Butins et cætera - chapitre 14

Le 30/07/2009

Élan textile

L’annonce de l’inauguration de l’échoppe ripolinée fut encartée pleine page en grandes pompes dans les feuilles de réclame locales. Chaque marque de prestige y alla d’un gentil mot doux pour se mettre à la colle. La Perla aguichait en guipures de dentelle ; Dior en tulle maille rebrodé de roses rouges, Laurence Tavernier suggérait de lever le voile en courtelle et ratine, Ravage bêchevetait en courtine et ratelle… Alors, les invités s’y étaient pressés, trinquer à la gloire du bel étal à froufrous. Les échantillons faisaient l’article à plat sans pli et couture, sur le chêne ciré d’une antique commode à gâteries. Les chalandes caressaient, pelotaient et froissaient, projetaient le compliment à la volée, « voilà sous ces apprêts un corps façonné par la grâce d’un Giaccometti ». Les friselis s’amoncelaient, les érections prenaient leur élan.

- Je vous remercie toutes et tous d’avoir répondu avec tant d’allégresse et d’entrain à mon invitation. Il m’emballe d’offrir aux sens de mes plus fidèles clientes et clients la primeur des nouveaux contours et attributs de mon échoppe. Votre présence fonde mon combat. J’ai bravé les intempé…
- Ries, chantonna Leslie Figue pour donner le ton.
- J’ai esquivé les fourbes filoute…
- Ries, poursuivit Fiona Pomme.
- J’ai combattu ferme, tétons et clito…
- Ris, hihihi ! s’acoquina dans un même élan la foule.
- Bec et ongles, traduisit Mic lacée à l’oreille de sa voisine ;
- J’suis d’ac’ de tordre le cou à ces vieillottes tournures.
- Vous là ! fit Mic.
- On m’a légué l’invitation contre bisous, répondit Éléonore Taffèle.
- Une femme ?
- Un homme, non ! Les femmes sont moderato à mon goût ! J’aime les hommes et peu importe leur date de naissance.
- Votre cul n’a guère revu sa posture depuis hier. Couvert ou à nu, il malmène et détraque mes certitudes. Et mon Angélina qui n’a toujours pas retrouvé le chemin de la maison. Elle me manque.
- Toujours, oui !
- On vous a encore dit des choses ?
- …repoussant sans faillir, les assauts de ces commerciales, contemptrices incorruptibles du maintien avec vice et artifice, suppôts de la dentelle à l’esbrouffe et de l’inChine échancrure en charpie. Elles ont filé leurs démarches en périphérie. Elles ne croiseront plus la remise dans le bourg. Bas, jarretelles, body et guêpières, gaines et rengaines, collants et culottes de ce design et luxueux acabit, fit-elle oh !hissant sa jupette à la taille, papillonneront là à perpète entre tringles et gondoles, présentoirs et tourniquets.
- Oh, oh, que c’est beau ! fit la foule attendrie.
- J’veux la même.

La coupe de la frêle culotte laissait clairement entendre que la boutiquière avait pour habitude de ne faire aucune concession à quelque débordement que ce soit. Sous couvert de port d’excentriques dessous, elle trahissait un rigoureux souci de l’ordre.
- J’veux presque la même, une qui serait légèrement plus échancrée à l’entrejambe qui napperait oisivement mon doux sexe et qui voletterait au moindre souffle bovin d’un éphémère amant, faisant ondoyer et duler mes lèvres, les petites et les grandes.
- La gamme est large, madame. Il n’est guère de boutiques dans le bourg et au monde qui peuvent s’enorgueillir de satisfaire dans l’instant les moindres désirs.

Carmine O’Coke, demoizelle contractée juste pour ce jour de fête, tira une chevillette, une bobinette chut et contrepesa sur la jupette qui se plia accordéon. C’était exactement la culotte quémandée qui nimbait le corps plein de grâce de l’hôtesse d’occasion. Elle en fit l’article.
- C’est d’la belle de Calais qui hélas se meure. D’la dentelle du Nord dont la vie ne tient plus qu’à peu de fils ! Regardez et laissez-vous séduire. On contrefait, on avilit la belle ouvrage. Il y a trop belle lurette que l’on entremêle à l’économie pour entretenir l’illusion du luxe. C’est comparer les élévations de la Sainte-Chapelle aux fades et austères corniches de la neuve basilique de Saint-Quentin-en-Yvelines, lézardée dès ses primes signes de vieillesse. Trouve la Leavers, enjoignit-elle, dentelle à l’antique, centenaire pour le moins, cent vingt fils tissés, les nouvelles machines tricotent à soixante-six, vingt-quatre étapes de fabrication, intervention d’une quarantaine de métier, dix ans pour qu’un ouvrier maîtrise la bécane. Aujourd’hui on brode. Fastoche ! Trouve la Leavers, répéta-t-elle. Hakim Cartère leva le doigt et accepta de se glisser dans les jupes des dames pour tester à l’aveugle. Il s’y plongea dans un silence cathédrale.

Une lèvre buissonnière, drôlement reléguée au ban d’une culotte à la merci d’une fente carnassière, minaudait. Hakim la caressa machinalement puis tira sur le bout de dentelle pour l’en recouvrir et mettre un frein à son érection. En vain.
- Les là la Calais ! triompha-t-il. Il bénit la toile d’un baiser. Mauvaise pioche une nouvelle fois. Hakim avait l’impression, les regards des unes et des autres dans le sien, d’avoir signé encore un peu plus l’arrêt de mort de la dentelle de Calais.
- Non monsieur, c’est ma collaboratrice qui porte l’ancestral tissage.
- Avec les doigts, j’m’aurais pas gourré, dit-il pour sauver sa peau et les milliers d’emplois à la clé.
- Prouvez-le, le tança-t-on. Les deux candidates firent volte face dans leur cabine d’essayage, mélangèrent les culottes et lancèrent un nouvel appel à compétition. Hakim glissa, à tour de rôle sa tête, yeux bandés d’une jarretière maritale, sous les jupes. Il ne me fallut pas plus de trois secondes pour pointer recta la fibre convoitée.
- Là, fit-il
- L’homme n’a point d’langue mais a du doigté fit la patronne sous la clameur. L’échoppe se vida de son beau linge. Carmine O’Coke toucha son dû et choisit une parure complète de son choix, comme stipulé par contrat. Elle s’en retournait, au bras d’un grand gaillard, à ses équations de mécanique quantique et études de Miss France, à moins qu’elle ne traverse mers et océans pour ramasser très court vêtue, payée à la pige et aux points d’audimat, les balles sur les courts de tennis des tournois du grand chelem. Irène freina in extremis Hakim Cartère par la main, non, ne partez pas, restez encore un peu.

Camomille Belleplante