Eliette Abécassis

Le 20/04/2009

Peu d’intellectuelles se penchent aujourd’hui sur la place des femmes dans la société. Aussi, quand un essai paraît sur le sujet, il est de notre devoir de nous y arrêter. Les mentalités ont évolué, des mutations personnelles, familiales et professionnelles se sont produites, et de nouveaux problèmes ont surgi. Sans avancer de réelles solutions, Eliette Abécassis et Caroline Bongrand, dans leur Corset Invisible, font un état des lieux de la condition féminine aujourd’hui et tentent de comprendre ce qui ne va pas : « La femme moderne se voulait libérée, elle se retrouve « esclavagisée », prise dans un corset, mais un corset invisible ». Eliette Abécassis s’explique sur ce corset invisible et ses contraintes ainsi que sur cette envie de créer « un manifeste pour une nouvelle femme française ».

Après Un Heureux Evénement qui menait à mal l’image épanouie de la femme enceinte et de jeune maman, Le corset Invisible démontre à quel point les femmes « libérées » sont emprisonnées mais de manière plus incidieuse qu’auparavant. D’où vous vient cette envie d’écrire sur la condition de la femme ? Faire avancer les mentalités ou être une observatrice de la société ?

J’ai toujours voulu écrire sur la condition de la femme, depuis que j’ai lu Simone de Beauvoir lorsque j’étais adolescente, c’est un sujet qui me concerne et qui me passionne. Je rêve de faire avancer les mentalités, et je pense que malgré tous les progrès accomplis, il faut encore poursuivre le combat pour la libération de la femme. C’est venu d’une longue réflexion et d’un sentiment de révolte et d’abandon que ma co-auteur Caroline Bongrand et moi-même avons remarqué chez beaucoup de femmes. C’est aussi né de la rencontre entre deux femmes, Caroline et moi, de notre échange sur beaucoup de sujets concernant la condition féminine.

Qu’est-ce que ce corset invisible exactement ?

Le corset invisible, c’est l’aliénation intérieure dont sont victimes les femmes qui ont repris à leur compte une image négative d’elle-même. C’est toutes les tyrannies qui sont exercées sur le corps de la femme aujourd’hui, dictature de la minceur, horreur de l’âge et peur du vieillissement, asservissement aux tâches ménagères et parentales, etc…

Notre site s’appelle Second Sexe, en hommage à Simone de Beauvoir. Où vous situez-vous par rapport à l’héritage du Deuxième Sexe ?

Nous nous situons dans la lignée du Deuxième Sexe, une lignée critique et dynamique : critique car nous pensons qu’il y a eu certaines erreurs théoriques et pratiques, certains effets pervers ; mais nous sommes dans le combat pour la femme.

Il y a aujourd’hui un déficit de débat d’idées en ce qui concerne la place de la femme dans la société. Votre ouvrage tombe à pic car il correspond à une demande. Pensez-vous que les intellectuelles ont un rôle à jouer ? De qui vous sentez-vous proche aujourd’hui en ce qui concerne ce combat ?

Les intellectuelles ont certainement un rôle à jouer. Il faut le faire, sans préjugé, sans pensée correcte, librement. Ce serait bien de le faire, au lieu de s’épancher sans fin sur ses petites misères personnelles. Un peu de sens collectif et politique ne nuirait pas, c’est dans ce sens que nous avons écrit ce livre, pour réveiller les consciences, pour changer les mœurs, les mentalités et les politiques.

La vraie libération de la femme ne passe-t-elle pas par une prise de conscience individuelle avant d’être collective (refuser le ton des magazines féminins tel qu’il est aujourd’hui, ne pas se laisser influencer par la vogue des « bébés-sacs à main », ne pas se persuader que toutes ses voisines sont forcément multi-orgasmiques…) ?

Exactement. Il faut se libérer de tous ces corsets invisibles qui nous entravent et nous empêchent de respirer. Faire des régimes, sinon on se trouve laides, se refaire les seins, se faire injecter de la graisse qu’on nous enlève parce que nous n’avons pas le droit d’être rondes, d’être vieilles, d’être tout simplement, des femmes. On cherche à gommer tous les signes de la féminité, on nous inculque des maladies que nous n’avons pas, qui s’appellent par exemple « la ménopause », ou « la cellulite ». Et finalement les femmes à force d’hormones finissent par attraper des maladies bien réelles. Une prise de conscience individuelle est nécessaire pour se libérer de cette aliénation que nous avons intériorisée au point de devenir nous-mêmes notre propre bourreau.

La 4ème partie du livre réunit des portraits de femmes de chaque génération (30, 40, 50 , 60, 70). Les témoignages de ces femmes, chacune avec leurs rêves, leurs espoirs et leurs désillusions, sont beaucoup plus encourageants et optimistes que le constat que vous en faites dans la partie sur l’esclavage moderne. Même si effectivemment, la multiplication des rôles n’est pas facile, la plupart des femmes ont-elles choisi de prendre sur elles et d’avancer ?

Comme le montrent nos interviews, les femmes sont formidables ; elles prennent sur elles, sans cesse, pour être parfaites : bonnes mères, bonnes épouses, bonnes travailleuses, et femmes d’intérieur. Elles sont là sur tous les fronts, souvent sans se plaindre. Souvent elles n’ont pas le droit ou le temps de se plaindre, alors elles avancent, dans leur mariage, leur célibat ou leur divorce, la tête haute. Nous avons voulu saluer leur courage.

Comment expliquez-vous qu’avec tout ce qu’elle traverse, la femme reste une éternelle idéaliste ? Est-ce finalement sa force ?

Nous avons remarqué en effet que les vieux mythes de la femme persistent : le mythe du Prince Charmant, le mythe du mariage, des enfants, et même le mythe de la grand-mère gâteau… La femme, même dans cette période désenchantée, même après divorces, séparations, abandons, reste dans l’attente de celui qui saura la comprendre et la rendre heureuse. Cela vient d’où ? Je ne sais pas. Des histoires de notre enfance, et de cette relation particulière qu’a la femme à l’absolu, depuis les grandes mystiques aux femmes parfaites d’aujourd’hui. Et de cette propension incroyable au sacrifice.

Vous dites que le sex toy, c’est « l’homme réduit à sa plus simple expression, l’homme qu’on peut sortir d’un étui quand on en a besoin , puis ranger ». Est-ce vraiment cet homme-là qui fait cruellement défaut aux femmes ?

Non, c’est un peu ironique. Justement, nous pensons que la femme a besoin d’un homme, un vrai. Que chacun doit rester lui-même sans tenter de singer l’autre.

Le sex toy, comme son nom l’indique est un jouet. Et il a toujours été plus drôle de jouer à 2 que de jouer tout seul. Pourquoi le sex toy n’est-il envisagé que comme un substitut du sexe de l’homme et non comme complément à une sexualité de couple ?

Dans notre enquête, menée auprès des vendeurs et des usagers, nous avons remarqué que bien souvent, il est utilisé par des femmes seules. C’est cet usage qui nous a intéressé dans sa signification sociologique. Le fait que des femmes, tellement déçues des hommes, finissent par vouloir se passer d’eux.

Dans votre livre, les femmes, plus victimes que jamais, semblent porter le malheur du monde sur leurs épaules et les hommes être complètement à côté de la plaque. Avez-vous noirci le tabeau pour que les hommes comprennent ce que les femmes vivent et qu’ils se remettent en question ?

Je ne crois pas que nous ayons noirci le tableau. Notre regard est plutôt lucide, ce qui le rend parfois implacable. Je pense que quand on est femme, on est toujours perdante. Tout joue contre nous : la maternité, la non-maternité, le mariage, le célibat, le temps aussi, joue contre nous. C’est pour cette raison qu’il faut continuer le combat pour la femme.

A la dernière page du livre, vous écrivez « Il faut que la société s’engage pour défaire ce corset invisible ». Entrevoyez-vous des solutions ?

Oui, il faut un changement de mœurs et de mentalités, à travers la publicité et les magazines féminins qui sont la Bible de notre époque. Egalement, des mesures politiques comme l’allongement du congé maternité pour celles qui veulent, l’augmentation du nombre de crèches, il y a tant de choses à faire pour améliorer le quotidien de la femme.

Tant que les gouvernement ne prendra pas position, rien ne bougera. Faut-il organiser des manifs et, au lieu de brûler les soutien-gorges, faire pression sur le gouvernement pour qu’il légifère sur les crèches dans les entreprises par exemple ?

Je crois que oui. Il faut peser sur les politiques pour qu’ils trouvent des solutions qui soulagent les femmes et leur permettent d’avoir des enfants en toute sérénité, si elles le veulent.

Louis Aragon disait que « La femme est l’avenir de l’homme ». Aujourd’hui, peut-on penser que l’homme est l’avenir de cette nouvelle femme française (un homme qui a digéré toutes les mutations de la femme, les accepte et s’adapte à cette nouvelle donne) ?

Cet homme-là, existe-t-il ?

Petite anecdote : Vous avez choisi L’envie d’aimer de la comédie musicale Les 10 commandements comme chanson-symbole de la femme de 30 ans. La réalisatrice Lisa Azuelos a aussi choisi cette chanson comme référence à cette tranche d’âge dans son film Comme t’y es belle ! sur la difficulté à vivre ses espoirs de femme (juive ou non) aujourd’hui. Coïncidence ?

Nous avons vu le film et l’avons beaucoup aimé, parce qu’il décrit d’une façon très juste le quotidien des femmes. En y réfléchissant et en menant une enquête autour de nous, nous avons constaté en effet que cette chanson était parmi celles que préféraient cette tranche d’âge.

Constance de Médina