Vous avez dit pro-sexe ?

Le 14/02/2022

Le quotidien anglais The Guardian publiait récemment un article sur la révolution sexuelle et l’émancipation des femmes, en s’interrogeant : est-ce que la liberté sexuelle des femmes n’a pas finalement été un leurre ? Est-ce qu’au final elle n’a pas avant tout profité aux hommes ? Le courant "sex positif" du féminisme a-t-il fini par décevoir ?

Pour l’auteure, la journaliste Gaby Hinsliff, "le credo selon lequel le fait d’éliminer les stigmates qui entourent historiquement la sexualité féminine permettra aux femmes de s’épanouir sans culpabilité ni honte et contribuera à éliminer le "slut-shaming" et le "victim-blaming" empêche souvent de prendre au sérieux la violence à l’égard des femmes. On attribue au mouvement le mérite d’avoir brisé les tabous qui entourent des questions telles que la masturbation, les règles, les droits des LGBT et les mutilations génitales féminines, grâce à son insistance sur le droit des femmes au plaisir sexuel. De l’exhibitionnisme jubilatoire des candidates de Love Island à l’hymne sexuellement positif exubérant de Cardi B et Megan Thee Stallion , Wet Ass Pussy, l’idée qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte d’avoir des rapports sexuels - du moins en théorie, mais pas toujours en pratique - a filtré dans la vie quotidienne des jeunes femmes."
Mais pour la journaliste, la société conditionne toujours les femmes à plaire aux hommes - ce n’est pas faux, mais est-ce que les dernières générations ne sont pas justement en train de s’en affranchir ? - et les réseaux sociaux montrent de multiples cas de femmes qui se laissent embarquer dans des rapports sexuels non consentis et brutaux, sous l’influence d’une pornographie violente, pour faire plaisir à leur partenaire ou pour ne pas leur apparaître coincées, citant en référence la chanteuse Billie Eilish, dont l’entrée dans sa vie sexuelle s’est faite par une porte agressive du porno.

Si l’on regarde les comportements de la génération Z, il se pourrait bien pourtant que ces réflexions appartiennent au passé : elle est si fluide sexuellement que seuls 54 % d’entre elles et eux sont exclusivement attiré.e.s par des membres du sexe opposé (contre 81 % chez les baby-boomers) et elle expérimente plus : relations sexuelles anales, nombre de partenaires, etc. tout comme elle s’autorise sans complexe à l’asexualité pour un temps plus ou moins long.
Malheureusement, l’étude (anglaise) ne permet pas de départager quelle est la part de femmes qui se sentiraient mal à l’aise avec ces nouveaux comportements.

Il est cependant juste de dire que le féminisme "sex-postiif" perd actuellement de sa superbe, il a moins bonne presse. Pour la journaliste et les autrices qu’elle cite il faut conclure que le féminisme pro-sexe n’aura au final servi qu’aux hommes, qui ont pu expérimenter plus, avec des femmes moins réfractaires que par le passé, laissant un goût amer à certaines qui se sont senties abusées, ou dans certains cas violées, et pour qui la véritable libération sexuelle ne viendra que lorsque la question de la violence sexuelle sera réglée et lorsque les hommes auront pris conscience de cela.
Il nous semble que cela n’est que partiellement juste pour deux raisons :

- Depuis le tournant du siècle, l’époque est à la victimisation : nous n’entendons médiatiquement (et statistiquement) que celles et ceux qui ont subi des tragégies, dont la subpersonnalité devient un modèle de survie. A l’inverse, nous ne savons rien ou presque des femmes à la sexualité épanouie pour qui l’adoption d’un féminisme pro-sexe est à la fois un épanouissement de leur vie personnelle mais également un outil d’affirmation qui permet de savoir occuper l’espace dans les sphères professionnelles et/ou publiques.

- Dans certaines cultures, notamment africaines, le pouvoir n’est pas dans le pénis, mais dans le vagin, c’est lui qui avale le pénis et le fait disparaitre dans le rapport hétérosexuel. Cette vue inversée des rapports hétérosexuels est riche de conséquences positives sur les femmes africaines et afro-américaines qui usent de leurs pouvoirs sexuels pour asseoir leur puissance et ne pas se laisser dicter leurs désirs. On pense ici à la rappeuse Lil Kim et son titre "Not Tonight", où elle explique à son partenaire qu’elle n’a envie de rien d’autre qu’un cunnilingus bien fait. On pense également à la chanteuse récemment décédée Betty Davis, mais aussi à certaines femmes d’autres cultures qui ont adopté ces codes, comme l’actrice hollywodienneMae West, Madonna et tant d’autres des générations passées ou actuelles qui utilisent le sexe comme instrument de plaisir tout autant que comme instrument de pouvoir.
Le féminisme pro-sexe n’a peut-être pas dit son dernier mot et la rappeuse Cardi B pourrait en être une des preuves les plus flagrantes.