Du Sexe et des Mots

Le 22/04/2009

La liaison qu’entretiennent le sexe et les mots est en perpétuelle évolution. Les mots écrits, les mots dits, les mots entendus. Le pouvoir des mots est immense. Ce n’est pas un hasard si les seuls outils qu’utilise la psychanalyse pour soigner, sont justement les mots... Et le pouvoir évocateur des mots a un impact immédiat sur nos cerveaux, premiers relais de notre sexualité. La littérature érotique, à qui Second Sexe fait la part belle, en atteste. Pourquoi cette alchimie entre les mots et le sexe ? Comment peut-on l’expliquer ?

Le langage, un acte corporel

Le langage est un acte corporel, produit par des corps, entre des corps, avec des conséquences sur eux. Dans le Pouvoir des Mots, Judith Butler étudie les préjudices que peuvent causer les mots aux personnes (notamment en rapport à leur sexualité). En effet, les mots provoquent parfois de véritables symptômes physiques. Pour les décrire, nous employons le champ lexical du corps. Nous sommes « blessé(e)s » par des maltraitances verbales, mais aussi « touché(e)s » par des remarques bienveillantes ou « excité(e)s » par une parole sensuelle : « Certains mots ou certaines façons de s’adresser à autrui peuvent menacer son bien-être physique, mais son corps peut, au sens fort, être alternativement fortifié ou menacé par les différentes manière dont on s’adresse à lui ». Nous savons également qu’un conflit de l’esprit peut s’imprimer sur le corps à travers des pathologies plus ou moins invalidantes, témoignant de la relation étroite faite de mots et de maux entre soma et psyche. La psychanalyse montre qu’entre le latent (domaine de l’inconscient, du refoulé) et le manifeste (domaine de la réalité, du Moi, du codé) il y a toujours un récit, quelque chose que nous nous racontons à nous et à la société, sorte de travestissement de l’inconscient par les mots pour ne pas tout à fait divulguer la vérité de nos pulsions. La psychanalyse remonte le courant des fabulations psychiques (notamment par l’association libre à partir d’une image ou d’un mot) jusqu’à la source où foisonnent pulsions, fantasmes, angoisses, pour déjouer les tours de l’inconscient. En matière de thérapie, la psychosomatique privilégie quant à elle la relaxation profonde du corps pour assouplir le mental. Dans le Corps libéré, Suzanne Képès revient ainsi sur ses années de pratique auprès de patients souffrant de symptômes sexuels. Vaginisme, impuissance… Elle raconte comment à mesure que l’on « se détend », l’équilibre mental revient, et, surprise, on redevient capable de « se dire »… et de jouir.

Appeler une chatte…

Quel couple n’a pas employé à un moment toutes sortes de mots personnels pour parler de sexe ? Selon Willy Pasini, auteur du Couple amoureux, « avoir beaucoup de vocabulaire est une manière créative d’être ensemble » . Le psychiatre et sexologue incite à veiller à ce qu’un « vocabulaire affectueux ne cache pas cependant une peur du sexe ». Nommer son sexe « zézette » devant son amant, pourquoi pas, à condition que cela ne soit pas une façon de la jouer petit. Pour jouir des plaisirs du sexe, il vaut parfois mieux prendre le titre de l’essai de Florence Montreynaud au mot et Appeler une chatte… Comme nous l’entendons et pas autrement ! Rien n’oblige à l’emploi d’un mot, du moment que nous avons connaissance du lexique et le choix de l’utiliser. Or le vocabulaire de la sexualité est tabou pour de nombreuses femmes quand il ne leur fait pas défaut. La faute au puritanisme de l’éducation, à la pudeur des mères, à la science froide des docteurs… Rosemonde Pujol, auteur du Manuel de clitologie (voir notre interview sur ce site) remarquait qu’on trouve dans les manuels de biologie « les trompes de Fallope (…) l’utérus et le vagin mais de clitoris, point ! » . Or ce bout de chair est entre nos jambes. Sans mot pour le nommer, nous en serions « excisées » ! La première mission serait donc de se munir des mots afin de n’être ¬—au moins au niveau du langage— privées d’aucun sens. À nous ensuite de placer les mots dans la grammaire de notre désir. Quoi de « bite », « verge », « queue », allons-nous préférer, à quelle occasion ? Quel vocable sera pour nous le plus érotisé ? Si « coureuse » nous laisse de marbre tandis que « cochonne » nous met le feu, nous finirons pas le savoir. À force d’essayer les clés de son trousseau, on finit par trouver celle qui nous fait entrer en émoi. Or elles ne manquent pas ! Pour nous chauffer la langue et délier notre sexe, nous pouvons chanter sur l’air de Colette Renard dans Les Nuits d’une demoiselle comme il est bon de se faire « sucer la friandise, caresser le gardon, empeser la chemise, picorer le bonbon, frotter la péninsule, béliner le joyau, remplir le vestibule, ramoner l’abricot… ». Les ardeurs linguistiques nocturnes ont du bon…

Langue vivante érotique

Plus de 1300 mots pour désigner l’acte sexuel en français, environ 600 pour le sexe de l’homme et autant pour celui de la femme ! Le vocabulaire du sexe se caractérise par une exceptionnelle « fécondité verbale », observait Pierre Guiraud, auteur du Dictionnaire érotique. Combinés, ces termes forment un ensemble de près de 3000 mots et expressions pour une notion. Et nous serions loin du compte, car n’importe quel vocable neutre peut se trouver un jour érotisé : Tu veux tremper ton cigare dans mon cognac ? De là, les synonymes prolifèrent. Le lexique érotique se renouvelle constamment, tout en conservant une stabilité notionnelle. Les termes employés pour désigner le sexe masculin peuvent se classer en catégorie d’instruments, d’armes, d’ustensiles etc… Celui de la femme, de fleurs, de fruits, de lieux... Si bien qu’il s’établit au fil du temps une « nature des images fondamentales ». Comme tout registre de langue, le vocabulaire de la sexualité porte en lui l’organisation de nos sociétés, ses couches individuelles, sociales historiques. Il traduit des conceptions de l’amour et des pratiques selon les époques, il ne « ment pas » sur un certain état des rapports au corps des uns et des autres. Machisme et autres discriminations s’y lisent clairement ! Quant aux termes utilisés pour définir les jouissances possibles avec les mots, il y en a un nombre impressionnant pour un nombre non moins impressionnant de pratiques. Nous apprenons avec le Dictionnaire des fantasmes, perversions et autres pratiques de l’amour que « le fait d’exciter son partenaire ou ses partenaires, de s’exciter soi même par l’usage de mots grossiers durant les relations sexuelles » se nomme Coprolalie, que la Narratophilie, désigne « le goût de raconter ou d’entendre des histoires concernant la sexualité », et qu’il existe des Téléphonicophiles, adeptes de la conversation téléphonique sexuelle consentie. Il se pratique ainsi « de véritables dialogues inconvenants au cours desquels l’excitation des partenaires atteint les plus haut sommets ». Les fantasmes étant si nombreux qu’ils sont impossibles à tous réaliser, la coprolalie permet « d’augmenter son champ d’expérimentations érotiques ». L’Acoustophilie consiste à s’écouter entre partenaires consentants, tandis que l’Écouteurisme est l’équivalent auditif du voyeurisme, vol de mots « nus » à la dérobée… L’engouement pour la parole sexuelle bénéficie des nouveaux réseaux de communication (sms, mails, chat, skype,…). Sur le téléphone rose, il y a des lignes pour toutes les sexualités. Le plaisir des mots à l’oral n’est pas réservé qu’aux machos.

Monsieur mate, Madame verbalise… Excitation différentielle des sexes ?

Les hommes seraient-ils par nature « visuels » tandis que les femmes seraient par nature « verbales », comme on entend dire parfois ? Pourquoi ne trouve t’on pas d’équivalent à Playboy pour les femmes ? Les femmes achètent-elles plus volontiers un livre érotique qu’un DVD porno par nature, par goût, façonné en partie par la culture et leur éducation, ou encore par dépit, compte tenu de la triste uniformité des étalages de films ? Dans quelle mesure seraient-elles insensibles à la vue mais allumées par les mots ? Pour aborder cette question, nous nous concentrerons ici sur des réflexions sociologiques plutôt que biologiques. Et donc —entre nous— les femmes trouvent-elles la vue d’un pénis excitante ?? Oui ! affirme Dian Hanson, sex editor chez Taschen (lire interview sur ce site). Mais il est vrai que par leur éducation elles sont amenées à être « plus conservatrices et puritaines » que les hommes face aux images. Et à s’en remettre aux mots ? Pendant l’amour physique, certaines femmes décuplent leur plaisir lorsqu’elle l’accompagne de mots. Dominatrice elle-même, Kora affirme que dans ce milieu particulier, il est fréquent de rencontrer des femmes qui prennent plaisir à se faire maltraiter verbalement par des hommes, traiter de « pute », de « salope ». Ça les « désinhiberait ». Faut-il pour autant conclure à une caractéristique féminine ? Pas forcément. La réciproque vaut pour les hommes, dont certains aiment qu’une femme leur ressasse qu’ils « se font mater par de jolies filles » et qu’ils vont « se prendre une bonne fessée ». En revanche, poursuit Kora « il est certain que les femmes grandissent dans un monde qui les rabaissent, cela ne peut pas être anodin en terme de sexualité ensuite », et partant, d’une jouissance particulière du langage en relation avec la position de leur sexe en société. Mais elles ne sont pas les seules, et au final il y en aurait pour tous les goûts. Hommes, femmes, certains aiment qu’on leur parle ou non, qu’on les maltraite ou non, qu’on leur écrive ou pas, billets doux, emails enflammés, SMS coquins, tout dépend de ce que chacun a vécu et a dans la tête.

De la littérature « pour les filles » à la littérature (érotique) féminine

Les études de psychologie sociale (notamment à travers les travaux de Nicole Mosconi, auteur de Genre et Avenir) ont montré que tout au long de leur croissance, filles et garçons font un apprentissage différentiel de leur rôles sexués en société. Ils sont encouragés par leurs « éducateurs » (parents, pairs, professeurs, médias…) lorsqu’ils se comportent en conformité avec ce qui est attendu de leur sexe biologique, découragés lorsqu’ils vont à l’encontre. Or, la littérature « c’est pour les filles », les maths « c’est pour les garçons ». Une certaine spécialisation des femmes pour le verbe commencerait tôt et ne serait pas que de cause « biologique ». Encouragées dans leur maîtrise de la langue, écrite et orale, plutôt que d’autres domaines, le sexe féminin développerait peut-être plus de sensibilité et d’aptitudes au verbal, à l’écoute qu’au visuel par rapport au sexe masculin. Et c’est à partir des mots qu’elles feraient leurs images mentales. Les mots seraient-ils le domaine des femmes, les destinant à certaines catégories précises de professions, comme à certaines catégories de plaisir ? La littérature féminine, érotique en particulier, a connu un grand essor ces dernières années. Depuis la Femme de papier de Françoise Rey ou Le Boucher d’Alina Reyes, il se compte chaque année de nombreux titres féminins. Les femmes y excellent-elles ? En sont-elles si friandes ? S’il y a bien une montée en puissance de la voix des femmes, y aurait-t-il, via la langue, une récupération du pouvoir d’agir dont elles auraient été privées auparavant ? D’ailleurs, le pouvoir des mots est-il en lui même un peu du pouvoir en place ? Faut-il « l’ouvrir » pour être reconnue dans une société macho ? C’est le propos/point de vue choisit par Joy Sorman, dans son roman Boys, Boys, Boys, dans lequel la narratrice se fait fort de tenir les conversations de comptoir jusqu’au bout de la nuit avec les garçons, se hissant par les mots vers une égalité avec eux. Tant qu’il ne s’agit pas encore de vouloir dominer par tous les moyens…Ça se discute…

À quand des images excitantes pour les femmes ?

Si les femmes semblent privilégier les mots au détriment des images en matière de sexe, cela vient peut-être en partie d’une socialisation différente de celles des hommes, d’une éducation plus répressive, ainsi que, peut-être, du conséquent déficit associé d’images excitantes pour elles. Une privation sensorielle, en somme ? En effet, sachant la respectabilité domestique dans laquelle ont été tenues pendants des générations les « poules », les « carnes », les « gonzesses », les « frangines », les « limandes », les « pétasses », les « poupées », les « pisseuses », les « toupies », bref, les « femmes », pouvons-nous nous étonner qu’il n’y ait pas plus de magazines aujourd’hui dont l’unique objectif serait de permettre aux femmes d’éjaculer de la cyprine au dessus d’un musculeux photographié ? Ne fût-il pas plus acceptable d’imaginer les femmes calées sur un rocking’chair en train de lire des poèmes après le souper ? Florence Montreynaud remarque que non seulement les expressions pour parler aux jeunes filles de leur sexe le contournent le plus possible (comme « en bas »), ne la « déflorant » ainsi pas, mais en plus cette virginité du sexe étendue aux oreilles, est aussi une virginité de la vue. Toutes entrées sensuelles verrouillées pour les jeunes filles ! Il faut préserver leur innocence, empêcher qu’elles aient la curiosité « mal placée ». Une fille ne peut pas « regarder sous les jupes » des garçons ni facilement « s’instruire » avec « des photos cochonnes ». Devons-nous pour autant conclure que nous ne sommes pas visuelles un poil ? Pourtant, les homosexuels ne sont pas les seuls à s’offrir le calendrier de charme (et de plus en plus dénudé) des Dieux du Stade. L’imagerie vers laquelle s’oriente les femmes serait-elle encore un peu cloisonnée ? Illustrateurs, photographes, cinéastes, faiseurs d’images, pourraient s’employer à nous élargir le champ de vision. Fini d’être celles qui en parlent le plus avec des mots, mais qui en mangent le moins avec les yeux. Des images et des mots, pour tout le monde !

[argent]Maxine Lerret

(1) Interview dans Glamour, L’île aux enfants xxx (2) Rosemonde la scandaleuse, dans le Nouvel Observateur, semaine du 28 Juin 2007 - http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/pa...

Sources privilégiées pour cet article :

Dictionnaire érotique, Pierre Guiraud, éditions Payot, édition 2006 Dictionnaire des fantasmes, perversions et autres pratiques de l’amour, Brenda B. Love, éditions Blanche, 2006 Appeler une chatte… Florence Montreynaud, éditions Calmann-Levy, 2004 Le pouvoir des mots, Judith Butler, éditions Amsterdam, 2004 Boys, boys, boys, de Joy Sorman, Gallimard, 2005

Interview de Dian Hanson, par Agnès Giard (voir sur le site)

Rosemonde la scandaleuse, Nouvel Observateur, semaine du 28 Juin 2007

Les nuits d’une demoiselle, Colette Renard, 1963

Internet : Site de Kora, www.intransigeante.org[/argent]