Exhibitionnistes : le désir dans les yeux

Le 22/04/2009

Prenant le risque d’être arrêtées pour trouble de l’ordre public, elle jouissent d’être – un peu, beaucoup, passionnément - nues dans les endroits les plus incongrus. L’exhibitionnisme, pour elles, c’est le plaisir de se mirer… dans les yeux du désir. Une manière de flirter à distance, dans le domaine du pur fantasme, avec l’idée que tous les hommes pourraient être nos princes aimants.

Quand un homme s’exhibe, il tire son plaisir de la frayeur et du traumatisme qu’il inflige. Caché dans l’encoignure d’une porte cochère, il surgit devant une jeune femme, écarte les pans de son manteau, ou baisse son pantalon sous ses yeux, avec l’espoir de la choquer. La meilleure parade contre cet agresseur ? L’indifférence. On sait d’ailleurs que si les femmes restent de marbre à la vue du pervers – quelle douche froide - cela peut le conduire à suivre une thérapie ! Quand une femme s’exhibe, en revanche, il est extrêmement rare qu’elle le fasse dans le but d’effrayer. Personne ne se sent agressé quand une femme montre sa poitrine en public. « La femme peut difficilement blesser avec son sexe, explique Jacques Waynberg, sexologue. Elle ne peut ni violer, ni porter atteinte à l’intégrité d’une personne. Le corps de la femme – érotique, vulnérable - amène ainsi l’exhibitionnisme féminin à être davantage perçu comme un fait excitant plutôt que dangereux ». Toute la différence est là : une femme qui s’exhibe le fait par séduction.

Pour provoquer le désir des hommes et se mirer dans leurs regards, elle tourne sur elle-même et jouit de faire la roue devant ces yeux qui lui renvoient l’image démultipliée du désir qu’elle a d’être belle… Dans Psychanalyse du Feu, Bachelard compare ainsi la queue du paon à un rêve d’exhibitionnisme absolu et triomphal. « Chaque plume est couverte d’oeils que l’on appelle des « miroirs », dit-il. Les yeux des plumes de paon, sont des yeux permanents qui ne se ferment jamais, répartis en multiples sur des plumes incurvées qui forment comme une coquille, un récepteur-émetteur, un miroir concave. La pavane, c’est participer à la volonté du beau… » Pour Bachelard, la parade amoureuse du paon – par sa puissance d’ostentation – rappelle le désir, secrètement logé en chacune d’entre nous, d’être au centre du monde, l’objet de convergence de regards enflammés… Et c’est peut-être ce désir qui nous rend si faibles et si folles, car pour plaire nous sommes prêtes à tout.

L’exhibitionnisme se définit en trois mots : « Sexualité de l’œil ». Le plaisir procuré est celui de la pulsion du voir, ce que Freud nommait la « Schaulust ». Les adeptes de cette pratique tirent une satisfaction extrême du fait d’imposer aux autres la vue de leur corps sexué. Ces expositions se situent, la plupart du temps, en dehors des convenances courantes. Mais dans certaines cultures, sous le nom de podeiktophilie, elles font partie de rites sacrés. La podeiktophilie est le fait de montrer ses parties génitales ou toute autre partie du corps généralement cachée. « La podeiktophilie fait historiquement partie des rituels religieux, explique Brenda B Love dans Le Dictionnaire des Fantasmes : les prêtres de l’Inde marchent nus dans les rues pour appeler les femmes dévotes à se rendre au temple ! Et en Afrique, c’est une manière d’adorer les dieux de la fertilité... » Dans les cultures polythéistes, la nudité en public peut donc avoir valeur de déclencheur : ne s’agit-il pas de provoquer le choc d’une illumination ? d’une révélation sacrée ? L’exposition des phallus de pierre ou des statues de déesses aux cuisses ouvertes, dans les temples shinto japonais, procède de la même logique : le sexe nu a des vertus magiques, revivifiante, fécondante… Il suffit de le voir pour être littéralement contaminé par sa puissance !

En Occident, les danses de possession et les bacchanales paiennes ne survivent pas à l’apparition du monothéisme. Dans notre culture judéo-chrétien, l’exhibitionnisme - diabolisé – n’est plus qu’une transgression. Au XIXème siècle, elle est classée par les médecins au rang de pathologie. Ils inventent des termes barbares pour désigner ses manifestations et parlent d’ « édyose » pour stigmatiser ses effets… “Edyose” : excitation née de la mise à nu. Au début du XXème siècle, cette excitation, jusqu’ici réprouvée, peut enfin se donner libre cours : en 1905, à l’époque où les dessous tentent, pour la première fois de gommer toutes les formes, Freud élabore sa théorie du refoulement et le tout-Paris se précipite au "Coucher d’Yvette", le premier spectacle de strip-tease en France. Les inhibitions sautent. Les mœurs se libèrent… La transgression devient jouissive. O combien ! Sous le nom de streaking, dans les années 60, elle permet de faire la nique aux « bonnes mœurs » avec une jubilation contagieuse. Le streaking se définit comme le fait de marcher nu ou d’exhiber sa tenue d’Adam dans des lieux publics. D’abord pratiqué par les hippies dans les années 60 par rejet du conformisme bourgeois, le streaking devient le moyen le plus pacifiste et « love » de faire la guerre aux tabous.

Le militantisme, dans les années 2000, s’empare de ce goût universel pour l’exhibitionnisme. Quand les gays et les lesbiennes veulent obtenir le droit à la reconnaissance, ils organisent une randonnée cycliste nue. Quand un artiste comme Spencer Tunick veut faire une œuvre d’art engagée, il rassemble jusqu’à 18000 volontaires nu(e)s pour une photo de groupe : tout le monde à poil. Quand des femmes politiques ou des mannequins célèbres veulent protester contre le commerce des fourrures, elles n’hésitent pas non plus à se montrer comme au premier jour… Les corps s’exhibent pour la bonne cause. Il devient si courant de voir des anatomies – plus ou moins dénudées par l’art, la pub, la politique ou le cinéma – que les exhibitionnistes « érotiques » finissent par avoir droit, eux (elles) aussi, de cité… Sur les plages nudistes, dans les clubs échangistes ou dans les camps naturistes, ils/elles peuvent enfin se livrer à la caresse du vent, du soleil et des regards si titillants, sans être condamnés par la loi.

Mais l’indice le plus révélateur de cette libération des moeurs est probablement le « dogging ». Le dogging est une pratique sexuelle (et visuelle) consistant à regarder des femmes s’exhibant ou faisant l’amour dans des véhicules en stationnement. Quelques endroits dans certaines villes du monde sont connus pour proposer la nuit ce genre de spectacles. A Paris, il existe près du périphérique intérieur une "rue des hommes qui se branlent" : ils attendent sur le trottoir, le sexe à la main, que des couples en voiture viennent se montrer devant eux. La police cependant les poursuit quand leurs pratiques attirent trop de monde… Ils investissent alors certaines parties du bois de Boulogne, ou vont se réfugier – comme à Londres – dans des cimetières qui deviennent le lieu d’étranges chassés-croisés. Dans un jeu de cache-cache excitant avec la loi et avec la honte, de nombreuses femmes s’exhibent couramment sur le bord des autoroutes, ou sur les ponts (au moment où passe un navire), ou dans la semi-pénombre des portes cochères… Elles opèrent comme les papillons : volatiles, mobiles, n’offrant la vision furtive de leur nudité que le temps d’un flash. On se demande si on a rêvé.

Des centaines de livres ont été publiés sur l’exhibitionnisme féminin et des milliers de sites internet sont tout entier consacrés à cette seule pratique. Impudiques, les femmes ? Toujours ! Les photographes en profitent. A Paris, le plus célèbre d’entre eux - Marc Rivière, auteur de Up and Down – s’est fait une spécialité des plus jolies poitrines de la capitale. Souriant gentiment, il demande parfois à des passantes : « Mademoiselle, s’il vous plait... Vous voulez bien me montrer vos seins ? ». Et ça marche. Devant les grands monuments ou au coin des avenues, elles ouvrent leur chemisier. Clic-clac, dans la boite. A Bordeaux, Jérôme traque depuis 2 ans les jolies femmes et il en a déshabillé près de 1000 ! « Ma démarche est d’aborder une inconnue dans la rue et de lui proposer de dévoiler une partie de son corps, explique-t-il. Cette incitation à l’exhibitionnisme lui laisse libre choix de la partie plus ou moins explicite à dévoiler ». Neuf fois sur dix, les filles dévoilent leurs seins ou leurs fesses, parfois même leur sexe en éclair… Elles n’ont pas peur. Pire : elles aiment ça.

Sans aller jusqu’à dire que l’exhibitionnisme est une pratique naturelle chez la femme, il semblerait qu’on le soit toutes, un petit peu, au fond de nous. A quoi bon mettre nos plus jolis dessous, s’il n’y avait pas la tentation de les montrer ? A quoi bon les jupes fendues ou les décolettés titillants ? Sous sa forme la plus courante, l’exhibitionnisme consiste à se promener nue dans l’appartement… Un voisin de l’immeuble d’en face vous a vue ? Oups. Mais c’est si excitant que vous recommencerez. Quand la mode le permet, beaucoup de femmes montrent leur ventre et leurs cuisses, pour se livrer – tout aussi innocemment – au plaisir de se sentir attirante. Sous sa forme plus explicite, l’exhibitionnisme relève du préliminaire et agit sur les sens comme un aphrodisiaque. Ce jeu de stimulation fonctionne généralement dans le cadre du couple : il est rare que les femmes s’exposent seules, car c’est trop dangereux. Accompagnées de leur bodygard – mari ou amant – elles s’amusent à se dévoiler afin que, stimulé par le désir des autres hommes, leur excitation s’en trouve décuplé. C’est la triangulation du désir…

Kathy connaît bien ce principe géométrique de la triangulation : elle s’exhibe par amour, depuis plus de 20 ans, parce que c’est devenu dans son couple le moyen le plus efficace de « maintenir la flamme ». Si plusieurs hommes sont attirés par une femme, elle prendra d’autant plus de valeur aux yeux de celui qu’elle poursuit. Voilà pourquoi certaines amoureuses montrent si peu… de réserve, en présence de leur compagnon. Kathy, par exemple : pour plaire à son mari voyeur, elle porte en permanence une robe trop courte et un grand manteau. « La première fois, c’était avenue de Vincennes, Didier a arrêté la voiture et m’a suggéré d’enlever ma jupe pour faire quelques pas sur le trottoir. Je ne portais pas de culotte, raconte-t-elle. D’ailleurs je n’en porte plus. Ca m’a tellement plu qu’on n’a plus jamais arrêté : sur les quais de Seine, dans des supermarchés, au cinéma, dans des restaurant chics, partout dans les rues de Paris… Les gens restent discrets. Ils détournent le regard ou ils profitent de loin, à la dérobée. Ils comprennent que je m’exhibe pour Didier, pas pour eux. Et ils respectent ça. »

L’amour courtois n’est donc pas mort ? Pour Kathy, très poétiquement, l’exhibitionnisme c’est l’hommage galant que la femme rend à l’élu du cœur. Quand elle se découvre, l’espace d’un regard, elle accorde à l’homme la faveur d’une offrande visuelle, qui préfigure symboliquement un abandon plus complet… C’est sa façon de faire la cour. Voilà pourquoi l’exhibitionnisme dépasse largement le statut de la gaudriole : c’est un devoir moral, une démonstration de savoir-aimer, un témoignage délicat de déférence à l’égard des hommes. Ne méritent-ils pas une danse de séduction ? Parce qu’il se bat pour le droit d’être sensible, le sexologue Jacques Waynberg fait partie des plus grands défenseurs de l’exhibitionnisme : « Faire l’amour directement, sans longs préliminaires, est le symptôme manifeste d’une carence dans l’art de plaire, explique-t-il. C’est un manque flagrant de savoir-vivre amoureux ». Sous-entendu : Ne croyez pas qu’il vous suffit, pour séduire, d’avoir un bonnet C. Encore faut-il savoir en jouer.

Les femmes devraient toujours savoir se faire désirer. Car les mâles ne sont pas que des sexes. Eux aussi ont un cerveau, mais surtout des yeux. Les exhibitionnistes le savent bien. C’est pour ça qu’elles se contentent d’exposer, de loin, des visions de rêve, des éclairs de strings entre deux cuisses dénudées ou des envols de fesses sous la corolle d’une robe trop légère... Leur corps devient alors presque secret, comme une boite de Pandore à peine entrouverte sur ses trésors cachés. Et tout l’attrait de cette sexualité furtive consiste à imaginer le reste. Les exhibitionnistes nous réapprennent à désirer… à désirer dans l’absolu, follement ou secrètement. A désirer dans l’imaginaire, le non-dit et la nuit. Comme sur ces photos de Jérôme, où des filles sans visage se cachent derrière leur anonymat.

[argent]Agnès Giard

BIBLIOGRAPHIE :
Psychanalyse du feu de Gaston Bachelard, éditions Idées, NRF
Les idées reçues sur la sexualité de Jacques Waynberg, éditions Hachette.
Dictionnaire des fantasmes et des perversions de Brenda B. Love, éditions Blanche.
Up and Down de Marc Rivière, éditeur “Eye Wink Series” chez Ipso Facto Publishers NYC. [/argent]

Commentaires (1)

  • jakou

    Très bon exposésur un sujet brulant et délicat que je trouve un peu Freudien
    Le récit de Katy est plus réaliste et terre à terre mais là est bien le sujet :le femme comme tooutes les femelles du monde animalest la seule maitre du j,eu de la séduction
    Elles l’ont un peu oublié mais quand une femme est "chaude" elle émet un rayonnement que le l’homme comme tout etre animal reconnait aussitot. Tout change étant cchaude la démarche, le comportement sans oublier ses odeurs
    Les femmes ont un peu perdu ces principes déjà en se parfumant,mais aussi en"forcant" sur la tenue vestimentaire et la dématrche

    autre point non évoqué : s’il est vrai que tous les vices décrits ci-dessus sont vrais et très jouissant nous en pratiquons un autre qui en découle directement c’est celui de s’exiter tous les 2 en draguant un partenaire pour ensuite l’amener a faire l’amour à 3
    Par exemple nous allons ensemble a un dancing ou nous dansons aensemble mais aussi avec d’autres en draguant ou se laissous avons selectionn er un ou une partenaire poten tielle nous lui offrons de nous suivre. Il est vrai que par gout mutuel ce sont àç 90% des hommes.Sur la piste ily a forcement exhibition déjà pour le concubin ’e) qui doit suivre l’évolutionet se monter en température et aussi pour connaitre les qualités du futur ce qui n’échappe pas toujours aux voisins.