Du cannibalisme amoureux

Le 27/11/2013

On parle d’appétit sexuel. C’est vrai. Après avoir fait l’amour, je n’ai plus faim. Pourtant l’appétit revient toujours. Toujours trop vite. Cet appétit insatiable me rend la vie dure. Je ne vis que pour le satisfaire. Pour ce faire, il faut que je me nourrisse. De ta chair, de tes membres, de ton squelette. Il faut tout finir, ne rien laisser dans l’assiette qu’est ce lit. Les draps sont blancs. Comme la porcelaine des vaisselles précieuses. Mon désir vient de la faim. Je dois dévorer pour jouir. Je ne frôle jamais l’indigestion, quel que soit mon partenaire, toujours la dénutrition. Ce n’est jamais trop, c’est toujours trop peu.
Je suis allongée sur le lit, mes fesses contre le matelas, collées, serrée contre le coton. Ma poitrine sort de mon corps, elle s’en arrache. Mon dos est creusé, ma tête jetée en arrière. Les seules parties de mon être qui touchent le lit sont mon crâne, le bas de mes reins et mes talons enfoncés dans les draps. Trois points. Je suis perforée à trois endroits où mon excitation se sature, se densifie allègrement. Dans mon crâne le sang cogne à mes tempes. Dans le creux de mes reins les gouttes de sueur commencent à former une mare. Mes talons appuient avec violence comme pour casser le sommier.
Je n’ai jamais eu aussi faim.
Tu es face au lit, debout, tes pieds ancrés dans le sol, plaqués au parquet. Ton torse est galbé. L’ivresse de ta virilité qui se réveille te tend les muscles. Tes veines saillantes vont bientôt exploser. Ta tête est baissée de façon à ce que tes yeux puissent me fixer. Je ne te vois pas mais je sens ton regard me sonder, me fouiller presque. Ta respiration est haletante. Dans la pénombre, la carnation de ta peau revêt des nuances de gris. Tes jambes indestructibles se dressent comme les piliers des temples antiques. Ton bas ventre brûle.
Mes cuisses s’écartent de façon à n’être plus qu’une immense bouche béante.
Je sens un poids énorme. Ecrasant. Chaque millimètre de ta peau touche maintenant la mienne. Nos corps se frottent, se râpent, et toute ma chair est irriguée, à vif. Tes mains empoignent mes fesses. Les os de tes poignets rentrent dans la peau tendue entre mes reins. Mes bras serrent tes pectoraux jusqu’à l’extrême. Tes dents exercent des pressions régulières sur mon épiderme. Ta bouche est dans mon cou. La mienne est ouverte. Complètement. Elle n’est remplie que d’air, et attend son dû.
Je n’ai jamais eu aussi faim.
Tu penses dominer. Tes mouvements frénétiques et saccadés rythment la danse. Je disparais sous ton corps. Seuls mes jambes repliées laissent jaillirent mes genoux. Et ma nuque jetée vers l’arrière se dégage tant bien que mal de cet enchevêtrement qui devient fusion. C’est toi qui entre en moi, tout comme la nourriture entre dans la bouche. Et c’est moi qui m’alimente. Tout comme la nourriture vient à la bouche avant d’être ingérée, tu es venu à moi. Te faire absorber, digérer. Chacun de tes membres pèse plus de dix kilos. Mes pieds se crispent jusqu’à m’en donner des crampes. Mes seins sont plus de durs que de la pierre et ne s’écrasent pas sous ta force. Ton ventre et le mien ne se détachent plus. Tes os cognent les miens. Mes adducteurs s’étirent à se déchirer, presque. Tu jouis de cette étreinte aux saveurs corsées. Mes papilles ne demandent qu’à enfin déguster ce festin.
Je n’ai jamais eu aussi faim.
Je veux consommer ce corps entier qu’est le tien. J’ouvre ma bouche à m’en décrocher la mâchoire et le son de mes cris déchire le silence. Je suis en train d’engloutir toute ta personne sans que tu ne t’en rendes compte car trop concentré sur les mouvements frénétiques de ton bassin. Ton visage est crispé et la sueur ruisselle abondamment de ta nuque à tes fesses.
Tu viens de te vider.
J’ai tout avalé. Tout pris à ce corps, tout dévoré de cette écorce. Les forces viennent à te manquer. Moi, je suis envahie d’une énergie sans pareil. Mon corps se raidit tout entier, d’un coup, et ainsi repousse ta chair amollie depuis quelques instants. Je suis toujours sous toi, mais mes courbes saillantes semblent te perforer et jaillir à la surface de la masse de chair que nous formons. Ma cage thoracique se soulève à rythme régulier. D’un coup, ma tête est brusquement poussée en avant. C’est l’œuvre de tes mains qui me ramènent à ton visage. Je sens tes lèvres brûlantes au contact des miennes. Ta salive m’abreuve. J’avais soif.
Le banquet est fini. Pourtant, je ne suis pas rassasiée. Sans ton autorisation je t’ai consommé jusqu’au dernier morceau. Mais l’appétit est là, prêt à ressurgir. Pire qu’un tyran en ses terres, il s’impose à moi, violemment. J’ai pourtant rempli le contrat qu’il m’impose : je n’ai rien laissé de toi. Aucun reste aux bords de l’assiette. Tout ce qui était consommable a été ingurgité. Seule ton enveloppe physique reste, étendue à quelques centimètres de moi. Pareille à l’écorce d’un fruit qu’on vient d’éplucher. Epuisé, tu n’as pas conscience de n’être plus. C’est l’extase qui te grise et te trompe. Elle a le pervers effet de ces liqueurs italiennes qui enivrent sans étancher la soif. Bercé par ton souffle qui se calme, tu penses à mon corps que tu as cru posséder pleinement. En réalité, pendant l’amour tu te contentes de poser la langue sur le fruit pour en avoir quelques secondes le gout, là ou moi je croque la pulpe, avale les pépins et bois le jus. Mais rien ne me satisfait. Ni le précèdent, ni toi, ni le prochain. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Je ne connais pas le rassasiement.
Ta chair a pallié ma faim, mais pour combien de temps encore ?

Carole