Les chromosomes mixtes de Guillaume Gallienne

Le 03/06/2014

Il est heureux que des hommes soient assez à l’aise avec leur genre pour jouer de la porosité qu’il y a avec le genre féminin, révélant comme une autre partie de soi-même. Guillaume Gallienne est assurément de ceux-là et Denis Podalydès, qui le met en scène dans un admirable Lucrèce Borgia, certainement aussi.
Il faut voir Gallienne entrer sur scène le torse nu, sans maquillage, avancer en équilibre sur des planches que ses servantes avancent au fur et à mesure de ses pas, pendant qu’il fait doucement remonter les manches de sa robe, pour comprendre à quel point le travestissement ne nécessite aucun accessoire, mais tient à un regard, un geste, une ponctuation du silence.
Mis en scène dans ce classique de Victor Hugo, Gallienne ne pose pas ici la même interrogation que dans "Les garçons et Guillaume, à table !". La question n’est pas celle d’une mère qui doute de l’hétérosexualité de son fils, mais celle d’une femme (dont la libido est aussi vivace que celle d’un homme, qui s’arrange de l’inceste, qui tue avec la même facilité d’un guerrier sur un champ de bataille), dont le taux de testostérone s’effondre quand pointe son talon d’Achille : elle vacille tant les émotions sont tendres à la vue de son fils.
À l’heure où l’on défend la femme en continuant à parler de "sexe faible", il est particulièrement excitant de voir un homme jouer avec ces forces contraires, se régaler d’être un tout et non une moitié.
Il est tout aussi remarquable que le rôle du fils et objet de son amour, Gennaro, soit joué par une femme : Suliane Brahim. La fougue, l’impétuosité du jeune homme prompt à défendre honneurs et idéaux l’épée à la main est mise en scène avec la même simplicité ; aucune ingéniosité particulière n’est requise pour jouer l’autre genre, un pantalon, une chemise et une bonne dose de panache suffisent à sentir la fébrilité, à faire palpiter la violence latente, l’engagement à tout prix.
A voir absolument, pour se souvenir que la force n’est que l’autre versant de la fragilité.
A voir aussi tout simplement parce que le spectacle est magistral.

Lucrèce Borgia<br/> De Victor Hugo
Comédie-Française
1 Place Colette, 75001 Paris
Tel : 0825 10 16 80
Jusqu’au 20 juillet 2014