temps de la découverte

Si 80% des 14-18 ans avouent avoir vu un film X au cours des douze derniers mois (6), il semble qu’arrivés à l’âge adulte, nombre d’entre eux ne considèrent pas y avoir trouvé matière à apprentissage. Alexandre, 22 ans, reconnaît qu’il lui arrive d’en regarder. Ce qui ne l’empêche pas de considérer que les adolescents ont conscience de la distance qui sépare la pornographie de la réalité. "Ils regardent aussi des films d’action où on se tire dessus, mais ils ne vont pas le faire pour autant ! Pourquoi est-ce que ça serait différent avec les films pornographiques ?" A l’adolescence, Mathieu, 24 ans, s’est fait une idée de la sexualité à partir d’un livre spécialisé écrit par un médecin et laissé à disposition par ses parents. Il a pourtant regardé des films X, mais sans considérer qu’ils contribuaient à former sa vision de la sexualité, même s’il reconnaît que certains de ses fantasmes en proviennent peut-être. Mais, avant de s’immiscer dans leur imaginaire, la pornographie constitue d’abord pour les adolescents une transgression, souvent partagée entre copains ou entre copines, plutôt qu’une véritable initiation à la passion physique. Car finalement, n’est-ce pas lors du passage à l’acte, au moment des premières amours charnelles que se forge - au moins en grande partie - notre regard sur la question ? Pour Hélène, 24 ans, c’est de l’expérience que provient la connaissance. Elle considère d’ailleurs le traitement scientifique du sexe avec dérision."Ca me fait sourire, mais je ne suis pas sûre que ça m’aide. Le sexe, c’est quelque chose d’assez intuitif, c’est de l’observation. Mais de la bonne observation." Mais avant l’initiation personnelle aux plaisirs des sens, c’est bien sur une approche théorique que se base l’éducation sexuelle telle qu’elle est enseignée à l’école. Ou au musée.

Leçon de choses

Expliquer la sexualité aux adolescents, c’est le but que s’est fixé la Cité des sciences et de l’industrie, où se tient, jusqu’en janvier 2009, "Zizi sexuel l’expo !". L’objectif : informer et donner des repères aux adolescents et pré-adolescents, afin de lutter contre un certain nombre d’idées fausses sur le sujet et d’en donner une vision différente de celles véhiculées par les séries ou les films pornographiques. Un intérêt certain pour aborder un sujet souvent traité de loin et de manière abstraite à l’école, et que les parents ont parfois du mal à expliquer sans se heurter à la pudeur de leurs enfants. Car le sexe a beau s’afficher en 4X3 sur les panneaux publicitaires, parler de sexe avec ses parents reste peu fréquent. Même après à l’adolescence. C’est le cas de Benjamin, 20 ans, qui aime bien évoquer le sujet mais pas en famille, bien que sa mère en parle de façon libérée. En dehors du cercle familial, les jeunes y sont en général plus disposés. "Je réserve le sujet à mes bons amis ou aux jeunes filles avec qui je partage l’oreiller", constate John, 20 ans. Une inclination qui ne les empêche pas d’avoir un regard nuancé sur l’image du sexe que renvoie la société.

Le sexe dans la cité

Quand on lui demande ce qu’il pense de la façon dont la société reflète le sexe, John se fait métaphorique. "J’ai vraiment l’impression d’avoir affaire à un petit garçon qui est profondément attiré par le sexe, mais qui, comme il en a peur, ne l’assume pas du tout et le montre comme quelque chose de sale." Une contradiction que remarque aussi Elisa, 24 ans. "Quand on lit la presse féminine, on a l’impression que la femme d’aujourd’hui est de plus en plus libérée, mais je pense que ça reflète plus ce que l’on voudrait que ce qui est réellement." Autre lieu d’omniprésence du sexe : la publicité. Les avis divergent quant à la pertinence de son emploi. Alexandre n’est pas gêné d’y voir souvent de la nudité et estime que "cela met en avant le corps des femmes". Et si tous s’accordent à dire que "le sexe fait vendre", Mathieu réprouve cette surenchère en pensant qu’il existe "d’autres moyens pour séduire un client potentiel". Son utilisation à la télévision est tour à tour critiquée - quand elle a pour seul but de faire monter l’audience - et approuvée - quand il s’agit d’émissions à but éducatif, informatif ou de débats sur le sujet. Quand le sexe a ses raisons, la raison l’approuve.

Des homos libres et égaux ?

Le regard de la société sur l’homosexualité et sa visibilité ont beaucoup évolué ces dernières années. La présence d’un couple lesbien dans une récente émission de télé-réalité aurait par exemple été difficilement imaginable il y a seulement dix ans. "Je pense qu’il est peut-être plus facile de s’assumer comme homosexuel aujourd’hui. Et puis, même si je n’ai jamais eu de relation homosexuelle, je pense qu’on s’est tous posé la question : est-ce que je suis homo ?", remarque Sandrine, 23 ans. Un questionnement plus fréquent que par le passé et qui tient en grande partie à la plus grande reconnaissance accordée à l’homosexualité. Pour autant, la façon dont gays et lesbiennes sont présentés à l’antenne est rarement subtile. Amèle, 20 ans, préfère les filles et est partagée face à cette situation. "Dans un sens, c’est positif, puisque cela banalise l’homosexualité. Mais en même temps, à la télé les homos sont très caricaturés." Plus généralement, Benjamin, lui aussi homosexuel, pense que la société n’accepte pas encore complètement son orientation sexuelle. "Il y a quand même beaucoup gens de mon âge qui considèrent que l’homosexualité est anormale", souligne-t-il. Ce constat n’a pas échappé à Laurent Le Vaguerèse, qui remarque que le jeune homosexuel est "plus exposé que les autres aux risques de suicide" (7). Mais ce n’est qu’en février 2008 que les pouvoirs publics s’y sont montrés sensibles. Le ministre de de la Santé, Roselyne Bachelot, a en effet présenté un plan consacré à la santé des jeunes et visant, entre autres, à combattre le mal-être des jeunes homosexuels, à travers une campagne d’information.

La fin des tabous ?

Dévolu à la contraception et la prévention, le planning familial informe également les jeunes sur la sexualité. "On cherche à parler de toutes les sexualités, sans répression ni dépendance, indique Nathalie, une conseillère conjugale de l’association. Parfois, cela inquiète les parents qu’il y ait tant d’informations sur la sexualité accessibles aux jeunes. Mais cela devrait les rassurer, parce que, sinon, l’idée qu’ils s’en font se base sur la pornographie ou le bouche à l’oreille. Ce n’est pas la réalité." Prévenir mais pas prescrire, donc. Parallèlement à cette absence de normes fortes, les jeunes vivent plus souvent une sexualité dont les frontières ne sont pas fixées d’avance. Ce que confirme Yann, 24 ans. "Je pense qu’à partir du moment où l’on est bien avec une personne, on n’a plus vraiment de tabous. Cela ne veut pas dire que je réalise tous mes fantasmes, mais je n’ai pas de problème à dire ce dont j’ai envie, ni à le faire si la personne est consentante." Une attitude qui explique par exemple la généralisation de la sexualité orale. Dès 25 ans, deux tiers des femmes disent pratiquer la fellation et 85% des hommes, le cunnilingus (8). Bien plus qu’une simple mise en bouche ! Plus rapidement confrontés que leurs aînés à la sexualité, les jeunes ont à la fois accès à plus d’informations sur le sujet et à des images souvent biaisées. Cette situation renforce leur besoin de repères leur permettant de faire la part des choses entre mythe et réalité. Mais c’est souvent avec une étonnante lucidité qu’ils abordent le sujet et font leurs premiers pas sur ce sentier battu et rebattu mais pas toujours bien balisé. Un état d’esprit qui relativise le sentiment que l’on éprouve parfois face à ce que certains qualifient à la hâte de "péril jeune"...

Frédéric Rieunier

Notes :

(1) Enquête sur la sexualité en France - Pratiques, genres et santé, sous la direction de Nathalie Bajos et Michel Bozon, La Découverte (2) Âge auquel 50% de la population a connu l’événement. (3) Antimanuel d’éducation sexuel, Marcela Iacub et Patrice Maniglier, Editions Bréal (4) Les effets de la pornographie chez les adolescents - La Lettre du CSA n° 178 - Novembre 2004 http://www.csa.fr/actualite/dossier... Dans cette étude - réalisée en 2003 auprès de 9.764 élèves de la quatrième à la terminale, âgés de 14 à 18 ans - le CSA montre que les garçons qui consomment de l’alcool régulièrement et les filles qui fument quotidiennement sont plus enclins à regarder fréquemment des films pornographiques. De même pour ceux ayant fait une tentative de suicide, garçons et filles confondus. Aucun lien de causalité n’est cependant établi entre ces facteurs, il serait donc pour le moins hasardeux d’affirmer que la pornographie pousse les jeunes au suicide ou à l’alcoolisme. (5) A l’école du porno, Ella Cerfontaine, Arte France (6) Les effets de la pornographie chez les adolescents - op. cit. (7) Le médecin face aux questions de l’adolescent sur la sexualité, Laurent Le Vaguerèse - http://www.oedipe.org/fr/administra... (8) Enquête sur la sexualité en France - Pratiques, genres et santé - op. cit.