L’excision psychique

Le 27/08/2009

Au Moyen-Age, la masturbation seule ou en couple était largement pratiquée par les deux sexes, parfois à visée contraceptive. Vers 1750, un peu avant la Révolution, s’installe progressivement l’interdit de la masturbation, mais cette prohibition ne vise au début que les hommes.

Grandeur et décadence du clitoris

En effet, l’antique croyance du sperme féminin, décrite par Hippocrate (460-370 av J-C), était toujours vivante. Et, afin que cette liqueur féminine soit au rendez-vous pour la procréation, il fallait que la femme ait un orgasme. Le clitoris était un des moyens d’obtenir cet orgasme. Ainsi, avec l’essor de la science, le 19ème siècle fut le plus propice à la connaissance du clitoris et àson corollaire, le plaisir féminin :

- En 1829, Morel de Rubempré écrit que le mot clitoris est dérivé de grec kleitoriculin qui signifie chatouiller, à cause des sensations particulières que les femmes ressentent de la titillation de cet organe.

- En 1851, à Fribourg, le Dr Kobelt est le premier à étudier le clitoris. Ses descriptions anatomiques des organes génitaux et du clitoris en particulier, sont encore citées aujourd’hui. Il décrit avec précision la partie interne du clitoris qui se sépare en deux long corps qui entourent le vagin. Il étudie également l’irrigation nerveuse : le petit nombre de nerfs sensitifs qui s’enfoncent isolément dans le conduit vaginal, place sous ce rapport ce dernier tellement en-dessous du gland du clitoris, qu’on ne peut accorder au vagin aucune participation à la production du sentiment voluptueux dans l’orgasme féminin.

- En 1853, le Dr Debay écrit : organe de la volupté chez la femme, le clitoris est la miniature de membre viril.

- Le docteur Guyot, en 1882, conseille aux maris de se livrer à des frictions délicatement exercées le long de clitoris car le clitoris est le seul siège du sens et du spasme génésique chez la femme.

Décadence du clitoris

Etrangement, c’est une découverte scientifique qui va sonner la décadence du clitoris : en 1875, le Dr Edouard Van Beneden découvre le processus de la procréation, avec la fonction de l’ovule. Coup dur pour le clitoris qui n’avait plus aucun rôle dans la procréation, sa seule fonction étant uniquement le plaisir de la femme. L’interdit de la masturbation s’étend alors aux femmes. Cet interdit se répand très vite en Occident, avec de nombreux cas d’excisions punitives sur de jeunes masturbatrices, parfois très jeunes, dès 5 ans, excisions pratiquées toutefois par des médecins isolés, la communauté médicale étant généralement plus modérée.

Progressivement, les scientifiques désignent le vagin comme l’unique organe sexuel féminin et occultant ainsi de plus en plus le clitoris. A Vienne, en 1886, le célèbre psychiatre aliéniste Richard Von Kraff-Ebing écrit Psychopathia sexualis, (14 rééditions de son ouvrage jusqu’en 1903). Il y décrit un distinguo chronologique où deux zones érogènes se succèdent dans la maturation de l’individu : le clitoris chez la femme vierge ; le vagin et le col de l’utérus après la défloration. A titre indicatif, Krafft-Ebing inventa aussi les mots sadisme et masochisme en 1891, et pédophilie en 1896.

Freud reprend les propos du Dr Von Kraff-Ebing (ils habitent dans la même ville) et les amplifie : il reconnaît le clitoris comme lieu du plaisir de la petite fille jusque vers cinq ans. Mais la femme adulte doit, selon Freud, changer de zone directrice pour s’épanouir par la pénétration. Tout usage adulte du clitoris devient alors immature et régressif !

Cela nous conduit à une véritable excision psychique massive en Occident, qui a été objectivée par les travaux de Lisa Moore. Elle a étudié la représentation du clitoris dans les livres d’anatomie médicale du 20ème siècle qui sont dans les bibliothèques des facultés de médecine, reflet objectif de l’évolution de la pensée médicale. Ses travaux sont précieux car ils nous renseignent quant aux grandes lignes de la chronologie de l’excision psychique :

- 1901 : le clitoris est représenté et nommé avec précision, suite aux travaux du Dr Kobelt.
- 1948 : le clitoris reste représenté mais il n’est plus nommé.
- 1960 - 1971 : dans la moitié des livres d’anatomie médicale, le clitoris a complètement disparu !!! Pour les autres, il apparaît à peine, sans être nommé, parfois sous forme d’un petit vers (Gardner, Gray, O’Rahilly, …). Simultanément, le mot clitoris disparaît de la majorité des dictionnaires !
- A partir de 1973 : le clitoris réapparaît lentement, souvent sans fonction, 25 ans après les travaux de Kinsey et quelques années après les travaux de Masters et Johnson !

Chronologie de l’excision psychique

Cette chronologie nous éclaire et nous permet de mieux comprendre notre histoire sexuelle collective. Ainsi, dans les années 1900, on soignait les hystériques par masturbation clitoridienne. En effet, le clitoris était encore connu pour ses vertus apaisantes. Pour éviter un contact direct avec le clitoris, le vibromasseur électrique fut inventé, ce fut même l’un des tous premiers appareils électriques ! De 1900 à 1930, un catalogue de vente par correspondance américain proposa un vibromasseur électrique à usage clitoridien dans ses pages grand public ! Dans un documentaire qui rassemble les premiers films pornographiques du cinéma muet (1900-1920) dont la diffusion était essentiellement dans les salons des maisons closes, on y pratique fréquemment la caresse de Vénus, tant avec la main qu’avec la bouche, ainsi que la bisexualité. On trouve également quelques évocations de la caresse clitoridienne dans la littérature de cette même époque.

Puis le clitoris va rapidement disparaître et la sexualité se réduire à la seule pénétration, excluant toutes caresses génitales. L’obscurantisme clitoridien bat son plein dans les années 1960 tandis que l’Homme pose ses premiers pas sur la lune !

Les années 1960 seraient donc le point culminant de la décadence du clitoris dans le monde médical et dans tout l’Occident. Cet évènement, relativement proche de nous, ne doit pas rester inconnu car il a encore, peu ou prou, des retentissements sur la représentation de la sexualité. Les séquelles de l’excision psychique sont encore importantes pour les occidentaux nés dans les années 60, puis s’atténuent progressivement au fil des décennies.

Et qu’en est-il aujourd’hui ?

[gris]Jean-Claude Piquard[/gris]

[gris]Extrait du livre "les deux extases sexuelles, la jouissance et l’orgasme", publié avec l’aimable autorisation de l’auteur, aux Editions de l’Homme[/gris]

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Bibliographie

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[gris] L’école des filles ou la philosophie des dames, 1655, ré-édition La Musardine (2001), dans la collection Lectures amoureuses dirigée par Jean-Jacques Pauvert[/gris]

[gris] KOBELT, De l’appareil du sens génital des deux sexes dans l’espèce humaine et dans quelques mammifères, au point de vu anatomique et physiologique, en français édition Labé, 1851 CHAPERON Sylvie, Les origines de la sexologie, Ed Louis Audibert, 2007 [/gris]

[gris] ZAMBACO, Onanisme avec troubles nerveux chez deux petites filles, éd Solin, 1992[/gris]

[gris] MOORE Lisa. J., Clitoral Conventions and Transgressions : Graphic Representations in Anatomy Texts, c1900-1991, 1995, Feminist Studies, issue 21.2 REILHAC Michel, Polissons & Galipettes, DVD, éd Blaqout [/gris]

Commentaires (1)

  • Jessica

    Je n’avais pas pensé à cette idée de l’excision par l’absence de mots. C’est pourtant dingue à quel point nous en souffrons encore. Bien vu. Merci.