BD-X

La bande dessinée s’érotise au grand jour

Le 03/12/2009

Nouvelle collection Erotix chez Delcourt, ouvrages collectifs Glamour chez Fluide Glacial, succès éditorial de Fraise et Chocolat : la BD érotique s’affole. En tout cas elle ne se cache plus. Sans annoncer la fin des classiques du genre grandes blondes “gros seins-gros cul-grande bouche”, le fantasme en bulles change légèrement de ton.

Que la Bande dessinée soit un genre masculin n’a rien d’un scoop. Cela fait finalement très peu de temps que les femmes se glissent sur la couverture des albums, bien qu’ayant été sur-représentées à l’intérieur, et de quelle manière ! Entre poupée blonde plantureuse, grandes nunuches faire-valoir, ménagères dociles, ou justicières dénudées, le personnage féminin a longtemps été un simple joujou docile entre les mains des lecteurs-dessinateurs. L’émergence de la BD indépendante, de l’album d’auteur, l’apparition des petites maisons d’édition a légèrement changé la donne, dans le contenu et sur les couvertures, même si encore en 2004, seuls 7% des albums parus étaient signés par une femme (scénariste ou dessinatrice). Et que dire alors de la BD dite adulte ? Dans les années 70, au moment où apparaissait une presse satirique, provocatrice et graveleuse, type Echo des savanes et Hara Kiri, un groupe de femmes dessinatrices décidait de créer son propre journal. Ce fut l’expérience fugace mais intense de “Ah Nana !” créé par Chantal Montellier et Janick Dionnet. Un journal tiré à 30 000 exemplaires, réalisé à 99% par des femmes. Éphémère aventure qui ne dura que le temps de 9 numéros (de 1976 à 1978) et fut censuré pour son dossier sur l’inceste. C’en était fini pour longtemps de la BD trash et décomplexée féminine. En 1985, les mêmes dessinatrices signeront un manifeste dans le Monde pour dénoncer le sexisme et la violence de la BD française. Puis avec les années 90 le genre BD érotique tombe en désuétude, et sort des rayons des librairies sous la pression d’associations chrétiennes. Le puritanisme avance. Mais voilà qu’au tournant du 21e siècle, le genre connaît une nouvelle jeunesse à laquelle Aurélia Aurita n’est pas étrangère...

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Fraise et Chocolat

Un avant et un après Fraise et Chocolat

Le succès de “Fraise et Chocolat” sorti en 2006 ferait pâlir d’envie n’importe quel éditeur. C’est l’histoire d’une jeune dessinatrice de BD presque inconnue, Aurélia Aurita, qui s’amourache d’un “collègue” (Frédéric Boilet) lors d’un voyage au Japon. De cette rencontre amoureuse et hautement excitée, sortira Fraise et Chocolat 1, récit autobiographique au contenu pornographique frais et direct. Le dessin est jeté assez sommairement sur le papier, vivant, émoustillant, décomplexé. Cela fait la gloire de la petite maison d’édition belge Impressions Nouvelles et propulse la jeune femme de 26 ans au rang de phénomène de foire, au jeu du “nouvel érotisme féminin”.

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Fraise et Chocolat

Même les libraires participent du phénomène en rangeant l’ouvrage dans le rayon BD et non pas “érotique”. Après un Fraise et Chocolat 2, la jeune femme vient de régler ses comptes dans “Buzz moi” avec une presse prompte à sucer le sang de cette nouvelle proie érotico-phénoménale. Dans les milieux de la critique BD, d’autres se sont aussi agacés de cette surexposition médiatique, rappelant que d’autres femmes, de l’autre côté de l’Atlantique, avait porté la question sexuelle féminine (-niste ?) dans d’autres contrées moins gentillettes que celle d’Aurita. “Bitchy Bitch” de l’américaine Roberta Gregory ou les récits autobiographiques de la canadienne Julie Doucet portent en effet un regard plus underground, noir, dérangeant, sur le plaisir féminin et surtout sur les hommes. Pour Roberta Grégory, cette affreuse et délurée Bitchy Bitch était une manière de répondre avec les mêmes armes à la misogynie de Robert Crumb, pape du comics underground, créateur dans les années 60 de la série érotique Fritz the Cat.

La vague des ouvrages collectifs

Il n’en reste pas moins qu’Aurélia Aurita a ouvert une brèche en 2006, dans laquelle les éditeurs se sont engouffrés. Même Zep, le papa de Titeuf plutôt habitué aux cours de récréation, vient approvisionner le genre érotique décalé avec “Happy Sex” qui vient de sortir chez Delcourt et qui devrait se vendre par milliers juste avant les fêtes de Noël...

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Arthur et Janet

“Dany et Janet” de Jean-Pierre Cornette (scénario) et Karo (dessin) flirtent sur la même veine du couple grivois, en plus conformiste peut-être mais sans détours. Le couple n’hésite ainsi pas à baiser en public dans un couloir d’hôtel ou à inviter une copine insomniaque dans son lit.

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Arthur et Janet

L’identification de la génération trentenaire (très consommatrice de BD d’auteurs) marche à plein, comme ce fut le cas pour l’ouvrage collectif “Premières fois” sorti l’an dernier chez Delcourt. La jeune scénariste Sibylline a travaillé avec une douzaine de dessinateurs maison (Alfred, Cyril Pedrosa,...) pour un ouvrage drôle, riche et varié : ma première expérience homosexuelle, ma première fois à trois, etc...

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Premières fois

Autant d’expériences qu’elle a voulu “excitantes”, “parce que quand même on se demande si on va faire bander les gens ou pas”, raconte-t-elle. Qu’est-ce donc que la BD érotique : celle qui excite, titille ou celle qui seulement étale avec franchise des histoires de fesses ? La série “Glamour” de Fluide Glacial penche plutôt dans cette dernière catégorie. Après “Amuse-Bouche” sorti l’an dernier, voici “Duo” sur le principe de l’ouvrage collectif : des petites histoires courtes écrites pour la plupart par des femmes, où le plaisir sert de fil rouge, de manière plus ou moins libertine. On y retrouve Aurélie Aurita, la bloggueuse Maïa Mazaurette, les illustrateurs Arthur de Pins et Anne Rouquette ou même Ovidie. Mais cette formule de la “commande” aux auteurs n’échappe pas à un résultat inégal où l’on se demande finalement ce qui en fait le ciment.

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Amuse-bouche - Aurore Petit

Heureusement on y déniche aussi du talent, avec les planches troublantes et sans parole d’Aurore Petit, l’irrésistible sens du récit de Libon et Capucine, et l’hilarant renversement des sexes d’Arthur de Pins. L’heure est donc au décalage décomplexé, à l’érotisme réaliste et humoristique, loin, très loin des factures érotiques classiques des années 70.

Erotix, les grands classiques

C’est peut-être pour cela que Delcourt a fait le choix de rééditer et de traduire plutôt que de piocher dans la nouveauté pour sa toute nouvelle collection Erotix qui fait la part belle aux Italiens (Magnus, Guido Crepax, Ventura) et aux Américains (Alan Moore, Frank Thorne). Des hommes uniquement mais des maîtres du dessin et des ambiances servies par des éditions luxueuses.

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Les 110 pillules

Pas de raison que les femmes y restent insensibles, du moins pour le très beau “les 110 pilules” de Magnus, conte asiatique aux plaisirs raffinés, ou le “Emmanuelle” de Guido Crepax, dont les ambiances luxuriantes, les femmes longilignes et le récit poétique laisse place à l’imaginaire.

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Emmanuelle

Par contre l’univers d’Iron Devil de Frank Thorne nous propulse trente ans en arrière avec leurs deux héroïnes, nues du début à la fin de l’histoire pour explorer la ville et les époques. Du fantasme masculin stéréotypé, où les hommes font joujou avec des grandes poupées prêtes à toutes les soumissions, comme au bon vieux temps.

Mais grâce à la nouvelle génération d’illustratrices, nous pouvons rêver feuilleter des albums où les héroïnes retournent ces clichés en leur faveur, et choisissent de faire des hommes des sujets d’étude érotique, voire même des objets de plaisir.

[gris]Stéphanie Pichon[/gris]

[gris]A lire
-  “Fraise et Chocolat” T1 et 2, “Buzz moi” d’Aurélia Aurita, ed. Impressions nouvelles.
-  Série “Bitchy Bitch” de Roberta Grégory, ed. Vertige Graphics
-  Les ouvrages de Julie Doucet, ed. l’Association
-  “Amuse-Bouche” et “Duo”, ouvrages collectifs Fluide Glamour, ed. Fluide Glacial.
-  “Premières fois” de Sibylline et collectif de dessinateurs, ed. Delcourt.
-  ‘Arthur et Janet’, de Cornette et Karo, ed. Drugstore.
-  “110 Pilules” de Magnus, “Emmanuelle” de Guido Crepax, “Lost Girls” d’Alan Moore et “Iron devil” de Frank Thorne, collection Erotix, Delcourt[/gris]

Commentaires (11)

  • Anya

    Ça donne envie ... ! Je ne me suis jamais achetée de BD érotiques je vais m’y mettre quelqu’un peut il me conseiller ?

  • Helga

    Moi j’ai lu Fraise & Chocolat parce que des copines m’ont dit que ça avait changé la vision qu’elles avaient de leur sexualité mais j’ai trouvé ça un peu trop gentil pour mon gout et pas assez excitant.
    Par contre je n’ai pas lu les autres, désolée..

  • katy

    MOI UNE FEMME DESIREUSE JE TROUVE QUE C4EST MAGNIFIQUE ET EXITANT

  • tomtom

    salut les filles !!!

    Bon, moi je suis fan de BD et d’érotisme en tout genre sous toute ses formes...
    Pour la Bd, je vous conseil effectivement toutes les nouvelles du genre, style fluide glamour et celles mentionnées dans l’article...
    Pour les classiques, c’est plus dur car vous risquez effectivement de tomber sur des trucs franchement pas très saint : SM, inceste, soumission et transexuels avec des bites de 40cm...
    A noter quand meme Manara, meme si la dernière serie "Borgia" est un peu crade...

    Vous pouvez allez voir du coté de la collection "selen", très chaude mais plutot excitante, ainsi que l’exellent " oh ! Giovani" qui est très coquine mais entièrement faite par une fille : dessins et scénario....

    Bonne lecture à vous toutes

    tomtom

  • selma

    merci beaucoup tomtom ! mais je ne trouve pas Oh Giovanni, help ! tu as le nom de l’auteure stp ?

  • Clem’

    Fraise et chocolat, c’est effectivement pas particulièrement excitant, mais c’est agréable à lire et je trouve ça libérateur de lire des récits finement réalistes (même si le dessin ne l’est pas). Pascin de sfar rejoint un peu cette veine là...

    En fait, je vois deux types de BD érotiques... Celles qui parlent d’érotisme et celles qui sont excitantes... La qualité et les goût de chacun, c’est un autre problème... l’idéal est de feuilleter dans les boutiques BD et d’oser les consulter sans gêne.

    Pour ma part je trouve sain même ce qui n’est pas "saint", surtout en dessin où l’on est sur que personne n’a été maltraité durant le tournage. J’aurai tendance à vous recommander les ouvrages contre lesquels tomtom nous met en garde et par être déçu par la collection "selen"... alors...

    Sinon, fouinez sur les blogs de dessinateurs il y a parfois de bonnes surprises :

    http://www.clem.s.overblog.fr/
    http://founkysguegue.over-blog.com/

    ou pas...

  • claire

    moi j’adore les Bd péchés mignon ainsi que tous les dessins arthur des pins mais je ne connais pas les bd cités plus haut mais fraise et Chocolat me tente bien ça a l’air sympa...

  • TV33

    Fraise et chocolat a déclenché une belle excitation de dimanche après-midi pour mon amour à la libido en berne ; C’est gentil , pas super excitant, mais cela doit convenir pour certaine femme un peu sage. C’est frais et sens bon la sexualité féminine décomplexée.

    Dans la série Manara , "l’art de la fessée" est tres bien, également "le déclic du meme auteur" (fantasmes plus masculins).

  • Clement Ségissement

    Bon, ben... je retire mon "pas excitant" pour fraise chocolat avec mes humbles excuses... les voies de l’érotisme sont impénétrables... je dis ça sans vulgarité bien sûr.

  • Clement Ségissement

    J’ajoute en passant une découverte de BD érotique exceptionnelle réalisé par un couple d’auteur de comics célèbre : ça s’appelle "filles perdues" :
    http://www.clsetcls.com/index.php?o...

  • slPQWYFmhp

    3bwBJV In awe of that answer ! Relaly cool !