Une vie de guerres spermatiques ?

Le 22/01/2021

A force d’envisager la relation sexuelle comme une source de plaisir, nous étions en train d’oublier qu’elle sert avant tout à la reproduction. Pour cette raison, nos comportements sexuels ne sont pas nécessairement calés sur ce que nous pensons être nos (im)pulsions, mais sur nos stratégies de reproduction, y compris lorsque nous nous masturbons, avons des rapports homosexuels ou trompons un partenaire.
C’est le thème que développe le biologiste anglais Robin Baker, spécialiste de l’évolution à l’Université de Manchester, dans son livre "Sperm Wars, les secrets de nos comportements amoureux", la version grand public d’un précédent livre sur la même thèse, "Human Sperm competition".
A travers des séries d’anecdotes sur différents types de comportements sexuels, l’auteur décrypte les stratégies qui sous-tendent : "l’inconscient des hommes les pousse à avoir autant d’enfants que possible avec autant de femmes que ses gènes et les circonstances le lui permettront. De même rien n’empêchera une femme de chercher inconsciemment à collecter les meilleurs gènes et à sélectionner le meilleur soutien pour ses enfants que ses gènes et les circonstances peuvent lui permettre".
Il distingue le sexe de routine entre deux partenaires réguliers (où le corps de la femme cache ses périodes de fécondité et décide de la quantité de sperme qu’il va garder, tandis que l’homme ajuste sa quantité de sperme pour remplir les réservoirs de sa partenaire), l’infidélité (la femme y recourant plutôt dans sa phase féconde, engageant une guerre spermatique en ayant ensuite une relation avec son partenaire habituel, tandis que c’est pour l’homme le moyen d’augmenter ses chances de reproduction), le cunnilingus (qui aide les hommes à comprendre s’ils doivent se préparer à une guerre des spermes), la masturbation (qui permet à l’homme de d’avoir un sperme plus jeune et plus dynamique et à la femme de se débarrasser de vieilles cellules inopportunes, d’améliorer sa lubrification et de lutter contre de potentielles infections), la fellation (marque de santé ou d’infidélité), l’orgasme de la femme (qui influe sur la quantité de spermatozoïdes introduite et permet de retenir plus de sperme), l’homosexualité (qui serait "un sous-produit génétique de la bisexualité" et n’empêche pas la reproduction), la bisexualité (les femmes bisexuelles déclenchent plus de guerres spermatiques et contrôlent mieux la rétention de sperme), le viol (sur lequel nous ne nous attarderons pas, la froideur scientifique étant parfois offensante) ...
Le Pr. Robin Baker donne des explications rationnelles à de vieux clichés dont on aimerait se débarrasser : les hommes préfèrent les femmes plus jeunes car plus fécondes, alors que les femmes préfèrent les hommes plus âgés qui ont fait leurs preuves. Il garde tout au long du livre un fil conducteur : "ce qui est préférable pour l’un des partenaires ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Le corps de l’homme incline à instaurer et maintenir une population de spermatozoïdes dans sa partenaire. Tandis que le corps de la femme s’efforce de brouiller le but de l’homme, de sorte qu’il ne sache jamais vraiment, consciemment ou inconsciemment, quel est le meilleur moment pour l’inséminer". La guerre des sexes a ses raisons que la raison ignore ...
L’auteur conclue que "Continuellement, à travers toutes les périodes fécondes de la vie, le corps assume la possibilité d’une guerre des spermes et s’y prépare (...). Sans la guerre des spermes et son incidence sur l’évolution humaine, les hommes auraient des organes génitaux minuscules et produiraient très peu de spermatozoïdes. Les femmes n’auraient pas d’orgasmes, il n’y aurait pas de vrais échanges physiques durant les rapports sexuels, pas de masturbation, et nous ne ressentirions l’envie de copuler qu’une douzaine de fois, à peu près, dans toute notre vie - ces quelques occasions où la conception serait possible et souhaitable. Le sexe et la société, l’art et la littérature, en fait l’ensemble de la culture humaine seraient bien différents."
Malgré des analyses qui, ici et là, peuvent parfois hérisser le poil des femmes, voire même décourager dans certaines luttes pour l’égalité, le livre fait une démonstration passionnante de la nature guerrière de l’homme et de celle, si rusée, de la femme ... Reste une question cruciale, que le livre n’aborde pas : que ce passe-t-il biologiquement lorsqu’une personne change de genre ?

Pr. Robin Baker
Sperm wars, les secrets de nos comportements amoureux
Editions JC Lattès
412 pages, 14€