Les fantasmes

Le 15/01/2010

Les renouveler, les transgresser, les étouffer, les divulguer, les enterrer, les assumer, les fuir, les chercher. Ah les fantasmes ! que d’attitudes possibles à leurs égards. Une seule vérité : le fantasme est une terre de liberté.

L’élément essentiel à notre sexualité, c’est notre cerveau. Il est notre plus gros organe sexuel. On peut même parvenir à l’orgasme en rêvant, il est l’unique déclencheur, l’unique maître de nos émotions. Le lâcher prise ne peut venir que de lui. Car ce que notre cerveau stocke dans notre inconscient et qui peut surgir de façon impromptue au travers des rêves ou des fantasmes, peut autant amener à la jouissance que la bouleverser ou la bloquer.
Si le rêve ne se contrôle pas, le fantasme, lui, se construit et se façonne éveillé. Etant quelquefois saugrenu par rapport à ce que nous autorisons, il peut être difficile d’accepter ses fantasmes et de s’y laisser aller, ils témoignent d’une part de nous-mêmes très enfouie, et parfois parfaitement inconnue de notre conscient éveillé. Cela peut être très déroutant de se surprendre à s’imaginer nue, se livrant à toute une caserne de pompiers, ou fantasmant sur le fils de la voisine. Les fantasmes débarquent sans prévenir à l’adolescence et accompagnent la découverte du corps et la masturbation, puis ils évoluent et s’épanouissent tout au long de notre vie sexuelle. Ils sont le meilleur reflet de nos désirs inconscients.

Le moteur du désir

Les fantasmes sont l’un des principaux moyens de maintenir l’activité sexuelle au beau fixe. Pas nécessairement en les réalisant (car alors ils perdent leur statut de fantasmes), mais simplement pour s’ouvrir au renouvellement du désir.
Les définitions du mot « Fantasme » que nous trouvons parlent toutes de production : « Production psychique imaginaire correspondant à l’expression d’un désir », « Production de l’imaginaire par laquelle le Moi cherche à échapper à l’emprise de la réalité ». Pour parler clairement, le fantasme consiste à prendre nos désirs pour la réalité…Imaginer une scène dont le scénario est élaboré, et s’immerger dans cette pensée comme dans une réalité, ce qui déclenche une stimulation sexuelle, provoquant désir et plaisir.
Le fantasme fait partie de notre vie sexuelle. Dans la masturbation, c’est un élément moteur. Dans le rapport à l’autre, le fantasme n’est pas toujours présent, mais nombreux sont ceux et celles qui en ont besoin pour arriver à la jouissance, ce qui est indépendant de la relation à l’autre. Le plus souvent, les partenaires ne s’avouent pas avoir recours à des fantasmes pour parvenir à l’orgasme. Mais il arrive aussi qu’ils aient du plaisir à se raconter ce qu’ils imaginent et à partager leurs fantasmes. Certains aiment à imaginer des scènes très précises pour arriver jusqu’à la jouissance, parfois toujours la même, parfois très différentes les unes des autres.
Agathe, 29 ans, esthéticienne à Paris, nous confie qu’elle ne comprend pas du tout son fantasme récurrent. « Lorsque nous faisons l’amour avec mon mari, j’ai besoin de l’entendre me raconter des scénarios, des histoires dans lesquelles il a des relations sexuelles avec d’autres femmes. Mais je suis pourtant très jalouse ! Je ne comprends pas pourquoi le fait de l’imaginer avec d’autres femmes m’excite autant lors de nos rapports sexuels, alors que dans la réalité, cela me dégoûterait. En y réfléchissant, je me suis dit que c’était sans doute que j’avais un côté « voyeur », et que peut-être le fait de lui donner l’autorisation de me raconter des histoires imaginées avec d’autres femmes, lui enlèverait l’envie de le faire pour de vrai. Mon mari éprouve lui aussi du plaisir à répondre à mon fantasme, parfois cela m’inquiète, je me dis, il doit vraiment en avoir envie pour être aussi précis, mais la plupart du temps, ça me rend dingue, tout simplement ».
Lorsque l’on aime, la jalousie peut être un vrai moteur d’excitation. Autant la jalousie peut être destructrice dans la vie réelle, autant peut-elle être un véritable moteur à l’état de fantasme.

Notre seul véritable espace de liberté

Tout le monde fantasme. Pourtant, tout le monde n’a pas l’impression de fantasmer. Car les fantasmes, même s’ils provoquent l’excitation sexuelle, ne sont pas forcément d’ordre sexuel. Certaines femmes fantasment pendant les rapports à propos de l’amour qu’elles portent à leur partenaire, ou de l’amour qu’il est sensé leur porter. Cela les met en émoi mais elles n’auront pas l’impression de fantasmer…
Les fantasmes sont de tous ordres. Du plus simple (coucher avec son patron), au plus sophistiqué (être une sublime amazone chassant les très jeunes hommes et les tuant après en avoir extirpé la sève). Et si l’on y est réceptif, ils permettent, comme la masturbation mais d’une façon différente, d’affiner notre propre quête du plaisir. Ils nous permettent de savoir quelle sexualité nous correspond le mieux (soumise, violente, volage…), et par conséquent, quel partenaire nous correspond le mieux.
Les fantasmes sont notre seul espace de liberté, inviolable, infranchissable. Les variables du fantasme sont infinies, mais il y a des tendances. Selon un sondage (source Francoscopie 2003, Gérard Mermet, Larousse). Les fantasmes récurrents chez les hommes sont faire l’amour dans la nature (53%), être initié au sexe pas une femme sans tabous (37%), Faire l’amour avec deux femmes (36%), faire l’amour avec une inconnue sans se parler ni se revoir (29%), ou avoir un harem prêt à assouvir tous ses désirs (27%). Chez les femmes : regarder un couple faire l’amour (32%), regarder deux femmes faire l’amour (14%), faire l’amour à plusieurs (11%), avoir une relation avec une autre femme (10%). Si ces fantasmes sont relativement sages, d’autres peuvent troubler car ils sont choquants, interdits, transgressifs. Mais y a t-il souci à fantasmer dans la transgression ?

Transgressions, interdits, le seul endroit où tout est possible

Certaines personnes développent une culpabilité lorsque leurs fantasmes sexuels sont déviants, pervers, inquiétants. Mais, nous dit la sexologue Mireille Dubois-Chevalier « se poser la question de savoir si l’on est fou parce que nos fantasmes sont transgressifs, revient à se demander si l’on est fou parce que l’on rêve d’être riche. Tant que l’on ne se prend pas pour Crésus dans la réalité, tout va bien. C’est exactement la même chose pour les fantasmes. Tant que l’on sait que ce ne sont que des fantasmes, tout va bien. Si l’on s’inquiète, s’il y a une souffrance ou une obsession par rapport aux fantasmes, les choses sont différentes. La normalité, c’est de ne pas souffrir. Si l’on a mal, c’est exactement comme pour l’organisme, c’est un symptôme d’alerte. Et il est préférable d’essayer de comprendre et de consulter ».
La littérature libertine en est un bon exemple. Nombre de livres mettent en scène des personnages pervers et l’issue ne fait pas forcément triompher la morale. Le Marquis de Sade, Pierre Louÿs ou Gabriel Matzneff ne sont ni incestueux, ni violeurs, ni criminels, ni pédophiles. Mais leurs œuvres décrivent des personnages confrontés à ces désirs inavouables. Nos fantasmes sont comparables à ces romans sulfureux. Nous pouvons fantasmer le pire. Le fantasme, comme les fictions de tous ordres (cinéma, théâtre, littérature), jouent un rôle que les Grecs nommaient Catharsis (purification) : En imaginant crimes, passions criminelles ou perversions sexuelles, en transgressant, c’est à dire en refusant de respecter un interdit, on affirme et accepte les règles établies même si cela paraît être tout à fait paradoxal. Pourtant lorsqu’un interdit disparaît, la transgression aussi.
Si l’ordre social délimite dans un cadre ce qu’il est possible ou non de faire, il faut se rappeler que les curseurs de cette morale varient constamment avec les époques. A titre d’exemple, il est interdit aujourd’hui d’avoir une relation sexuelle avec une personne de moins de 15 ans (âge de la majorité sexuelle en France), quand il était autrefois courant de marier les enfants vers l’âge de 12 ans.

Réaliser ses fantasmes ?

Il est parfois difficile de faire la différence entre le fantasme, et la simple expression d’un désir qu’on aimerait assouvir. Si l’on fantasme sur la fessée par exemple, que l’on ait envie d’être fessée ou de fesser notre partenaire, il s’agit plutôt de l’expression d’un désir facile à assouvir. Il suffit de pouvoir l’exprimer. Imaginer en revanche que l’on fait l’amour avec une personne non consentante, un membre de sa famille, un mineur, etc, est une autre histoire.
Certains fantasmes sont possibles à assouvir (« actualiser » ses fantasmes disent les spécialistes), mais il faut simplement garder en vue l’idée qu’un fantasme assouvi en générera un autre, qui a priori devrait être plus complexe que le précédent, car encore une fois, le fantasme est une nécessité vitale.
Se retrouver à l’hôtel pour faire l’amour clandestinement ne fera de mal à personne. Utiliser des jouets, créer des situations inattendues, s’attacher, regarder ensemble des images ou des films érotiques ne posera aucun problème tant que ces fantasmes sont acceptés par le partenaire. En revanche, lorsque l’autre est forcé dans une aventure qui ne lui correspond pas, cela présente des risques de traumatismes.
C’est ce qu’a vécu Sylvie, 46 ans, pharmacienne. « Cela faisait un moment que mon mari me parlait d’expérience échangiste. Il voulait m’emmener dans une boite spécialisée. Je n’étais pas très chaude, mais l’idée de voir les autres m’excitait quand même. Un soir, mon mari a invité l’un de ses collègues à dîner avec sa femme. J’ai compris très vite que ce collègue fréquentait souvent ces endroits (...) avec mon consentement, nous avions décidé d’y aller le soir même. Dans la voiture, je me collais comme une chatte à mon mari, comme pour dire, il est à moi. Une fois sur place, dans une atmosphère sombre et théâtrale, je découvre un univers étrange, où des couples se caressent sur des canapés tandis que d’autres s’enfoncent dans des couloirs. Je voyais monter l’excitation de mon mari. Je n’étais pas insensible à ce spectacle, mais une peur panique m’avait envahie. Tout d’un coup, je m’aperçus que mon mari avait disparu.(...) Puis je le vis. Un coup au cœur, une déflagration, je ne sais pas comment dire, le vide, le gouffre…Il avait la tête entre les cuisses d’une fille et était en train de la lécher goulûment… Cette intimité avec une autre, ce désir effréné, m’a donné la nausée. Je me suis enfuie, le laissant à ses jeux dégoûtants et pervers. ». Le fantasme exige, pour être réalisé, une acceptation parfaite et totale des deux partenaires. De très nombreuses femmes acceptent de se prêter aux désirs de leur partenaire sans les partager, pour faire plaisir, ou par peur de les perdre. Ces solutions ne sont pas pérennes et risquent de laisser des blessures.
A l’inverse, « entre adultes consentants » il y a un vaste champ du possible et de l’expérimentation, qui peut ouvrir sur de nouveaux plaisirs et surtout renouveler le plaisir.
Certains sont passés maîtres dans la réalisation de leurs fantasmes, s’épanouissent dans des sexualités différentes, parfois si spéciales qu’elles ne concernent que peu d’adeptes.

Les sexualités différentes

Lorsque les rapports de couple deviennent répétitifs ou ennuyeux, certain(e)s espacent les relations avec le partenaire jusqu’à ce qu’elles s’étiolent complètement, d’autres vont voir ailleurs. D’autres enfin renouvellent le plaisir par le jeu ou se tournent vers des plaisirs qui alimentent la presse et notre curiosité, mais qui en réalité ne concernent que 2% ou 3% de la population française. On appelle ces pratiques sexuelles différentes, des paraphilies. Elles comprennent aussi bien la pédophilie que l’échangisme ou l’acomoclitisme (attirance sexuelle pour les pubis rasés), on comprendra qu’elles ne peuvent s’évoquer qu’une par une, n’étant pas du tout sur le même registre du point de vue de la loi.
Dans son livre « Le sexe bizarre » (éditions du Cherche Midi), Agnès Giard, a enquêté sur toutes les pratiques sexuelles étranges. « A force de les découvrir, j’en suis venue à penser que la libido humaine pouvait s’emparer des éléments les plus innocents de la vie quotidienne pour en faire les instruments d’une érotique féérie, écrit-elle (…) Rien n’est sacré. Et les super héros de bandes dessinées, comme les icônes religieuses sont les premières victimes de cette propension universelle, presque blasphématoire à détourner les choses de leur destination première et à les convertir en objets de désirs (…) Ces tribus ne rassemblent parfois que quelques dizaines d’individus. (…) Je croyais en l’existence d’une contre culture regroupant pêle-mêle tous les exclus du système dominant et j’ai finalement rencontré autant de machos conformistes parmi eux, ou de tranquilles femmes au foyer, que d’individus réellement en rupture avec les normes morales de la société (…) Maîtres de leur univers, ils construisent autour de ce qui, pour nous, paraît parfaitement ennuyeux ou inepte, une aventure dont ils sont les héros ». La diversité des propositions est très vastes mais quelques exemples méritent d’être évoqués : les « pédals pumpers », les amoureux des femmes au volant, qui ne trouvent leur plaisir qu’en regardant les pieds d’une femme sur un accélérateur de voiture ( plus particulièrement des souliers à talons blanc sur les pédales d’une corvette 1959…), ou les « rubbers lovers » qui communient dans l’amour du latex. Lors de bals très spéciaux, ils arborent des tenues de héros de Comics, ou de type sado masochiste, ou les corps, entièrement recouverts de latex, nécessitent un masque à gaz pour respirer. (...) Certains aiment se faire mettre sous vide à l’aide d’une machine spéciale inspirée des systèmes d’emballages industriels, ne respirant plus que par un tuyau, d’autres sont ivres de désir en voyant leur femme en plein ménage, s’immobiliser soudainement le balai à la main en entendant la phrase magique « un, deux, trois soleil ! ».

Les jeux de rôle

Si les pratiques précédentes concernent un petit nombre de personnes, les jeux de rôles sont eux un moyen plus facile de rompre la monotonie des rapports. Ce qui est important dans le jeu n’est pas tant le jeu en soi, que la mécanique cérébrale de sa préparation et l’excitation qui le précède. Entrer dans la peau d’une autre le temps d’un jeu c’est aussi se permettre de dire et de faire des choses que nous n’oserions pas dire ou faire dans d’autres circonstances. Dans la peau d’une autre, nous pouvons sans gêne demander une fessée, une pénétration anale, ou n’importe quelle chose hors de notre quotidien, d’une façon qui ne prête pas à conséquence.
Julie a 48 ans. Elle habite dans le Var, est infirmière. Depuis des années, son fantasme reste dans le domaine médical : elle s’amuse avec son mari à jouer à la patiente séduisant son médecin. « On adore tous les deux jouer à ce petit jeu. On prépare tout minutieusement, dans les moindres détails. Il est toujours médecin, et je suis toujours patiente, mais nous changeons de domaine presqu’à chaque fois. Mon mari est tour à tour dentiste, gynécologue, généraliste, masseur, psy, proctologue, radiologue, ou chirurgien. On a aménagé une pièce à la cave. On a même acheté un fauteuil de dentiste dans une brocante, un brancard. Je m’habille dans des styles très différents, de nue sous mon manteau, à jean- tennis ou dessous affriolants, j’essaye toujours de le surprendre. On prépare tout par mail et à partir du moment où c’est fixé, je ne pense plus à grand-chose d’autre. Même quand on fait l’amour avant la date fixée, on s’en parle pendant les rapports. Lorsque le jour arrive, le scénario ne varie pas beaucoup. Je frappe à la porte, il vient m’ouvrir, il m’examine, et c’est parti ! Nous changeons de personnalité à chaque fois. Je peux être tour à tour soumise, faussement timide, ou salope, et lui aussi. Ca peut durer des heures. Mais nous rêvons tous les deux de réaliser notre fantasme dans un vrai cabinet médical, un vrai siège de dentiste ou un vrai cabinet de gynéco (mon scénario préféré…). Quand je me prépare, je me caresse en pensant à notre prochain rendez-vous, et je sais que lui aussi."
Si la complicité sexuelle à une fonction déterminante dans le rapport à l’autre, les fantasmes (partagés ou non) et la réalisation de jeux sont deux matrices qui permettent de régénérer désirs et plaisirs pour soi comme pour son partenaire.

[gris]Béatrice Baumié, Aurélie Galois, Sophie Bramly[/gris]
Extrait du livre "L’orgasme on s’en fout, éloge du plaisir féminin", Editions Fetjen

photo © Thierry Morvan - Fotolia.com

Commentaires (6)

  • Fina

    J’ai toujours cru qu’il ne fallait pas réaliser ses fantasmes ?

  • Marie

    Confirmez-vous vraiment que l’orgasme peut venir en rêvant ? Cela m’est arrivé cette semaine justement et je ne parviens pas à savoir si c’est le cerveau qui m’a envoyé cette information ou si mon corps a vraiment vibré sous un orgasme. Troublant.

  • Sophie

    Oui, je vous confirme que l’orgasme peut tout à fait venir en rêvant. Le cerveau est bien notre plus puissant organe sexuel...

  • claire

    de toute façon moi je penserais toujours qu’il y’a des fantasmes qu’ont peut réaliser, d’autres non parce qu’elles peuvent étre malsaines (comme le témoignage de cette femme qui as parlé du fantasme de son mari de l’échangisme)
    C’est vrai que sa peut étre un stimulant des fois mais contrairement a se que l’on dit dans les magasines féminin tous ne sont pas bon a réaliser.

  • YdcivPGrqgQzKjhxcR

    Ya learn something new eevyrday. It’s true I guess !

  • Kayla

    Vous etes sur que les fantasme deviants sont normaux si ils ne nous attirent pas dans la realite ?? J’en ai et ca me fait peur comment peut on fantasmer sur une chose qui dans la realite nous degoute ? C’est mon cas et je ne comprends vraiment pas...