Anne Steiger

Le 21/04/2009

Nous sommes toutes soumises, consciemment ou inconsciemment, à la dictature des magazines féminins. Il faut être toujours plus bronzées, toujours plus minces, toujours plus business women, toujours plus super-mamans, toujours plus multiorgasmiques,… Et si justement en terme de sexualité, les modes se faisaient et se défaisaient au gré des « unes » de l’été ? Anne Steiger, journaliste indépendante, a collaboré pendant des années pour divers titres de la presse magazine au point de devenir une journaliste "spécialiste" de la sexualité. Ayant définitivement tourné la page de ces années de piges "sexo", elle raconte son expérience dans un livre, La vie sexuelle des Magazines (éd. Michalon). Entretien.

Pensez-vous que les écrits sexo en presse sont dangereux pour les lectrices ?

Je pense plutôt que ces articles ne reflètent pas la réalité. La plupart des lecteurs et lectrices des magazines savent garder une distance par rapport à ces papiers et les lisent surtout pour se détendre et s’amuser. Le danger, la « manipulation » plutôt, est dans la façon dont on déforme la sexualité des Français pour vendre du papier. On leur fait croire que nous avons toutes et tous une sexualité flamboyante, alors que la sexualité de monsieur et madame tout-le-monde est somme toute assez tranquille. Les lecteurs et lectrices finissent donc par se comparer à ce qu’ils estiment être la « norme » sexuelle, pensant qu’ils sont eux-mêmes « coincés » ou « anormaux ». Le danger est là, dans le fait de proposer des modèles qui ne correspondent à aucune réalité. Les sexologues le disent eux-mêmes : c’est grâce aux médias qu’ils remplissent leurs cabinets car beaucoup finissent par consulter pour correspondre à ces icônes sexuelles virtuelles.

Quelle éducation sexuelle la presse propose-t-elle aux Français ?

Une éducation sexuelle formatée et culpabilisante. La plupart des lecteurs, passés un certain âge en tout cas, n’ont pas besoin de la presse pour être « éduqués » sexuellement. Ceux-là lisent les magazines pour se divertir. Mais ce n’est pas le cas des plus jeunes. Envers ceux-là, la presse a un rôle de pédagogue, qu’elle le veuille ou non. Sept ados sur dix disent trouver leurs informations sur la sexualité dans les médias. Or certains magazines ne sont pas toujours à la hauteur. Soit parce qu’ils livrent aux jeunes de fausses informations (sur la contraception ou les MST, cela peut être dangereux), soit parce qu’ils tentent de faire rentrer ces ados dans des cases, cases généralement étiquetées : « J’aime le sexe et je le prouve avec une technique d’enfer ». A lire ces papiers, on a parfois l’impression que si l’on n’est pas une grande adepte de la fellation ou de la masturbation, on devient alors la pire des cruches. Or qui a dit qu’une femme était obligée d’aimer la fellation ? Pourquoi devrait-elle se masturber tous les dix jours pour être une femme sexuellement libérée ? Cela n’a rien à voir ! Il n’existe rien de tel qu’une « norme » sexuelle, comme il n’existe pas de « norme » en matière de goût pour la nourriture par exemple. Si un jeune n’aime pas le Yop à la fraise, on ne va pas lui dire qu’il est anormal ou « coincé » et on ne va pas lui donner des « trucs » pour aimer le Yop à la fraise.

Parce que c’est ce que font les magazines ?

Pour certains d’entre eux, oui. Il suffit d’observer les couvertures dans les kiosques à journaux pour s’en convaincre : « 5 conseils pour le rendre fou de désir » ; « Le Top 10 des positions ». La technicité du sexe est telle que l’on croirait parfois lire des fiches cuisines !

La présence de ces articles n’est pourtant pas régulière tout au long de l’année… Si, si, on nous en parle tout au long de l’année. C’est plutôt la façon dont on en parle qui change. En hiver, on observe un repli sur soi, sur le couple et la famille. Le parler sexe en presse est alors plutôt plan-plan, sur le thème « Comment dois-je donner de l’amour à mon homme ? » Au printemps et en été, on observe un éveil libidinal des magazines, on « ose » davantage, les corps s’éveillent, on parle de sexe en oubliant alors totalement la tête avec une titraille du type : « J’ose les jeux érotiques » ; « Le Top 10 des positions » ; « Un orgasme en 5mn Top Chrono ».

Pourquoi cette profusion de sexe dans les magazines ?

On entend souvent dire : « le sexe fait vendre ». C’est vrai. Mais en réalité, c’est plutôt la frustration sexuelle qui fait vendre. Un jeune homme, épanoui sexuellement avec sa petite copine, louera forcément moins de films pornos et achètera moins de presse de charme. C’est assez logique. La majorité des lecteurs des magazines de charme disent eux-mêmes qu’ils arrêtent de les acheter lorsqu’ils se « trouvent une copine ». Idem pour les jeunes lectrices des féminins. C’est leur frustration sentimentale et leur quête d’identité qui font qu’elles se jettent tous les mois sur leur magazine qui leur dira « comment s’habiller pour l’été », « comment se comporter avec les garçons » ou « comment devenir un bon coup en dix leçons ». La profusion de sexe dans les journaux s’explique donc par ce cercle vicieux : 1/ on multiplie les papiers sexo « pour vendre » ; 2/ ces papiers sexo créent une frustration chez le lecteur parce que sa sexualité ne correspond pas à ce qu’il lit ; 3/ il se jette avec plus d’avidité encore sur le prochain exemplaire de son magazine préféré qui lui dira comment correspondre à ce profil. Les médias créent donc une frustration en amont, pour venir rassurer en aval. Le lecteur est alors ferré. D’où cette question que l’on peut légitimement se poser : est-ce dans l’intérêt des magazines que son ou sa lectrice cesse enfin d’être frustré pour aller bien ? Non bien sûr !

Existe-t-il des pratiques sexuelles « tendances », à la mode ? On a parfois cette impression en lisant la presse magazine…

A mes yeux, les « tendances » sexuelles n’existent pas. Ce sont de purs concepts médiatiques. C’est bien le rôle des journalistes du couple, de l’amour et du sexe, d’inventer des « tendances sexo ». Il faut bien un « alibi » pour parler de sexe ! Et puis, il n’y aurait rien de plus déprimant finalement que de dire aux lecteurs : « Rien de nouveau sous la couette ». Alors on invente. On brode. On recycle. On appose le mot « nouveaux » devant des pratiques anciennes : les « nouveaux » échangistes ; les « nouveaux » polygames ; les « nouveaux » infidèles. La seule tendance valable en matière de sexualité est plus profonde. Aux grandes périodes libidinales de l’histoire suivent des périodes de retraits, où l’abstinence et la chasteté ressurgissent dans les arts et les écrits. Ce sont de grandes vagues. Et puis il peut y avoir des « tendances sexuelles » qui suivent certaines technologies : l’amour sur Internet par exemple. Ou bien l’apparition du Viagra et ses conséquences sur nos sexualités. Mais ces événements restent somme toute relativement rares.

Comment expliquer le phénomène « échangisme » alors, très présent dans les magazines il y a quelques années ?

L’alibi journalistique pour fréquenter des lieux « interdits », tester des pratiques ou multiplier des expériences est une réalité. Tous les journalistes sexo n’en ont pas besoin, certains assument leurs pratiques ou leurs fantasmes, mais ceux-là sont rares. La plupart admettent avoir proposé des papiers en conférences de rédaction uniquement pour avoir l’opportunité de tester un lieu ou simplement pour « aller voir ». C’est notamment vrai pour l’échangisme. Beaucoup de journalistes ayant écrit sur le sujet y ont d’abord été pour assouvir une curiosité personnelle. Ce qui, à mon sens, explique que l’échangisme ait rencontré un tel succès médiatique. Les médias ont fait de l’échangisme un véritable « phénomène de société » et, à lire les magazines, on a eu l’impression à une époque que tout le monde s’envoyait en l’air en boîte à partouzes. Or en réalité, l’échangisme n’a toujours concerné qu’un tout petit pourcentage de la population française… dont une poignée de journalistes.

Les rédactions ont-elles honte ou sont-elles fières d’accorder autant de place au sexe dans leurs journaux ?

Peu de rédactions assument leur parler sexe. Je dirai même que plus un magazine utilise le filon sexe pour vendre, et moins il l’assume finalement. C’est ce qui m’a le plus étonnée lors de mon enquête : que ce soient les journalistes, les rédacteurs en chef, les éditeurs ou même les lecteurs, personne n’assume finalement. Certains magazines féminins se cachent derrière l’idée qu’ils parlent « d’amour et de sentiments ». Et certains masculins derrière l’idée que ce qu’ils font est de « l’art » ou de « l’étude de société ».

Dans votre livre, vous dites que votre vie sexuelle a souffert de ce travail de terrain… Quels dégâts ont causé ces années de chroniques psycho-sexo dans la presse ?

Par provocation peut-être, cela m’a amusé de terminer le récit par l’idée que la journaliste devenait elle-même « coincée ». Ce final n’est pas gratuit ou voyeuriste. Si je l’ai fait, c’était pour appuyer l’idée que tout le monde, y compris la journaliste « sexo », a une sexualité mouvante. Ce livre s’interroge sur le danger des étiquettes sexuelles : « coincée », « libérée », cela ne veut rien dire ! N’importe quelle femme, au cours de sa vie, peut, d’une année à l’autre, d’un mois à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une minute à l’autre, d’un partenaire à l’autre, passer du statut de "libidinale" à "coincée". C’est aussi vrai pour les hommes. Nous sommes toutes et tous le « mauvais coup » de quelqu’un et le « meilleur coup » de quelqu’un d’autre. La sexualité est avant tout une rencontre entre deux personnes qui s’accordent, se complètent — ou pas. Mon livre est le récit d’une saturation mentale sur le sexe. A mon niveau, j’ai voulu incarner un phénomène médiatique : le trop plein de sexe. Après avoir abreuvé les gens sur la performance sexuelle à tout crin, on leur disait l’année dernière que « ne plus faire l’amour » était « à la mode ». Plusieurs bouquins sur l’abstinence ont été publiés et les articles sur le sujet se sont multipliés. Après les témoignages échangistes dans les médias, arrivaient ceux des hommes et des femmes qui ne faisaient plus du tout l’amour. Or l’abstinence n’était pas plus présente dans l’intimité des foyers l’année dernière que l’échangisme ne l’était il y a quelques années. Pourquoi ce revirement ? Parce qu’à force de se référer à un modèle sexuel extrême, on finit naturellement par se réfugier dans une coquille. C’est une forme d’autodéfense. Reste à savoir quelle mode sexuelle va poindre dans les médias dans les années à venir… On remarque que certains magazines féminins parient à nouveau sur le sentiment amoureux. On revient depuis quelques temps au sexe romantique avec un retour en couvertures de magazines des mots « Amour », « couple » ou « mariage ». Espérons que les magazines pour ados suivent. Rien de « réac » à cela : les ados d’aujourd’hui, bercés au porno, ont simplement besoin qu’on leur rappelle de temps en temps que la sexualité est avant tout reliée au sentiment amoureux.

[gris]Constance de Médina[/gris]

Commentaires (1)

  • dom

    tout à fait d’accord avec cette journaliste , après la lecture des articles parus dans la presse féminine les femmes ou les hommes ne peuvent que ressentir de la frustration du mal être quand elle se sera rendu compte qu’elle ne peut pas avoir plusieurs orgasmes en même temps ou qu’il n’est pas en capacité d’avoir plusieurs érections , le corps sexué est réduit à l’état de "machine" qui fonctionne bien ou qui fonctionne mal