Wonder Woman

Le 20/09/2021

Les femmes n’ont pas plus de super-héroïnes sur lesquelles se construire et se projeter, que de pornographie pour veiller sur leur libido.
Il y en a une, à laquelle de nombreuses féministes actuelles se raccrochent lorsqu’il faut trouver des iconographies sur la puissance des femmes : Wonder Woman.

Elle a été créée par un homme, le docteur William Moulton Marston, un psychologue multidiplômé de Harvard, précisément dans le but d’aider les femmes : « Wonder Woman était de la propagande psychologique pour le nouveau type de femmes qui, selon moi, devrait dominer le monde. » William Moulton Marston était un slasheur avant l’heure : avocat, scientifique et enseignant, il avait fait sa thèse sur la détection du mensonge selon les variations de la pression artérielle (raison pour laquelle on le crédite comme l’inventeur du détecteur de mensonges), était consultant psychologue pour Universal Pictures, avec qui il avait fait l’expérience de couper la scène finale d’un film pour mesurer le niveau de frustration du public. Il écrivait aussi des scénarios et partageait avec sa femme Elizabeth Holloway, avocate, la conviction que les femmes étaient plus justes que les hommes. En 1925, ils avaient mené une expérimentation pour prouver que les femmes pouvaient être des jurées plus fiables que les hommes. En 1929, il avait co-créé une société de production dont le premier scénario portait sur une femme indépendante économiquement et sexuellement, à une époque où certain.e.s pensaient encore que le féminisme était à classifier dans les perversions. La crise a empêché le projet d’aboutir.

En 1925, alors qu’il était marié, il a rencontré Olive Byrne à la fac. Il était son professeur de psycho, ils sont tombés amoureux, il a imposé le polyamour à sa femme et la présence de Byrne dans la maison, sous peine de partir (les deux femmes ont vécu plus de soixante ans ensemble). Le jour, il travaillait avec Olivia, le soir elle lui faisait découvrir des soirées où « les filles étaient conduites jusqu’à un couloir sombre, où on leur bandait les yeux et on leur attachait les bras ». Ils menottaient par exemple des volontaires pendant qu’elles regardaient un film, pour mesurer leur niveau d’excitabilité. Il pensait les brunes plus réactives et notait leur niveau d’agitation pour essayer de comprendre à travers elles les rapports de domination et soumission. Le trouple a duré jusqu’en 1933, chacune faisant deux enfants. Byrne, journaliste sous le pseudo d’Olive Richard, est restée à la maison pour élever les quatre enfants alors qu’elle appartenait à une grande lignée féministe – elle était la nièce de Margaret Sanger, et sa mère avait aidé cette dernière à ouvrir la première clinique de contrôle des naissances et à distribuer des contraceptifs. Byrne avait failli perdre sa mère et pourtant elle s’était trouvée à travers un choix contraire à celui des femmes de sa famille, laissant son flambeau féministe à un homme polyamoureux (et qu’aurait-il fait si une des deux femmes avait importé dans le cercle un autre homme, posant les mêmes exigences, accepter ou partir ?).

Dans les années 40, les bandes dessinées étaient décriées à cause de leur violence et les médias appelaient à les bannir pour éviter la violence chez les nouvelles générations, comme aujourd’hui avec les jeux vidéo. Maxwell Charles Gaines, un ancien directeur d’école qui avait plus ou moins inventé la bande dessinée et fondé All-American Comics (devenu ensuite DC Comics), a engagé Marston comme consultant pour redresser la barre après avoir lu dans la presse les commentaires positifs de Marston sur l’impact des comics sur la jeunesse. Gaines ne savait rien de sa vie privée, il cherchait juste quelqu’un pour son comité éditorial, chargé de valider ses nouvelles sorties et de les assurer d’un label de conformité. Puisque le reproche principal était la violence, le goût du sang et la maltraitance des femmes, Marston a recommandé de créer une super-héroïne. Gaines, qui avait déjà Superman à son catalogue de succès, accepta à condition que Marston l’écrive. Dans le pitch de départ, en 1941, Wonder Woman a un lasso magique qui force à dire la vérité (les vieilles obsessions resurgissent) et de larges bracelets résistants aux balles, directement inspirés de ceux qu’Olivia Byrne a porté toute sa vie. Wonder Woman, à l’image des héroïnes de la Grèce Antique, avait été captive, enchaînée, et s’était échappée avec d’autres. Ces nouvelles femmes libérées et renforcées par leur autonomie avaient développé d’énormes pouvoirs psychiques et physiques.
Le communiqué de presse disait que « Wonder Woman a été conçue par le docteur Marston dans le but de promouvoir au sein de la jeunesse un modèle de féminité forte, libre et courageuse, pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes filles la confiance en elles et la réussite dans les sports, les activités et les métiers monopolisés par les hommes  ». Pour Marston, elle était « de la propagande psychologique pour le nouveau type de femmes qui devraient, selon [lui], dominer le monde ».
Dans les premiers dessins faits par Harry G. Peter, elle portait un bustier rouge, une tiare en or, une culotte bleue et des cuissardes rouges. Être sexy n’allait pas l’empêcher de combattre le fascisme par le féminisme en Amérique, « la dernière citadelle de la démocratie, et des droits égaux pour les femmes ». En 1942, une organisation pour la défense d’une littérature décente blacklista DC Comics, car Wonder Woman était trop dévêtue. Gaines se tourna vers Lauretta Bender, professeur en psychiatrie et psychiatre à New York. Elle était spécialisée dans les traumas des enfants et avait démontré que, comme les contes de fées, les super-héros aidaient les enfants à surmonter certains traumatismes. Malgré tout, les critiques continuaient de pleuvoir du côté des femmes, tant Wonder Woman était ligotée, enchaînée, maltraitée. Dans les scénarios originaux aujourd’hui disponibles dans certaines grandes bibliothèques américaines, on peut lire les instructions données au dessinateur sur la façon dont les chaînes devaient être mises, autour du cou, sur les poignets, à la hauteur des seins, aux chevilles… Marston aimait le bondage et avait balayé d’un revers les critiques. Dorothy Roubicek, qui travaillait chez DC Comics et avait inventé la kryptonite pour Superman, alla voir Bender qui confirma son intuition : non, les femmes n’avaient pas d’attrait particulier pour le masochisme et le sadisme. Bender trouvait que l’histoire telle qu’elle était, reflétait une vérité : la différence des sexes n’était pas un problème sexuel ou la lutte pour une supériorité, mais un problème de relation entre les sexes. Sur ses conseils, Wonder Woman devint une héroïne à part, dans une histoire à part, et les chaînes ont été remplacées par des cordes. Marston, dont les liens avec Margaret Sanger n’avaient jamais été rendus publics, avait été influencé par son mouvement de contrôle des naissances, par les suffragettes et par le féminisme. Or toute l’iconographie et les actions de ces mouvements utilisaient les chaînes, dont il fallait se libérer. Sanger n’avait-elle pas dit : « Pendant que les hommes se dressent fièrement face au soleil, en se vantant d’avoir mis fin à l’esclavage, quelles chaînes d’esclavage sont, ont été ou pourraient jamais être pire horreur que les chaînes sur chaque membre – sur chaque pensée – sur l’âme même d’une femme enceinte malgré elle ? » En 1928, elle avait aussi publié un livre, Motherhood in bondage (La maternité enchaînée), compilation des milliers de lettres qu’elle avait reçue de femmes, qu’elle décrivait comme les confessions de femmes esclaves.

Marston a continué d’insister sur l’importance des cordes, sans rien révéler de l’influence de Sanger sur son personnage. Il est mort en 1947, sans que cela fasse taire la haine des conservateurs. En 1954, un psychiatre a publié un livre qui l’a conduit au sénat pour dire à quel point les bandes dessinées corrompaient la jeunesse et en particulier cette Wonder Woman, dont le féminisme était répugnant et n’aidait pas les femmes à trouver leur place au foyer, cette « tendre place de mère  ». Bender avait beau répondre que c’était plutôt les mères de Walt Disney qui étaient dangereuses pour les petites filles, toujours tuées ou envoyées à l’asile, elle n’a pas été pas entendue. La Comics Magazine Association of America exigea que dorénavant, les bandes dessinées ne montrent plus ni sexe, ni sang, ni violence, sadisme ou masochisme, « le traitement des histoires d’amour devra souligner la valeur du foyer et la sainteté du mariage ».

Après la guerre, les femmes ont été priées de quitter leurs emplois, celles qui résistaient on vu leur salaire diminuer. Wonder Woman a connu la même vague de creux, devenue tour à tour baby-sitter, mannequin et actrice, calée sur son époque.

Texte extrait de :
"Un matin, j’étais féministe" de Sophie Bramly
288 pages
Éditions KERO (01/03/2019)