A l’ère de la sexo-technologie

Le 21/04/2009

Notre quotidien est de plus en plus envahi d’accessoires aussi robotiques les uns que les autres (téléphones, appareils ménagers, accessoires automobiles,…). A l’ère des nouvelles technologies, le domaine de la sexualité passionne forcément les scientifiques et ils sont nombreux à se pencher sur l’avenir de nos ébats. Aurons-nous encore besoin de nous toucher ? Etre deux sera-t-il superflu ? Si de nouvelles interfaces offrent des possibilités démultipliées d’atteindre le plaisir ou de donner du plaisir à son partenaire, que deviendra le contact physique plus direct ? L’avenir de la sexualité se joue-il désormais en wifi ? Serons-nous obligés de revêtir casques et combinaisons pour plonger plus profondément dans l’extase que nous réserve la fin du XXIe siècle ?

Le 8ème Ciel programmable

Aujourd’hui les évolutions techniques sans cesse renouvelées se mettent au service de notre épanouissement sexuel. Les sex toys nouvelle génération sont « intelligents » et interactifs. Ils permettent de varier les vibrations, de les programmer, de les mémoriser. On est peut-être au seuil du moment où ils pourront anticiper nos envies. Du Oh mi Bod, qui se branche à votre ipod et vibre au rythme de vos musiques préférées, au Sasi, qui mémorise votre programme de vibrations favori pour vous le reproposer d’office à la prochaine utilisation, en passant par le Secret Bullet, ogive à insérer dans le vagin se déclenchant à distance grâce à une télécommande actionnée par votre partenaire, tout porte à croire que nous ne sommes pas au bout de nos surprises et que les industriels s’associent de plus en plus aux scientifiques pour mettre au point le lovetoy du futur, l’incontournable dont les femmes ne pourront plus se passer. Et il ne faut pas croire que progrès rime forcément avec individualisme car comme le Secret Bullet, qui s’utilise habituellement à deux, le We Vibe (nous vibrons) est un sex toy de couple qui permet de faire profiter votre partenaire des vibrations émises. Les textures de ces accessoires sont également plus douces et plus satinées que leurs ancêtres, imitant à s’y méprendre le contact de la peau. Le but est de nous faire oublier la « machinerie » pour ne plus penser qu’au plaisir.

L’Orgasmatron

Encore plus fou, il existe aujourd’hui un implant déclenchant l’orgasme, inventé par le neurochirurgien Stuart Meloy. Baptisé « Orgasmatron » ce « pacemaker du plaisir »(1) se porte sous la peau, au niveau de la taille, et est constitué d’un boîtier de la taille d’un paquet de cigarettes relié à deux électrodes connectées directement au nerf pelvien contrôlant le plaisir. Une commande à distance, manipulée par vous ou votre partenaire, délivre les impulsions, et vous mène à l’extase… Spécialiste du traitement de la douleur, Stuart Meloy a découvert par hasard, en 1998, le pouvoir de son dispositif alors qu’il l’utilisait pour traiter un patient souffrant d’une hernie discale et que celui-ci s’est mis à pousser des cris de plaisir. Depuis, il ne cesse de vanter sa technique, celle-ci nécessite néanmoins une intervention chirurgicale avec pose de l’implant : « Sur les onze femmes portées volontaires pour se faire greffer durant neuf jours l’implant jouissif, dix en ont eu une expérience satisfaisante : celles qui avaient perdu la faculté d’atteindre le nirvana l’ont recouvré, et celles qui n’y étaient jamais parvenues l’ont rencontré. » La Food and Drug Administration (qui délivre aux Etats-Unis les autorisations de mise sur le marché des produits de santé) vient de donner son feu vert pour une phase de tests complémentaires à ce dispositif désormais présenté comme un remède au dysfonctionnement orgasmique.

Les interfaces haptiques

Mais qu’est-ce qu’une surface haptique ? Haptique vient du grec haptomai qui signifie « je touche », il désigne également une science du sens tactile en plein développement dans les laboratoires de recherches en neurobiologie et dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ces laboratoires tentent de modéliser le toucher afin de pouvoir le simuler : faire ressentir l’impression du toucher sur un corps sans qu’il y ait eu contact physique. Ils reproduisent le sens kinesthésique (force), tactile (texture de l’objet) et thermique (chaleur). Ces recherches concernant les interfaces haptiques se retrouvent surtout dans le domaine des jeux-vidéo. Emotiv Systems, compagnie privée créée en 2003, développe un casque bien particulier destiné à créer un dialogue direct entre cerveau et machine. Les ordinateurs peuvent maintenant avoir accès à nos pensées conscientes et à nos émotions. Le casque Emotiv utilise un ensemble de capteurs détectant les signaux électriques en provenance du cerveau donnant accès aux pensées-sentiments-expression du joueur. Le jeu peut ainsi être contrôlé via la pensée. Cette technologie est appelée BCI (Brain Computer Interface) et fonctionne en WiFi. Imaginer des jeux vidéo à multi-scénarios sexuels ne semble plus si insensé. D’autant plus qu’il existe également des combinaisons haptiques couvrant l’ensemble du corps. Il suffirait d’appliquer ce type d’innovations à un jeu comme Second Life pour permettre des rencontres tactiles et sensuelles entre joueurs éloignés géographiquement. Mais nous n’en sommes pas encore là, car comme le dit Aurélien Pocheville, titulaire d’un doctorat en réalité virtuelle et haptique, « La seule interface haptique existant (sous une forme très rudimentaire) pour le grand public est la manette de jeu Wii »

Les mondes virtuels, Second Life et la sexualité par avatars interposés

Sur le site Second Life justement (univers virtuel en 3D sorti en 2003 permettant au joueur de vivre une « seconde vie »), il existe des espaces spécialisés, dédiés à la sexualité, dans lesquels, par l’intermédiaire de sphères activables (bleues pour les garçons et roses pour les filles), il est possible d’interagir sexuellement entre avatars consentants. L’avatar est la représentation virtuelle d’un utilisateur, de forme humanoïde qui peut être modélisé selon ses désirs : on peut choisir sa taille et ses proportions, sa coiffure, son look, l’habiller librement, et l’animer. Si votre avatar personnel entre en contact avec la sphère, il peut choisir une position sexuelle type et se livrer à toutes les gymnastiques optionnelles libidinales possibles. Il est également envisageable d’entrer en contact avec un « Escort » (créateur de programmes informatiques personnalisés répondant à vos fantasmes numériques les plus extravagants). Sur Second Life, il suffit de zoomer, d’enchaîner les plans, de scénariser les séquences pour réaliser en live son propre film porno, du home made porn. « Je vois Second Life comme l’empire de la MAO, c’est-à-dire de la Masturbation Assistée par Ordinateur ! » analyse le psychiatre et docteur en psychologie Serge Tisseron(2). Les relations virtuelles à l’instar de celles initiées dans l’univers de Second Life, déconnecte de toute réalité sexuelle ou physique, orientant la recherche du plaisir vers une sphère maîtrisable pour l’internaute, autorisant des rapprochements inenvisageables dans la vie réelle (géographiquement, politiquement et/ou physiquement). La sexualité virtuelle abolit les frontières tout en isolant les corps. Il existe un réel danger pour l’internaute, confondu avec son avatar, tellement isolé dans sa propre réalité, qu’il en oublie d’explorer de véritables relations sexuelles.

Les robots sexuels

Selon David Lévy, auteur de « Amour + Sexe avec les robots : l’évolution des relations humains-robots », le robot sexuel "Gigolo Joe", joué par Jude Law dans le film de Steven Spielberg "A.I." (Artificial Intelligence), qui propose conversation et soutien émotionnel aussi bien qu’ébats sexuels, pourrait être d’actualité avant une quarantaine d’années. D’autres experts sont sceptiques : "Je ne pense pas que nous aurons des robots ressemblant à des humains dans ce laps de temps et je ne suis pas sûr que nous souhaitons vraiment des robots à notre image ", estime Frédéric Kaplan, chercheur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et programmateur du cerveau de l’adorable robot-chien de Sony "Aibo". Une compagnie japonaise, Axis, a déjà produit ce qui pourrait être considéré comme les premiers robots sexuels, évidemment pour hommes. Appelées Honeydolls, ces poupées grandeur nature sont faites de résine et de silicone de qualité chirurgicale, et sont équipées sur chaque sein de senseurs commandant une voix : pincez le téton et vous déclenchez des petits cris de plaisir chez "Cindy", qui chuchotera également des mots doux à votre oreille. « Les femmes aussi se laisseront tenter par les robots sexuels », estime David Levy en notant la hausse des ventes de vibromasseurs et autres sex toys dans le monde entier, et la levée des tabous.

La sexualité déconnectée du corps est-elle une libération, une abolition des frontières ou un véritable danger pour notre société contemporaine toujours plus déconnectée face au réel ? La technologie peut effectivement faciliter la vie sexuelle des couples vivant à longue distance l’un de l’autre en les connectant via des interfaces 3D, ou encore guider les partenaires dans leur quête de l’apprentissage du corps de l’autre grâce à des robots sexuels, mais qu’en est-il du rapport à la chair, à ce bouillonnement intérieur ? Et comment accepter que le japanese robotic kiss, dénué de langue et de salive, remplace le french kiss ? Et même si ces robots deviennent des aides à la sexualité, la majorité des sexologues s’accordent à dire qu’il est tiré par les cheveux de penser que des humains vont tomber amoureux de robots…

Saskia Farber

(1) La technonique, Azar Khalatbari, Libération, 18 mars 2008 (2) Les dessous de Second Life, interview du Dr Serge Tisseron par Alain Sousa, 5 juin 2007 (doctissimo.fr) (3) Love + Sex with Robots : The Evolution of Human-Robot de David Lévy Editions Harper Perennial

Sources : http://www.nickbostrom.com/ http://www.emotiv.com http://www.gartner.com http://www.acceleratingfuture.com/m...