Les figues toutes crues

Le 02/01/2010

Dans un conte turc qui remonte à Mathusalem, un vieux sultan, jaloux de ses filles et probablement hanté par les affres de l’inceste, est changé en arbre parce qu’il se refuse à donner ses belles en mariage à leurs amoureux. Pour le punir, Dieu le transforme en figuier, porteur de deux belles récoltes annuelles de fruits appétissants offerts à tous les passants, et le prive désormais de tout plaisir et de toute possibilité physiologique d’éjecter sa sève blanche pour faire de nouveaux enfants (cassez une tige de figuier, si vous ne me croyez pas, et vous verrez le flot sous pression rejaillir). Ses filles se retrouvèrent de conserve transformées en figues, chair rose suggestive exhibée impudiquement, tentation pour la main et la bouche d’étrangers qui en abusèrent tous plus que de raison. Torturé et pétrifié, son tronc devint alors noueux de honte, de douleur et de remords, ses racines firent surface pour faire des croche-pieds aux passants, ses tiges érectiles poussèrent à tout-va et dans tous les sens, ses feuilles gigantesques tentèrent de cacher les pauvrettes aux yeux des gourmands… En vain. Elles se firent dévorer toutes crues sous ses yeux et les figues devinrent du même coup ce fruit mythique et religieux, chair intime, presque humaine, qui donne tant de plaisir aux sybarites, et aux autres, à une distance intime du péché.

Je ne sais pas si c’est dû à la jalousie maladive de nombreux pères, mais il existe aujourd’hui plus de deux cent cinquante espèces d’arbres produisant des figues, fruits aux noms plus chantants les uns que les autres : Barbillonnes, Barnisottes, Bourjasottes, Cols de dame blancs ou noirs, Coucourcelles, Sucrettes, Sultanes, vous voyez bien ! On en salive, on en rêve. D’autres font leur mea-culpa.

Je vais sûrement vous surprendre, mais de nos jours, il y a des tas d’autres pays hors la Turquie où l’on peut glaner tout au long de l’année de belles figues. Allez-y ! Même s’ils vident les bourses, les voyages forgent la jeunesse. Mais le plus dur, ça n’est pas de les trouver, les figues, c’est de les cueillir. Ramasser une figue vite et sans l’endommager est un acte proche du religieux, ça n’a rien à voir avec la récolte des pommes, des poires ou des scoubidous… C’est la cueillette la plus délicate de toutes et souvent les femmes y sont plus douées que les hommes, faut pas croire… Mais une fois la figue à portée de votre bouche, quel que soit votre sexe, vous n’êtes plus le même homme. Attention, les baies ne sont comestibles que lorsqu’elles sont gonflées et leur pulpe juteuse, une légère sécrétion transparente et sucrée perlant à leur base. Oui ! Il faut aller y voir. Certains gourmets trop impatients s’y sont trompés et sans tâter ont cueilli le fruit trop vert.

Moi, je suis du genre à attendre la dernière minute et je les préfère natures, grasses ou huileuses, quand la peau externe est foncée avec des reflets humides tirant sur le violet ou l’aubergine, et délicatement duveteuse, presque recouverte d’une invisible pellicule virginale. A la limite du spongieux. Quand là, vous savez pertinemment qu’elle est à deux doigts de se perdre, avec vous ou avec n’importe quel autre va-de-la-gueule... Je sais patienter pour ce moment hors du commun et suis capable d’en refuser une trop immature, une trop lisse, une trop sèche, une trop mince, trop verte ou pas assez crevassée. Bien qu’excessivement gourmand, sachez que toute figue n’aura pas les honneurs de mon bec. Obnubilé par leur fraîcheur, je ne peux également que rarement savourer celles cuites dans leur jus ou séchées à la Turque ! C’est pour moi toujours du second choix…

Pour les déguster, à cru, il faut y aller à pleine bouche car ce fruit de dieu saura naturellement épouser vos lèvres, ou vice-versa. Millimètre par millimètre, comme s’il était expansif et doué de vie. Lorsqu’elle est à point, une pression des deux pouces, pas plus forte qu’une caresse, fera ouvrir la figue en deux et vous dévoilera subito toute la beauté de la création, la seule qui fut capable de damner Casanova.

Observez : Le con de chose... Ne vous emballez donc pas et n’oubliez surtout pas la cédille en rêvant tout éveillé ! Espèce d’étourdi… On reprend…

Observez : Leçon de choses… Saviez-vous que la figue est un fruit composé ? Un fruit femelle au col allongé ? Un sycone si justement nommé, surtout lorsqu’elle est couverte d’un intime duvet blond ? Et vous doutiez-vous que ces timides filaments rouges qui composent sa chair intérieure sont en fait des fleurs, comme l’est le safran, stigmate de fleurs de crocus ? Oui, un vrai bouquet de fleurs à croquer qui n’éclosent que dans l’intime. De quoi rougir d’émoi et brûler éternellement d’amour. La figue est une couronne de fleurs céans, un petit jardin édénique bien en dedans. Une muqueuse secrète de muguet, de lys et de roses. Mais je sais que ça ne vous surprend pas et vous fait déjà remonter des tas de souvenirs palpitants.

Dégustons maintenant… A sa base, sous vos pouces, deux lèvres velouteuses, presque blanches, car blondes pulpeuses gorgées de soleil, s’écartent sur une chair rosée. Du rose le plus délicat à l’incarnat le plus sanguin. La couleur s’épaississant avec la profondeur. Je ne sais pas si vous visualisez bien mais dans mon imaginaire, c’est le chemin chatoyant du paradis. Un parfum capiteux, subtil et intérieur vous fait alors ouvrir les narines tel un zoulou reniflant un gibier. Mais ce qui est le plus excitant dans ce fruit en est la texture : un mélange de miel et de chair ferme, d’onctuosité fondante et d’émotions croustillantes, un puits de douceur moite et sucrée, un écrin à soies, un jardin à portée de main, un collier de perles liquides de chaleur intime mais aussi de fraîcheur stimulante. Juste de quoi vous mettre l’eau à la bouche et l’envie aux tripes… Certains ont d’étranges idées à force de les reluquer, mais je crois que c’est dû à l’excès de glucose plus qu’à l’effet des couleurs ou de la matière, peut-être à une chaptalisation trop précoce. Ou bien à une spéculation débordante si on s’excite trop… Mais gardez votre calme. Vous l’avez en main.

Sans trembler, prenez donc le fruit écartelé à son maximum et portez-le à vos lèvres. Doucement. Il ne faut en aucun cas le mordre ou le peler, erreur de débutant ! Oubliez vos dents ou faites-les velours. Ne jamais laver une figue, non plus, sa peau est trop fragile et son goût authentique jouerait la fille de l’air ! Une figue doit avant tout avoir goût de figue. Astiquez-là plutôt d’une légère caresse. Pensez à saliver un peu avant pour bien diluer les saveurs, si vous avez comme je le suppose la bouche sèche, qu’elles envahissent votre palais, que le mélange se fasse immédiatement sur toute la surface de votre langue, papilles réceptrices déjà en alerte, prêtes au meilleur. Maintenant, collez-y votre langue intimement, en la sortant légèrement, pointue et investigatrice, comme si vous vouliez fouiller ses entrailles et y panacher votre organe… Faites-la bien dure et épaisse, faites-la bien pénétrer au sein de la pulpe, loin… Poussez encore un peu et fermez les yeux… Bougez-là doucement… Non ! Dans l’autre sens… Changez encore ! Là… N’est-il pas à deux doigts le bonheur ?

Quand le fruit a donné en intimité tout son jus et tout son sucre, j’aspire une partie de la chair qui m’a procuré tant de plaisir, la pinçant goulûment de mes lèvres. Mais je ne finis jamais la figue complètement car son coeur est mille fois plus jouissif que son emballage. Certains ne peuvent se refréner et s’y attardent. Pas moi. C’est pourquoi, une fois mon plaisir pris, et bien pris, je ne finis jamais le fruit, en pensant qu’après moi il pourra faire encore un autre oiseau heureux. J’essuie alors mes lèvres, d’un revers de main généreux, bois un bon verre de vin rouge, du syrah de préférence, que j’aime associé au grenache dans les sublimes Chateauneuf du Pape (au fait, une variété de figue est appelée Couille du Pape, dites-moi la raison…), et je me mets en quête d’une autre figue à point, joli fruit truculent dont je m’occuperai bientôt, amoureux fou de la vie.

Au fait, j’ai cent fois noté que les vieux figuiers me regardaient franchement de travers. Allez donc savoir pourquoi…

[gris] Georges Faim[/gris]

Commentaires (3)

  • Anonyme

    Hi, hi, hi ! Très original.
    En fermant les yeux, on s’y croirait. Mais ... dans quelle sorte de figue ???
    Je m’en délecte aussi.

  • Ziza

    Euh, une fantasme de femme écrit par un homme ? Je ne comprends pas. En tout cas c’est joli et sensuel mais beaucoup trop imagé pour moi. J’ai besoin de mots plus concrets.

  • nsBKqfBugGIppEO

    Je pensais plus e0 Fu Manchu pour le bellit sur l’immobilier.Courrouce9, il re9cuse le fait que plus de 90% des milliardaires chinois sont enfant de hauts fonctionnaires. Je lui sors une e9tude venant d’organisimes qui n’ont pas l’habitude de secouer les proches du gouvernement. Il va nous chercher le palmare8s Forbes. Effectivement, sur les quelques noms que je connais, pas un n’est fils de fonctionnaires, mais pour les 99% autres, je ne sais pas. Ide9e e0 suivre, faudrait-il ve9rifier ? cette e9tude ne gonfle pas les chiffres ? Si oui, pourquoi ? Etc Le postillon, oui c’e9tait n’importe quoi.