Dans la lune une dernière fois

Le 30/11/2009

Une portée de renardeaux batifole attendant maman partie au ravitaillement dans le poulailler voisin. Les lapins fous de pleine lune s’enivrent de luzerne. L’astre luit et la nuit d’été ressemble au jour. Hormones en folie pour tout le monde, même la tribu des raminagrobis (nos amis les chats, selon Lafontaine) court en tous sens, les uns pour honorer leurs rendez – vous, les castrés du jour pour annuler.
Elle arrive !
Il lui ouvre la portière de la voiture et la serre dans ses bras. Elle revient à lui comme le refrain d’une chanson, sublime ! Ce n’est pas le maquillage, inexistant, ni la tenue, elle va bosser, pourtant son sourire, son visage, ses yeux, son regard le fascine du message subliminal qu’elle lui transmet comme une espèce de phéromone visuel. La mystérieuse chimie circule et le contamine. Ils savent leur avenir immédiat, l’anticipe, le désire. Morts de faim leurs bouches se trouvent et se dévorent. Les épidermes se cherchent, les tee-shirts se relèvent. Elle colle ses petits seins de vingt ans contre son paillasson pectoral. Deux allumettes et un frottoir. Le feu les prend. Le point de non retour est atteint : Ils titubent, basculent dans le précipice obscur de l’âme cachée. L’âme animale souvent contenue, le monde parallèle. Les vêtements glissent, les plus précieux sont sacrifiés. Elle se hisse sur la pointe des pieds, bascule ses hanches et s’ouvre. L’ombre s’écarte, libère sa bouche, s’abaisse et se relève, lente, pénétrante, se glisse, progresse délicatement et se cale. Papillon épinglé.

Calmés, immobiles, les cœurs ralentissent leurs rythmes, leurs lèvres se retrouvent et les langues reprennent la valse interrompue dans un souffle apaisé. Les corps communiquent, s’activent, se parlent et se comprennent.
La raison, c’est la durée et la durée c’est la vie. Ces deux pensées rebondissent en un syllogisme tacite : Ils savent sans se le dire que cette folie doit cesser avant que d’être emporté par la banalité de la fréquence et le risque d’un danger faussement romantique. La morale exprime d’une faible petite voix : c’est la dernière ! D’une rotation sur la pointe, elle réussit un demi tour sur elle-même en repliant la seconde jambe comme on enfourche une selle, sans le perdre. Approuvant l’initiative, il s’écarta suffisamment pour cette douce manœuvre mais resta toutefois dans son âtre, dur comme une bûche de chêne au milieu de braises incandescentes. Il attisa délicieusement au boufadou tranquillou puis au soufflet avec un rythme qui devint vite celui d’une forge. La flamme partit en une bouffée brutale.
Des vibrations saccadées faillirent l’éjecter mais elle le garda en elle pour une ondulation plus longue avec le tendre gémissement d’une plainte contenue tandis qu’il pensait à ses impôts pour ne pas subir la contagion de ce brasier fatal, garder sa liqueur bouillonnante et l’accompagner encore. La lune rosit de pudeur ou du soleil montant. Un nuage lui ferma l’œil comme une paupière. Elle se souvenait qu’il tenta une fois de prendre son chemin de traverse et elle avait fait entretenir par son mari le passage de cet itinéraire bis. Alors, elle se dégagea lentement, le guida en le caressant et lui offrit sa bague la plus précieuse à son troisième majeur.
L’arc formé de son corps cambré comme une vénus Hottentote reçu la flèche de Cupidon intrigué et ravi de cette cible inattendue et, pour tout dire, inespérée. Son cœur, lui aussi à l’étroit, explosa dans sa poitrine. Elle, le regardant par dessus son épaule, en contrôlant de ses mains posées sur ces hanches dociles l’équilibre de l’attelage et la tendre progression de l’intrus, frémissante, perçut une brûlure.

Puis, la chaleur de ce pieu qui l’empale, l’envahit. Elle se sentit dominée et puissante à la fois dans une étourdissante composition de bonheur subtil, de plaisir animal, de pouvoir incommensurable. Il murmura dans ses cheveux et la douceur de sa nuque une supplique inutile : Elle était de toute façon incapable de ne pas se laisser emporter. Ils tremblèrent ensemble, leurs êtres hoquetant crescendo, soudés, vibrant de toutes leurs fibres fusionnées en une entité éphémère. La clarté solaire poussa et se mélangea pareillement à la lunaire. Le vent inclina les fleurs vers le sol comme pour les posséder et désaltérer de rosée leurs corolles. Il y eut sur le pré l’ombre chinoise d’un animal mythique à deux têtes dont l’une exhale et l’autre brame. Les lapins, debout, l’œil alerté, les oreilles tendues ont cessés leur dînette. Une fragrance inconnue, à la fois animale et végétale monte de l’herbe. Le jour arrive comme une délivrance. Elle a donné son corps tout entier, un peu de son âme et « quand tu aimes, il faut partir » comme dit Blaise (Cendrars). Ils partent. Ils ont eu vingt ans ensemble quelques minutes. Et ils s’en vont chacun dans leur vie comme des gens raisonnables, les sens retrouvent le sens, les organes leurs dimensions habituelles, la mémoire est marquée au fer rouge. Une source coule au plus intime d’elle. Emue, frissonnante. Elle sourit. Elle se sentait désirée et aimée, comprise et protégée. En secret ! Les renardeaux retrouveront leur maman, bredouille et déshonorée mais bien contente.

Serge

Commentaires (2)

  • Anonyme

    Aaaaah enfin un peu de littérature, un peu de poésie, un peu d’âme !
    Un vrai rafraîchissement, joyeux, sensuel et envoûtant parmi toute cette logorrhée bas de gamme.

  • vincent

    Magnifique, bravo !