La Rumeur

William Wyler

Le 29/06/2009

Première scène ensoleillée : l’une derrière l’autre des fillettes en vélo regagnent le pensionnat dirigé par deux amies qui se sont connues à l’université, Karen Wright (Audrey Hepburn) et Martha Dobie (Shirley Maclaine), secondés par la tante de celle-ci, Lily (Miriam Hopkins). Martha, aussi blonde qu’est brune Karen, a toujours repoussée les hommes et voue une « dévotion insensée » à son amie. Elle se rappelle l’illumination qui la saisit au premier regard : « Quand je t’ai vue courir dans la cour, les cheveux lâchées, je me rappelle avoir pensé : comme elle est jolie. »

Cette grande bâtisse blanche avec jardin, toboggan et balançoires, est leur rêve conçu à deux. Entre cours de français et récitals de piano, les gamines s’y plaisent à l’exception d’une petite peste nommée Mary. Celle par qui le drame va s’enclencher. La cause du paradis perdu ? L’enfant, menteuse par revanche. L’intrigue de La Rumeur de William Wyler, inédit en France depuis 1962, tient sur une feuille de papier. Tirant parti d’indiscrétions légères, l’élève insolente raconte à sa grand-mère que les institutrices sont amantes. Le poison de la rumeur se propage et corrode tout. Les parents retirent les enfants de l’école, les deux femmes ne peuvent plus sortir de chez elle, le mariage de Karen avec un docteur est compromis…

Huit ans après Vacances romaines qui lui a valu l’Oscar de la meilleure actrice, Hepburn retrouve William Wyler alors qu’elle vient d’incarner la fantasque Holly dans Diamants sur canapé de Blake Edwards. Ici sa partition est sobre, sans effets ni relief. Karen Wright tient de la fille sage et loyale. Après quoi, Audrey Hepburn tournera Deux têtes folles, Charade puis My Fair Lady, le chef d’œuvre de Georges Cukor. Autant dire que La Rumeur apparaît comme une parenthèse dans sa carrière. Une bizarrerie, aussi, en apparence, dans la filmographie de William Wyler habitué aux superproductions. A cette date c’est le cinéaste distingué par une Palme d’or pour La Loi du seigneur (1957) et onze Oscars pour Ben Hur (1959). Décors grandioses, films à costumes quand La Rumeur est quasi confiné en intérieur.

Lorsqu’il le tourne entre mars et juillet 1961, il s’agit d’un remake de sa première adaptation de la pièce The Children’s Hour (titre original du film) de Lilian Hellman. Laquelle s’est inspiré d’un fait-divers. En 1810, une élève d’Edimbourg avait accusé ses deux maîtresses d’homosexualité. La pièce connaît un grand succès à Broadway mais est interdite à Boston, Chicago et Londres. La compagne de Dashiell Hammett se voit refuser le Prix Pulitzer et figure plus tard sur la liste noire de la Commission des activités anti-américaines. Lorsqu’il s’empare du sujet, William Wyler doit contourner le Code Hays, manuel de censure cinématographique imposé à Hollywood depuis 1930. Résultat, nulle mention de la pièce dans ce film intitulé These Three, nulle évocation même voilée d’homosexualité féminine. La trame est déguisée en classique triangle amoureux. En 1961, William Wyler entend livrer une seconde version plus fidèle à la pièce.

Plus d’ambigüité, cette fois, dans la nature de la rumeur même si au début, celle-ci ne se dit pas à haute voix, murmure de la jeune affabulatrice à l’oreille de sa grand-mère, dialogue entre un père d’élève et Karen dans l’allée de l’institution filmée de l’intérieur de la maison. La Rumeur relève de la tragédie en noir et blanc. Comme toute fiction ancrée dans une petite ville où les cancans sont délétères, il faut une victime expiatoire. Comme dans les films effleurant alors le thème de homosexualité, le gay ou la lesbienne est sacrifié(e). Didier Roth Bettoni le note dans L’homosexualité au cinéma (éd. La Musardine, 2007) : « La mort est au bout du chemin. »

Cependant le film de William Wyler marque un tournant dans la représentation du saphisme. Le coming-out final de Martha n’entache pas l’amitié de Karen. Toutes deux sont féminines, quoique sans coquetterie. Ce qui diffère des travestissements adoptés par Marlene Dietrich dans Morocco et Greta Garbo dans La Reine Christine. Nommé cinq fois aux Oscars, La Rumeur ouvre la voie à d’autres personnages de lesbiennes dans les années 1960, qu’il s’agisse de Margaret Leighton dans Frontière chinoise de John Ford, Candice Bergen dans Le Groupe de Sidney Lumet ou encore de Beryl Reid et Susanah York dans Faut-il tuer Sister Georges ? de Robert Aldrich.

[gris]Macha Séry[/gris]

[gris]Ce film inédit en salle depuis 1962 ressort le 8 juillet 2009[/gris]