Sade, les pulsions, la peinture

Le 01/11/2014

Comment peindre la testostérone, comment figer les pulsions dans une pose picturale, comment transcrire la puissance de cet élan ? Annie Lebrun, commissaire de l’exposition sur Sade, actuellement au Musée d’Orsay, a voulu montrer comment à partir de l’oeuvre de l’écrivain, les artistes ont cessé de puiser dans les riches histoires des mythologies grecques et romaines pour ouvrir les portes invisibles de la bienséance, et puiser leur inspiration dans le magma bruyant de leur pensée libérée.
Car pour Sade, il est évident que "l’origine de la pudeur ne fut, soyons-en sûrs, qu’un raffinement luxurieux : on était bien aise de désirer plus longtemps pour s’exciter davantage, et des sots prirent ensuite pour une vertu ce qui n’était qu’une recherche de libertinage".
Au début du XXe siècle, le critique italien Mario Praz avait fait un inventaire des oeuvres marquées par l’influence capitale de Sade dans la littérature. Annie Lebrun fait le même exercice dans cette exposition, mais appliqué à la peinture. Elle montre la "révolution des profondeurs", - pour reprendre son expression - et quel apport majeur "a été de ramener peu à peu dans la lumière ce qui était occulté ou à la marge".
L’exposition offre à voir une abondante sélection d’artistes majeurs des trois précédents siècles, Courbet, Rodin, Fragonard, Degas, Ingres, Gustave Moreau, Odilon Redon et ceux que l’explicite excite : André Masson, Man Ray, Dali, Hans Bellmer, Picasso ...
Les femmes peintres sont peu nombreuses et donc peu présentes, mais elles font parfois mieux ressentir la violence sourde des pulsions. L’affolement et la puissance des sens y est parfois plus palpable que chez d’autres, où la pose du modèle semble avoir figé le désir. Par gourmandise, on aurait voulu voir, trônant au milieu des autres "Judith & Holopherne", celle d’Artemisia dont la force est prodigieuse.
Si les livres de Sade injectent des doses puissantes et massives de testostérone et décapitent les esprits vertueux pour suivre librement les trajectoires pulsionnelles, Picasso fait admirablement écho, en images, à cette vigueur monumentale. Appolinaire, qui a autant mis en lumière les livres de Sade qu’il a initié Picasso à celui-ci, forme un trait d’union entre ces deux monuments. D’ailleurs, avec un trait d’humour, le collectionneur "Mony Vibescu", qui a prêté un nombre important de tableaux pour cette exposition, ne s’y est pas trompé empruntant le nom du héros des "Mille et une verges" ...
Une question se pose : des deux artistes majeurs du XXe siècle, l’un - Picasso - a-t-il peint la puissance du désir, pendant que l’autre - Marcel Duchamp - réfléchissait à la période réfractaire qui suit, ce moment suspendu où se pose de façon sourde, les hommes, la question de savoir quand et comment faire renaître le désir ?
Un plaisir luxurieux s’impose : celui d’aller voir l’exposition.

14 octobre 2014 - 25 janvier 2015
Musée d’Orsay
62, rue de Lille
75007 Paris
Ouvert de 9h30 à 18h du mardi au dimanche

© illustrations Musée d’Orsay : Picasso "Etreinte III", Marcel Duchamp "Objet-dard".