Dian Hanson

Le 20/04/2009

Dian Hanson est la preuve vivante qu’il n’existe aucune sexualité « normale » ni « majoritaire », mais au contraire une incroyable diversité de comportements. Les « perversions » sexuelles n’existent pas pour elle. A 55 ans, cette femme accomplie, grande et sexy, connaît à ce point les fantasmes des hommes que certains lui auraient même proposé leur vie : Un jour, un homme a voulu me léguer son corps. Il m’a dit : « Vous ferez de ma peau vos chaussures, et vous marcherez sur mon corps… » Dian sourit. Dans les fantasmes les plus aberrants, elle ne voit que du plaisir… Rien ne lui paraît plus triste que l’idée de la norme. Dans notre culture, la sexualité se ramène aux dehors, aux apparences, déplore-t-elle. Les femmes, par exemple, se traumatisent pour leurs poitrines et pour leurs fesses… « Pour elles, le sex-appeal n’est qu’une question de courbes qui dépassent plus ou moins ».

Elle a passé sa vie à satisfaire les désirs les plus secrets des hommes. Elle a lancé le plus important des magazines érotiques au monde, Leg Show. Depuis maintenant 6 ans, directrice de la collection la plus convoitée au monde, elle publie chez Taschen, éditeur artistique international, des livres pornographiques « pour le cerveau ». Dian Hanson continue d’explorer l’univers de la sexualité avec un succès tel que les livres qu’elle publie s’arrachent à travers le monde entier. Parce qu’ils donnent envie de jouir librement sans entraves. Sans tabous. Interview d’une reine de l’empire du sexe.

Pourquoi vous intéressez-vous au sexe bizarre ?

Parce que je m’intéresse au sexe. J’ai grandi dans une famille d’obsédés du cul. Mon père était le chef d’une société philosophique qui prônait certaines pratiques sexuelles pour atteindre l’illumination spirituelle. Je n’en faisais pas partie, je ne pourrais donc pas vous dire quelles étaient ces techniques si particulières. Mon père, très charismatique, avait de nombreuses admiratrices. Ma mère, jalouse, rivalisait de tenues et d’attitudes osées avec ces concurrentes. Chez nous, il y avait plein de livres sur le sexe et de revues pornographiques, soigneusement dissimulés, mais avec mon frère je m’amusais à dénicher leurs cachettes. A l’école, j’étais mise au ban – la fille bizarre, avec sa famille de barjots. On m’avait appris à la maison à n’utiliser que le mot juste pour désigner chaque chose. Dès mon enfance, j’avais été instruite avec la plus grande rigueur et ça ne m’a pas rendu service : en classe, on se moquait de moi parce que je disais “Je voudrais uriner” ou “Un garçon m’a montré son pénis”. Les professeurs et les camarades, qui ne parlaient des fonctions corporelles et des organes humains qu’en termes infantiles, trouvaient mon langage dégoûtant et indécent. Ils disaient de moi que j’étais une petite débauchée. J’avais 12 ans, je faisais déjà 1,78 mètre, et tout le monde à l’école me traitait de lesbienne, de pute et de sex-maniac, alors que j’étais totalement innocente. Du coups, j’allais me réfugier à la bibliothèque et c’est là que j’ai découvert Psychopathia Sexualis, le livre de Kraft Ebing. Je suis allée tous les jours pour le lire en cachette, jusqu’à ce que je l’ai fini ! j’avais 14 ans et je me sentais proche des marginaux décrits dans le livre. Psychopathia Sexualis date de 1880. A l’époque on pensait que les perversions se transmettaient par la famille. Je croyais que ma famille m’avait contaminé…

Quelle sexualité vous attire le plus aujourd’hui ?

Je m’intéresse à tout ce qui est nouveau pour moi, à tout ce qui est « pervers » pourvu que ça soit authentique. Maintenant que le fétichisme est à la mode, je rencontre des jeunes femmes qui prétendent avoir un fétiche : elles me disent avec des airs extasiés qu’elles boivent du sang ouqu’elles pratiquent le Pony Play… En réalité, elles veulent juste faire leurs intéressantes, pour attirer l’attention. Quand je leur demande si ça les excite de boire du sang ou de se mettre un mors dans la bouche alors qu’elles sont seules, elles répondent “Non”. Les vrais fétichistes vivent dans l’urgence de leur libido, tourmentés par les émotions fortes qu’ils éprouvent grâce à leur fétiche… C’est ce conflit intérieur, cette obsession des vrais « pervers » qui me charme et me fascine.

A peine âgée de 24 ans, vous êtres entrée dans la presse pour adulte. Ca ne vous a pas fait peur ?

J’ai commencé en 1976 dans une revue appelée Puritan parce que l’éditeur était mon petit copain. Il possédait de nombreux sex-shops et les meilleures revues pornos de l’époque. Je suis ensuite allée travailler à New York pour d’autres magazines pour adultes, parce que c’était la chose la plus facile à faire une fois qu’on était introduite dans ce milieu ! J’ai d’abord travaillé comme rédactrice en chef adjointe de Partner Magazine, puis de Oui et de Adult Cinema review. C’étaient des magazines fabriqués à moindre frais par une équipe réduite de gens peu motivés. Il était facile, dans ces conditions, de se voir confier un titre et de bien s’amuser en faisant n’importe quoi ! Je suis donc devenue éditrice à part entière de Hooker, puis j’ai créé ma propre revue Outlaw Biker.

Leg Show, c’est la revue dont vous êtes le plus fière ?

C’était un petit bimensuel distribué à quelques milliers d’exemplaires quand je suis arrivée en 1987. J’avais carte blanche. Les lecteurs m’écrivaient de longues lettres obsessionnelles pour me dire ce qu’ils désiraient comme magazine. J’étais très intriguée par leur intelligence, leur passion et je me suis mise à leur répondre en demandant des précisions… Je me suis toujours basée sur l’avis des lecteurs pour faire Leg Show. Ils voulaient des sujets sur les jambes, les pieds, les bas, les collants, les talons hauts, les pieds nus ? Ils en ont eu. Et puis des femmes dominatrices aussi. Beaucoup de mes lecteurs se sentaient mal dans leur peau à cause de leurs fantasmes. Ils se punissaient d’être « différents » en m’envoyant des photos d’eux travestis et moi je publiais ces photos humiliantes pour satisfaire leurs désirs masochistes, tout en leur expliquant qu’il n’y avait rien de honteux là-dedans. Je leur disais qu’on peut être aimer la soumission, se faire marcher dessus, et en être fier… J’ai voulu leur faire sentir que Leg Show était un magazine qui acceptait toutes les « perversions », avec respect. En trois ans, le nombre d’exemplaires est passé de 70 000 tous les deux mois à 140 000 tous les mois et en 1996, j’ai atteint les 200 000 exemplaires ! Leg Show est sans conteste ma réussite majeure. J’aie entendu récemment que les ventes de ce magazine sont tombées à 40 000 par mois.

Comment expliquez-vous son succès aux USA ? Les Américains sont-ils de gros pervers ?

Leg Show a bien marché parce que c’était le seul magazine dans le créneau. Aucune autre revue ne s’adressait aux fétichistes des jambes, de la lingerie et des pieds. Leg Show a bien marché aussi parce qu’il y avait moi : dans chaque numéro je signais un éditorial sympathique, personnalisé… je m’intéressais aux besoins spécifiques de mes lecteurs et ils m’en étaient reconnaissants. Maintenant que je n’y suis plus, Leg Show ressemble à n’importe quel autre magazine, ils ne s’y sentent plus chez eux… Ceci dit, pour répondre à votre question, non, les Américains ne sont pas plus fétichistes qu’ailleurs. L’Allemagne contient un pourcentage bien plus élevé de fétichistes des jambes : c’était le plus gros marché étranger pour Leg Show et je m’y suis fait un nombre considérable de fans ! Et pour les gros seins, à mon avis, les Britanniques aiment ça bien plus que d’autres.

Comment définissez-vous le fétichisme ?

C’est une stratégie inconsciente qui consiste à annuler un sentiment d’angoisse sexuelle en transformant des objets non-érotiques en objets érotiques. Je m’explique : quand un homme est éduqué dans l’idée que la vulve est un objet de péché et qu’il est interdit de la regarder ou même d’y penser, cet homme ne pourra pas bander en présence d’une vulve. Mais s’il substitue mentalement l’image d’une culotte à celle d’une vulve, en chargeant la culotte de tout ce qui rend désirable une vulve, il parvient à surmonter l’interdit. La culotte n’est pas un tabou. Il bande dessus, à défaut de bander sur ce que la culotte cache…Dans certaines cultures répressives, le fétichisme est donc la seule manière pour les gens de préserver leur vie sexuelle, qui est un composant essentiel de l’être humain…

Vous considérez-vous comme une pionnière de la révolution sexuelle aux USA ?

Je suis toujours surprise quand de jeunes gens me le disent. J’ai juste travaillé 25 ans dans la presse spécialisée. Au début, dans les années 70 et début 80’s, je baignais dans la scène sexuelle underground, j’allais dans des orgies ou des clubs SM… Mais après, je me suis concentrée sur mon travail et puis l’apparition du Sida m’a tout de suite dissuadée de continuer les expériences rigolotes. C’était tellement plus drôle avant. Mes 15 ans à Leg Show m’ont pris tellement de temps que je ne me suis même pas aperçue que j’étais devenue célèbre. C’est bête, j’aurais pu en profiter un peu !

Etes-vous féministe ?

Je me suis considérée féministe en 1970, quand Germaine Greer a publié « L’eunuque Femelle » et qu’elle a montré son cul dans le magazine Suck. Elle et quelques autres féministes de l’époque se sont battues pour la liberté, l’égalité de tous les êtres et les droits des travailleuses du sexe. Mais les féministes qui ont suivi n’étaient que des puritaines coincées : elles étaient contre la pornographie et considéraient les femmes comme des victimes de la sexualité masculine… Absurde. Je me passe de toutes les théories vaseuses, je mène ma vie comme je l’entends.

Est-ce que vous avez eu l’impression à un moment, quand Leg Show explosait, et que tous ces hommes vous remerciaient de ce que vous faisiez pour eux, d’être leur "sauveuse" ?

Je dois admettre qu’il y a une mère frustrée au fond de moi, une mère qui n’a pas eu d’enfant et qui a reporté toute son affection sur de pauvres adultes marginalisés, isolés, exclus de la société à cause de leurs fantasmes… Je les ai recueilli en mon sein et je leur ai donné tout cet amour dont ils étaient privés, parce que je ressentais profondément leurs souffrances. Ces hommes n’étaient pas forcément séduisants, ni intelligents, ni charmants et dans la vraie vie je ne leur aurais – pour la plupart - trouvé aucun intérêt, mais dans cet univers qu’étaient leurs lettres, je me sentais liée à eux par un très grand amour.

Qu’est-ce que ça vous a apporté d’être une femme qui connaît les hommes de façon si intime ?

Ca m’a empêchée de m’intéresser aux femmes !J’ai consacré toute ma carrière à comprendre les désirs des hommes et cela ne m’a pas laissé le temps d’étudier et comprendre les désirs des femmes. Depuis que je travaille chez Taschen, je suis entourée de jeunes femmes avec qui je peux enfin parler. Mais ma vision de la sexualité diffère sensiblement de la leur et j’ai parfois du mal à les comprendre. Beaucoup d’entre elles, par exemple, disent qu’elles désirent un bouquet de fleur, de la belle musique, une promenade romantique au bord de la mer et affirment que les hommes ne pensent qu’au sexe. Elles se trompent. Les hommes sont beaucoup plus romantiques qu’on ne croit : ils estiment simplement que la meilleure manière de prouver leur amour c’est de procurer un orgasme à une femme.

C’est quoi le romantisme pour vous ?

C’est quand un homme, après avoir accumulé 5 échecs sentimentaux, trouve encore la force de tomber amoureux. C’est quand un homme veut me faire jouir.Hélas pour elles, la plupart des femmes attendent des mots doux et des signes non-sexuels d’affection, ce qu’elles appellent « du respect ». Mais les hommes expriment leur amour dans l’action et cela ne fait pas d’eux des brutes irrespectueuses, au contraire. Je les trouve souvent bien plus fragiles que les femmes, plus vulnérables, surtout quand ils sont jeunes. Les femmes devraient arrêter de les maltraiter quand ils expriment leur désir. Car la sexualité n’est pas quelque chose de non-romantique.

Pour vous les femmes modernes sont des castratrices ?

Quand elles sont jeunes, elles sont extrêmement courtisées et cela fait d’elles des enfants gâtées : au lieu de s’intéresser aux hommes, elles les repoussent et disent : « Oh, ils ne veulent que du sexe » d’un ton dégoûté. Puis, l’âge venant, elles s’aperçoivent que de moins en moins d’hommes s’intéressent à elles et brusquement se mettent à vouloir les retenir, les séduire. Ou alors, elles deviennent amères et concluent : « Oh, ces cochons préfèrent les petites jeunes. » Ces femmes-là ignorent que les hommes seraient à leurs pieds si elles faisaient l’effort de plaire. Vouloir plaire, c’est s’intéresser à l’autre.

Peut-on plaire à tout âge ?

Moi, j’ai 55 ans et les hommes s’intéressent moins à moi qu’avant. C’est normal. Les hommes sont très visuels. Ils sont attirés par la beauté et la jeunesse. Mais, plus que ça, ils sont attirés par les femmes réceptives et bienveillantes. C’est là un atout maître. Les hommes sont essentiellement attirés par celles qui s’intéressent positivement à leurs désirs et à leurs fantasmes.Si j’ai un conseil à donner ce serait : faites attention à votre corps, soignez-le, car il est précieux, mais plus que ça soignez votre personnalité. Devenez plus gentille. Quand un homme me demande mon numéro de téléphone dans la rue, je ne l’insulte pas. Je lui réponds « Non, je ne vous le donnerai pas, mais je vous remercie de me l’avoir demandé ». Il faut toujours remercier pour les marques d’intérêt que l’on vous porte, même quand elles viennent de personnes laides ou maladroites. Il ne faut pas trouver ça agressif. Ce n’est pas de l’agressivité, c’est de l’attirance.

Pourquoi n’avez-vous jamais eu envie de faire une revue érotique pour les femmes ? Beaucoup d’entre elles auraient pourtant bien besoin d’une « grande soeur » pour les aider dans leur sexualité et l’accomplissement de leurs fantasmes ?

C’est vrai que les femmes aiment bien parler avec moi de sexualité car cela les aide à admettre qu’il faut aimer son corps comme un magnifique outil de plaisir. De nos jours, cette idée ne choque plus autant les moeurs qu’avant. Mais beaucoup de jeunes femmes sont conservatives et ont du mal à croire que le monde puisse être différent de celui qu’on leur a enseigné. Elles ont appris qu’il fallait trouver un mari avec de l’argent ou un compagnon qui pourrait les protéger. Quand elles sont jeunes, au lieu d’explorer la sexualité, de profiter de leur corps et de goûter à la vie, elles sont obsédées par l’idée de trouver un petit copain. Les jeunes femmes font statistiquement plus souvent l’amour que les femmes plus âgées, mais elles semblent plus préoccupées par l’idée de se “fixer” que par celle de se découvrir et de découvrir l’autre… A 30-35 ans, elles se réveillent et prennent conscience qu’elles devraient peut-être apprendre à faire l’amour.

Faire l’amour, ça s’apprend ?

Ce n’est pas à l’homme de vous faire jouir, c’est à vous. L’orgasme ne tombe pas du ciel. Il faut y mettre du sien, il faut avoir du désir et savoir se caresser. Une femme doit savoir se masturber par exemple. D’abord, parce que c’est très bon. Ensuite, parce qu’il n’y a rien de plus excitant pour un homme.Laissez-moi vous raconter une histoire. Vers l’âge de 50 ans, ma mère m’a un jour avoué qu’elle n’avait jamais eu d’orgasme. Je lui ai offert un vibomasseur et, surmontant sa gêne, elle s’est alors procuré le premier orgasme de sa vie. Jusqu’ici, ma mère pensait que c’est à l’homme de faire jouir une femme, que c’est sa responsabilité et son devoir. Il est extrêmement dangereux pour le couple de faire peser un tel poids sur son conjoint. L’amour, ça se fait à deux. Ca demande de l’énergie, de la disponibilité, de l’envie et de la passion.

Je reviens quand même à ma question précédente : pourquoi n’avez-vous jamais créé de magazine érotique pour femmes ?

D’abord, ce n’est pas demain que les femmes achèteront des revues de photo pour se masturber. Les revues pornos sont vendues en sex-shop et que les femmes n’ont pas envie d’aller dans ce genre d’endroit. Hélas, vous ne trouverez jamais Playgirl en kiosque à côté d’une revue de mode… La deuxième raison, c’est que les femmes sont moins visuelles que les hommes : elles préfèrent lire des histoires érotiques. Aux États-Unis, il existe depuis des dizaines d’années une collection de romans de gare au succès faramineux : ces histoires au début ne racontaient que des histoires d’amour, puis petit à petit, elles se sont mises à parler de sexe. Le scénario habituel c’est un jeune femme qui se fait kidnapper et prendre de force. Elle s’enfuit et devient une femme battante, qui sait ce qu’elle veut. Son ancien violeur tombe alors follement amoureux d’elle. Ca finit généralement en mariage… Ces romans se vendent par milliers.

Les femmes fantasment beaucoup sur le viol ?

Presque toutes. Il n’y a rien de honteux à ca : nous sommes nées dans une culture qui réprime la sexualité et les fantasmes de viol sont incroyablement libérateurs. Dans ces fantasmes, nous ne sommes plus responsables du plaisir que nous prenons, réduites à l’état d’objet sexuel passifs et libérées de toute culpabilité. Certains hommes aussi aimeraient être violés, réduits à de pauvres petites choses sans défenses…

Pensez-vous que les fantasmes et perversions des femmes soient les mêmes que ceux des hommes ?

Oui, ce sont les mêmes, mais à une différence près : dans ces fantasmes, les hommes se donnent plus souvent que les femmes un rôle « agressif ». Ca les excite plus d’être les prédateurs sexuels.

Pourquoi ?

A cause des testostérones ! Il faut parfois revenir aux bases : nous sommes des organismes biologiques. J’ai vu des amies body-buildeuses devenir subitement beaucoup plus “agressives” suite à la prise d’hormones mâles. Moi-même, depuis ma ménopause, je prends des testostérones et cela a dopé ma vie sexuelle. Maintenant, grâce à ces apports chimiques, je peux faire monter mes envies et multiplier la force de mes plaisirs. Quand j’ai demandé à mon médecin s’il pouvait m’en prescrire, il m’a dit : “Madame Hanson, dites-moi que vous me demandez ces pilules pour améliorer votre vie sexuelle. Il y a tellement de femmes qui y renoncent…” Il en avait presque les larmes aux yeux. Tellement de femmes, à la ménopause, se croient obligées de renoncer à leur libido… Sous prétexte que leur corps ne produit plus de testostérone, elles sacrifient leur sexualité. Elles s’en fichent. Elles préfèrent ne plus rien éprouver.

Pensez-vous que les femmes éprouvent moins de désirs que les hommes ?

C’est une question difficile. D’un côté, je pense que les femmes sont le résultat d’une éducation plus répressive que celle des hommes en matière de sexualité. Elles sont éduquées à taire leurs désirs. Pire que cela encore : elles se pensent très supérieures aux hommes et se targuent de mieux contrôler leur corps. Beaucoup de femmes ont honte d’être très facilement mouillées par exemple. D’autres disent “C’est une pute” en parlant d’une femme qui a beaucoup de partenaires sexuels… D’un autre côté, je pense que si les femmes sont beaucoup plus conservatrices et puritaines que les hommes en matière de sexualité, c’est peut-être parce que leur corps est programmé pour donner la vie : les femmes sont donc naturellement portées à se trouver un mâle protecteur et à contrôler les débordements de leurs pulsions…

Vous avez l’air de dire que la femme est génétiquement programmée pour être soumise, fidèle et monogame… Pourtant, il existe des sociétés dans lesquelles les femmes ont plusieurs partenaires… Dans le Japon de l’ère Heian, par exemple, les femmes nobles pouvaient avoir des enfants d’un autre lit sans que leur mari y trouve à redire… Que faites-vous du modèle matriarcal ?

La plupart des scientifiques s’accordent à dire que le modèle matriarcal – basé sur l’adoration de la déesse mère – a existé dans les premières sociétés préhistoriques, quand les humains ne vivaient que de cueillette et de chasse. Les femmes, considérées comme des entités divines pour leur capacité à donner la vie, dominaient le groupe. Mais du jour où l’humain s’est sédentarisé, avec l’apparition de l’agriculture et du bétail, les hommes ont découvert le pot aux roses : dans leur troupeau, ils se sont aperçus que - sans mâle – aucune femelle ne pouvait procréer. La vie procédait donc du mâle !? Le modèle matriarcal a pratiquement disparu depuis cette “découverte”. Du coup, les femmes ont perdu leur statut de déesse et sont devenues des utérus, toutes juste bonnes à servir de réceptacle au sperme. Le phallus est devenu le nouveau dieu. Je travaille d’ailleurs sur ce thème car je dois bientôt publier The big penis book, une anthologie des plus monstrueux pénis qu’on ait jamais photographié.

Pensez-vous que les femmes trouvent la vue d’un pénis excitante ?

Oui, car les gros et grands pénis sont des symboles de la puissance.

Alors pourquoi achètent-elles si peu de revues pronographiques montrant des hommes nus ?

Parce que ces hommes se présentent souvent d’une façon très féminine : ils offrent leur nudité au regard comme des objets de désir, ils évoquent l’idée de la passivité. Mais les femmes ne fantasment pas sur des hommes passifs… C’est la raison pour laquelle il est très difficile de faire de la photo de nu masculin. Seuls quelques gays parviennent à faire poser leurs modèles de façon aggressive, pleine d’assurance, dans des postures viriles. Si je devais faire de la pornographie pour les femmes, je ferai prendre en photo des malfrats, des bikers, des durs, des hommes violents.

Vous pensez que la sexualité est violente ?

La sexualité comporte une certaine dose de violence dans la mesure où elle repose sur l’idée de la conquête. Les femmes sont séduites par les hommes conquêrants, qui expriment leurs sentiments avec force, assurance et détermination. Elles veulent être subjuguées et forcées de faire ce qu’elles désirent profondément. Il ne s’agit pas bien sûr de se faire maltraiter et abuser. Il s’agit de satisfaire ses envies les plus secrètes avec la sensation rassurante d’être exaucée par une Puissance supérieure.

Vous parlez des hommes avec tant de passion… Vous sentez-vous mieux dans un univers exclusivement masculin ?

Je me sens comme chez moi, car les hommes me sont familiers. Je les connais jusqu’au bout des ongles. Il me suffit de quelques minutes pour savoir ce qui les anime, ce qui les excite, et – à la limite – cela me fatigue maintenant, car j’ai l’impression de ne plus rien avoir à apprendre. Mais, vous savez, j’ai toujours adoré la compagnie des femmes et je suis très curieuse d’en savoir plus sur elles.

Quelles sont les réactions des femmes quand elles vous rencontrent ? Vous êtes un sacré personnage alors soit vous les hypnotisez, soit elles vous détestent...

Quand j’étais plus jeune, elles étaient jalouses. Maintenant que j’ai 55 ans, bien que je sois très bien conservée, elles ne me considèrent plus comme une menace. Elles n’imaginent pas que leur mari ou leur petit copain puisse s’enfuir avec moi, ce qui les rend très bienveillantes à mon égard. Parfois, elles sont catastrophées de s’apercevoir qu’elles se trompaient sur ma capacité à séduire… Mais d’une certaine manière cela les rend plus douces, car elles se disent qu’elles aussi, plus âgées, elles pourront continuer à séduire. Donc, je les rassure. Elles viennent souvent me demander conseil, pour apprendre à rester séduisantes à 40-50-60 ans.

Vous qui connaissez si bien les hommes, pensez-vous qu’ils ont actuellement perdu leurs repères par rapport aux femmes ?

Les hommes sont effectivement terrorisés par les femmes. Et avoir peur peut les rendre méchants. Donc je fais tout mon possible pour leur dire, et répéter, que pour approcher une femme il ne faut pas craindre de s’y prendre comme au bon vieux temps. Les femmes, quoi qu’elles en disent, n’ont en effet pas tellement changé. Ce qu’elles veulent d’un homme c’est toujours qu’il soit confiant, rassurant, protecteur, drôle, grand et qu’il ait un bon job. Que vous soyez beau ou pas, riche ou pas, je dis toujours aux hommes : ayez confiance en votre masculinité. Les femmes disent qu’elles veulent des hommes plus « sensibles » ? Cela ne veut pas dire qu’elles les veulent plus féminin, au contraire. Si vous vous regardez dans un miroir, que votre regard est droit et que vous êtes bien planté dans vos bottes, vous aurez du succès.

Quelle différence faites-vous entre pornographie et érotisme ?

La pornographie c’est une manière de prendre des vacances stimulantes, loin de la réalité… Alors que l’érotisme c’est le mot qu’on utilise quand on veut faire plaisir aux gens que le mot « pornographie » effraye. Les termes « érotique », « érotisme » sont les synonymes snobs de « sexe », « sexy » et « porno ».

Vous faites de la pornographie chez Taschen ?

Mon ami Benedikt Taschen est un des rares éditeurs qui ose remettre en cause les prétentions de “l’art érotique”. Ce qu’on appelle généralement “art érotique” c’est en réalité du “mauvais porno”, c’est à dire de la pornographie ratée, vélléitaire, sans couilles, de la pornographie qui ne donne pas envie. Les gens ont si peur d’être excités ! Ce sont des laches. Mon but, désormais, chez Taschen c’est de donner à la luxure le respect artistique qu’elle mérite. Je veux qu’on arrête de traiter la libido en criminelle ou en handicapée mentale !

En quoi consiste votre travail chez Taschen ?

Je suis ce qu’on appelle un « sex editor », responsable de toutes les publications à caractère érotique chez Taschen. Je suis tenue de publier et écrire 5 livres par an, ce qui fait que je travaille en moyenne sur 10 livres à la fois en permanence. Je suis seule décisionnaire, avec Benedikt Taschen, qui s’intéresse extrêmement au sexe hétéro et dont les choix éditoriaux se démarquent sensiblement de ceux des autres éditeurs. Nous publions par exemple Roy Stuart, qui est un des plus grands photographes érotiques au monde. Nous publions aussi Terry Richardson, dont la plupart des hommes disent qu’il fait des photos sexistes et que les femmes trouvent incroyablement excitantes. Ses photos donnent envie aux femmes d’oser. Elles déclenchent des envies très fortes : « moi aussi, je peux le faire. Moi aussi, je veux ». Pour moi, dans le domaine du sexe, une bonne photo, c’est une photo qui provoque l’envie. Qui met le feu aux poudres.

Sur quel livre travaillez-vous en ce moment ?

The big Penis Book. Je me concentre sur le pénis en tant que symbole de la masculinité. Ce qui est drôle, c’est que les hommes qui possèdent un énorme engin ne sont pas forcément beaux ni séduisants. Malgré cela, tout le monde veut voir leur sexe énorme, parce que ces specimens sont fascinants…

Ceux (ou celles) que fascinent les gros pénis n’ont-ils (elles) pas une vision un peu “étriquée” du sexe ?

Je ne veux pas porter de jugement sur ceux ou celles qui focalisent sur l’anatomie masculine. Tout ce que je peux vous dire c’est que la peur d’avoir un petit pénis est universelle. Même les hommes qui en possèdent un gros ne le trouvent pas assez gros et, paradoxalement, ceux qui en ont un très gros se sentent mal-aimés. Ils développent un énorme sentiment d’insécurité parce qu’ils sont harcelés de demandes purement sexuelles. Ils ont l’impression de n’être pas désirés pour eux-mêmes, mais pour leur pénis. John Holmes, par exemple, à qui j’ai beaucoup parlé, m’a vraiment fait pitié. Il est devenu un organe, une prostituée, parce qu’il en est venu à se déconsidérer totalement : « S’ils veulent mon pénis, ils n’ont qu’à payer ! ». John Holmes gagne des sommes considérables. Mais c’est un homme profondément malheureux.

Gros pénis, grosse poitrine, même combat ?

Oui. Mon précédent livre s’intitulait “The big breasts book”. Les gros seins, c’est comme les gros pénis : celles que leur naissance dote d’attributs généreux suscitent un intérêt sexuel énorme. Elles en profitent, elles se disent que c’est facile d’avoir plein d’homme à ses pieds : ce n’est même pas la peine d’être jolie. Il suffit de montrer ses seins… Et en même temps, elles considèrent leur poitrine comme une rivale. Certaines deviennent obsédées par ça et se font réduire les seins, mais comme elles n’ont jamais appris à développer leur personnalité (les seins faisaient office de personnalité), elles se retrouvent le bec dans l’eau : les hommes ne s’intéressent plus à elles. Elles ont détruit ce qui leur donnait du pouvoir sur les hommes. Et maintenant, elles n’ont plus rien.

[gris] Agnès Giard[/gris]