Marlène Schiappa - Osez l’amour des rondes

Le 25/01/2011

Il fut un temps où je n’avais pas de corps. J’étais un esprit qui divaguait dans les livres et dans les débats philosophiques. Et puis j’ai eu 24 ans. Un constat : j’étais obèse. Autre constat : les mecs me regardaient les seins et les fesses. Merde, moi qui pensais que les mecs regardaient plutôt la taille fine de mes copines… Donc je plaisais aux mecs, mais pas à moi-même. Dommage. Heureusement, depuis, j’ai eu quelques compagnons pour me dire que certes, je remplissais bien un jean taille 48, mais qu’ils préféraient davantage des hanches qui prennent toute la place dans le lit que caresser un sac d’os. Alors je me suis mise à prendre soin de moi, me maquiller, hydrater ma peau et tout le tralala. Même si je ne m’assume toujours pas aujourd’hui, j’ai un petit peu plus de charisme quand je parle de la crise tunisienne avec mes petites tuniques et mes yeux de biche.

amourdesrondes.jpgTous ces prolégomènes à la gonzo pour vous parler d’un livre qui a été présenté à la Musardine ce jeudi 13 janvier 2011. Dans la lignée des Osez, Marlène Schiappa, rédactrice et directrice éditoriale dans une agence de presse, nous a concocté Osez l’amour des rondes. Un petit guide instructif à l’usage des filles fortes en chair et des messieurs qui les regardent avec envie, mais n’osent pas trop les aborder, sous peine de se faire traiter de tocard à boudins par leurs potes.

Car oui, il paraît que les hommes préfèrent les grosses. Et pas forcément les canons de la sacro-sainte presse féminine. Quand on regarde en effet les femmes plébiscitées par les hommes, beaucoup font plus que la taille 42. Mais attention, pour plaire à ces messieurs, il ne faut pas se planquer derrière de gros pulls et manger de la salade à tous les repas (en plus, c’est pas bon). Ni non plus s’habiller en top trop petit et minijupe saucissonnée (en plus, ce n’est pas très décent). Être une ronde qui s’assume et qui plaît est un mode de vie, que nous expose ici Marlène Schiappa, en prodiguant à la fois des conseils de mode et de beauté et des petites anecdotes pour montrer que non, les pro-ana ne font pas bander la majorité des hommes. Encore une petite preuve. Après la présentation du livre, j’avais un rendez-vous galant. Je me suis ramenée avec le livre. Le galant m’a répondu : Mais tu prêches un convaincu, là !

Il faut dire aussi que Marlène Schiappa sert agréablement le discours. Quand j’ai vu cette maman de 27 ans, je me suis dit : Je kiffe sa robe. Et ses pompes aussi, mon Dieu, « beleza » ! Autrement dit, même si elle ne fait pas une taille 38, Marlène Schiappa est très jolie et se met en valeur. Elle a également assez d’aplomb pour servir son discours lorsque le libraire de la Musardine, improvisé intervieweur d’un soir, la harangue dans la boutique. Voici donc la petite interview que je vous ai concoctée :

- Tiens, Marlène Schiappa, ça me dit quelque chose… Tu n’aurais pas déjà écrit sur Ladies Room, par hasard ?

Mais si, absolument ! En 2007, j’ai lâché mon boulot dans la pub pour devenir rédactrice. Ladies Room est un des premiers sites sur lesquels j’ai écrit, et j’ai continué ensuite de publier quelques articles sur des sujets aussi variés que les femmes battues ou la fellation dans l’art. Je suis toujours lectrice de Ladies Room d’ailleurs !

- Vois-tu un lien entre ton œuvre de blogueuse citoyenne et cet ouvrage ? Ou alors as-tu eu juste envie de sortir de tes problématiques ?

Oh que oui, il y a un lien ! :) Que ce soit sur le Bondy Blog où j’ai beaucoup écrit, sur Ecotidien.fr, sur Maman travaille.fr, le blog des mères actives que j’ai créé, ou dans Osez l’amour des rondes, ce sont toujours les mêmes choses qui m’animent. Déjà, la vraie vie des gens, des gens qu’on voit dans la rue, pas dans les magazines : les mauvaises mères, les rondes, les femmes de toutes les couleurs, les gens qui sont dans la dèche… Paris Hilton ne m’intéresse pas - mon premier site s’appelait d’ailleurs “le 1er féminin sans pub, sans régime et sans Paris Hilton”. On peut comparer les rondes avec ce qu’on appelle les “minorités visibles” ou les mères actives. Ce sont des gens exclus des médias, comme dirait Virginie Despentes, exclues “du marché de la bonne meuf”, injustement. J’ai voulu contribuer à réparer cette injustice dans Osez l’amour des rondes.

- Selon moi, tu as réussi un tour de force : intégrer la vie sexuelle des rondes dans leur mode de vie. Est-ce ta vision générale du sexe (en gros, inclure sa vie sexuelle dans son fonctionnement de vie) ?

Merci :) et oui, complètement. Tu es d’ailleurs une des seules à l’avoir compris ! La vie sexuelle fait partie de la vie en général. On fait souvent comme si le sexe était mal, mais comme diraient Doc et Difool, “ce n’est pas sale”. Avoir une vie sexuelle épanouie permet d’avoir confiance en soi, quand on se sent aimée, désirée, on se présente mieux, on arrive plus sûre de soi aux entretiens d’embauche. Après tout, le sexe, c’est l’amour, c’est aussi faire des enfants, c’est au centre de la vie des êtres humains. C’est aussi pour ça que je trouve injuste qu’on tente de “priver” les rondes de sexualité, c’est comme essayer de les priver de vie !

- N’as-tu pas peur, avec cet ouvrage, de recevoir des remarques un peu déplacées de certaines rédactrices mode, ou même d’autres personnes pas forcément sensibles à la condition des personnes en surpoids ?

Si, trop tard :) Je ne pensais pas déclencher de telles avalanches de réactions passionnées avec un ouvrage plutôt ludique sur le thème de l’amour des rondes. Mais j’ai reçu de tout : des messages de nanas minces et furieuses qu’on parle de “l’amour des rondes”, se sentant presque dépossédées ; des messages de rondes disant qu’elles ne m’ont pas attendues pour faire l’amour - ce dont je me réjouis pour elles - et des discussions sur des forums hyper virulentes, entre “pro” et “anti”. Il y a eu aussi les rédactrices de mode trouvant ça “formidable” mais continuant à mettre en scène des filles de 45 kilos… Et heureusement, en majorité, des messages très positifs. Miss Ronde 2010, Angélique Alves, a aimé le livre. Des rondes m’ont envoyé des messages en me disant qu’après avoir lu le livre, elles ont enfin “osé” sortir de chez elles, draguer, séduire, se faire belles, s’aimer, “passer à l’acte” avec leur nouveau copain…. franchement, avec ces messages, je me dis que j’ai atteint le but fixé dans Osez l’amour des rondes. Si ce livre a pu décomplexer ne serait-ce qu’une fille, c’est gagné !

- Internet a-t-il été ton seul moyen de te documenter ?

Ca a été le principal moyen (je suis blogueuse, directrice éditoriale d’une agence web… on ne se refait pas !) mais pas le seul. J’ai rencontré beaucoup d’hommes amateurs de rondes, je n’ai d’ailleurs pas gardé tous les témoignages. Il y avait de vrais fétichistes, mais je voulais vraiment orienter le livre “pour les femmes” principalement, “pour les couples” et en fait un guide, pas seulement un livre de reccueil de témoignages de fat admirers.

- Tu ajoutes un point sur la considération des personnes en surpoids dans la société, et notamment dans la culture. Remarques-tu réellement une évolution ou est-ce juste un effet de mode ?

Oui, il y a une évolution. La mode est cyclique, c’est un éternel recommencement. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme dit l’adage… Dans le premier chapitre de Osez l’amour des rondes, j’ai voulu montrer aux rondes qu’elles ont pour elles des millénaires ! Sofia Loren, la Venus de Milo, les Trois Grâces… Actuellement, on voit de plus en plus de “spécial rondes”. Disons que ce sera gagné quand on ne verra plus de “spécial rondes”, mais juste des rondes à l’intérieur d’un numéro classique. Mais je veux rester positive, j’ai l’impression que petit à petit, la presse féminine et les médias admettent que les femmes peuvent être blanches, noires, rousses, rondes, minces, énormes, avec des tout petits seins, avec une poitrine énorme, très petite, très grande… La beauté est plurielle, la sensualité aussi ! Quand on voit que le ELLE spécial rondes a enregistré +36% de ventes, on se dit que ça va dans le bon sens…

- Enfin, les hommes préfèrent-ils vraiment les grosses ou plutôt celles qui assument leur physique ?

Tu as raison, ils préfèrent avant tout celles qui assument leur physique. Une belle ronde sûre d’elle et souriante fera toujours plus envie qu’une jeune fille chétive qui fait la gueule - et vice versa ! cela dit, le but de Osez l’amour des rondes est d’aider les femmes à se sentir bien, quel que soit leur poids. Avec un brin de mauvaise foi parfois, je passe donc plus de 100 pages à les en convaincre : oui, les hommes vous préfèrent vous, les rondes !

Marlène Schiappa, Osez l’amour des rondes, La Musardine, 2010.

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